Une femme s’évanouit de manière théâtrale, un objet roule doucement au sol en gros plan, des inconnus fomentent un plan machiavélique juste à côté des concernés… Le cinéma est rempli de motifs, parfois récurrents, qui intriguent et s’impriment dans nos esprits. Le deuxième mardi de chaque mois, nous vous proposons le défi “Un bon film avec…” : chaque rédactrice dénichera un film en lien avec un thème (plus ou moins) absurde mais qui vient naturellement à l’esprit. Pourquoi ces images s’imposent-elles ? Quel sens recouvrent-t-elles dans notre imaginaire ? Et dans l’œuvre ? Les retrouve-t-on dans un genre précis ? Comment deviennent-elles des clichés ?
/! Cet article peut contenir des spoilers. /!
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Être suspendu dans le vide c’est être en danger, risquer une chute mortelle. C’est un moment clé, un moment d’instabilité, d’insécurité et d’anxiété tant pour le spectateur que pour le personnage. Celui-ci, à la merci de ses ennemis et/ou au seuil de la mort – potentielle -, est en position de faiblesse. Ainsi, dans Sueurs Froides, d’Alfred Hitchcock (Vertigo, 1958), John Ferguson s’agrippe à une gouttière, manque de s’évanouir et de lâcher prise alors qu’il doit lutter contre son angoisse de la hauteur (parfaitement exprimée par une caméra subjective et un travelling contrarié du réalisateur). Dans Skyfall (Sam Mendes, 2012), James Bond essaye de soutirer des informations. Après un combat en haut d’une tour à Shanghai, son adversaire est suspendu dans le vide. Bond le retient par la main, mais son gant glisse et l’homme tombe dans le vide. Dans La Mort aux trousses (North by Northwest, Alfred Hitchcock, 1959) c’est Eve Kendall qui manque de chuter du célèbre mont Rushmore. In extremis, Roger Thornhill (interprété par Cary Grant) parvient à la sauver. Nous retrouvons ici l’un des personnages récurrents de ce motif cinématographique : la demoiselle en détresse. À l’image de Mary Jane (Spider-man, Sam Raimi, 2002) qui, suspendue à un balcon, devra attendre l’intervention du héros.
Parfois, cependant, le personnage suspendu n’a pas besoin d’attendre le concours d’un tiers pour s’en sortir et, dans ces cas-là, la suspension dans le vide devient un moyen d’affirmer sa force, sa supériorité et sa maîtrise des éléments. C’est ce que nous voyons dans Tomb Raider de Roar Uthaug (2018) lorsque Lara Croft, après une première chute impressionnante, sauve sa peau en s’accrochant à la carcasse d’un avion. La caméra montre la difficulté de l’exercice et met en exergue la puissance d’un corps humain particulier, comme celui d’Ethan Hunt qui dans Mission impossible : Rogue nation (Christopher McQuarrie, 2015) se fixe à la porte d’un avion en vol.
Ainsi, l’élément auquel le personnage devra s’accrocher de toutes ses forces pour sauver sa vie peut être un objet – de toute sorte. Mais le lien avec la terre ferme peut également être une personne qui, dès lors, bénéficiera d’un pouvoir immense : la décision de vie ou de mort. Ces moments en suspens peuvent offrir de véritables scènes tragiques et devenir les derniers instants d’un personnage. Ce fut le cas pour Mufasa, et plus récemment, pour Black Widow (Avengers : Endgame, Anthony et Joe Russo, 2019) qui, dans un ultime sacrifice, se délesta de la corde qui la retenait à Clint Barton et à la vie.
Il arrive aussi que le spectateur éclate de rire en voyant son personnage dans les airs. C’est notamment ce qui arrive lorsqu’on est face à une comédie. Presque certain que rien ne peut arriver à notre héros, nous rions d’une situation pourtant terrible et dangereuse. Dans Le Dictateur (The Great Dictator, 1940) le barbier de Charlot se retrouve dans un avion avec un commandant blessé. Soudain, l’avion se retourne et le barbier a alors la mauvaise idée de détacher sa ceinture. Il chute et s’accroche au manche. Ce n’est qu’à ce moment-là que le capitaine se rend compte de leur position plus que fâcheuse : “ Nous sommes à l’envers ! ” Charlot, contrarié, toujours accroché au manche, le regard tourné vers la caméra lance un simple “Je sais”. Cette scène défie les lois de la gravité et si la peur peut s’emparer de nous un instant, c’est finalement l’amusement qui l’emporte.
Ce mois-ci, dans le défi nous vous parlons ainsi de Monte là-dessus ! (Safety Last !), Fred. C Newmeyer et Sam Taylor, de Peur sur la ville, Henri Verneuil et de Mauvais sang, Leos Carax.
Le mois prochain, pour fêter les deux ans du défi, nous vous proposons un article spécial Disney ! Mais n’hésitez pas à voter pour le défi du mois de mai à la fin !
Monte là-dessus ! (Safety Last !), Fred. C Newmeyer et Sam Taylor, 1923
Harold est venu à Los Angeles pour faire fortune. Mais il stagne dans son job de petit vendeur. Il a une idée : proposer à son patron de faire de la publicité au magasin en faisant escalader la façade par un ami acrobate. Sauf que voilà : c’est lui qui va devoir s’y coller !
Dans Monte là-dessus !, Harold Lloyd a offert au cinéma burlesque l’une de ses images les plus emblématiques : accroché aux aiguilles d’une énorme horloge, les jambes dans le vide, l’homme à lunettes se débat pour ne pas chuter. Mais cette scène, aussi culte soit-elle, n’est en fait que l’un des nombreux éléments qui viennent ponctuer une ascension périlleuse, entreprise par un Harold Lloyd apeuré et maladroit.
Pour assurer le spectacle devant une foule immense, Harold doit prendre la place de son ami acrobate Bill Stother alors pourchassé par un policier. Si dans un premier temps il ne doit faire qu’une petite partie du chemin et rejoindre le premier étage (où il échangera de place avec Bill), Harold se voit contraint de continuer son ascension sous les yeux ébahis d’un public qui lui demande d’aller toujours plus haut. Malhabile, mal assuré, le garçon n’a ni la tenue, ni la dextérité nécessaire pour gravir l’énorme Bolton Building qui se dresse devant lui. Pourtant, c’est avec un certain courage qu’il continue son ascension, alors que l’arrière-plan dévoile rues et buildings et que d’autres courtes scènes, filmées en plongée ou contre-plongée, nous permettent de nous rendre compte de la hauteur qu’il gagne.
Pendant qu’il grimpe, Harold doit faire face à de nombreux obstacles : des cacahuètes renversées par un groupe de jeunes lui dégringolent dessus, avant que des pigeons (évidemment beaucoup plus à l’aise que lui dans les airs !) ne le prennent pour un perchoir. Ensuite, c’est un filet qui lui tombe sur la tête, l’obligeant à se débattre sur une petite corniche. Il y a aussi cette planche en bois à laquelle il doit s’accrocher de toutes ses forces pour ne pas tomber dans le vide. Les plans d’ensemble montrant la hauteur que prend Harold se multiplient et se diversifient, produisant une ascension à couper le souffle durant laquelle s’enchaînent incidents et petites victoires pour le jeune homme.
Enfin, apparaît l’horloge et l’espace d’un instant, le spectateur – tout comme le personnage – pense l’épreuve terminée. Mais il n’en est rien. Bill, l’homme censé le sortir de cette galère, le met dans la position la plus extrême qui soit et pousse Harold à s’accrocher aux aiguilles de cette horloge qui, jusqu’à maintenant, n’était apparue que furtivement dans les plans.
Comme toujours, le cadre est tel que le spectateur perçoit parfaitement le danger : à l’arrière-plan, nous voyons la rue et les buildings. Au premier plan, Harold, agrippé à une fine aiguille, ne parvient plus à trouver de point d’appui sur le bâtiment. Pire encore, l’horloge qui le soutient finit par se casser sous son poids, précipitant Lloyd dans le vide. Aucun montage n’est nécessaire pour créer l’angoisse chez le spectateur. Le cadre, le jeu de Lloyd et les nombreux incidents précédents suffisent à créer une tension et une sensation de vertige.
Le point culminant de la scène semble être atteint. Bill vient au secours de son ami à l’aide d’une corde… qu’il n’aura pas le temps d’accrocher. Ainsi, l’objet qui semblait salvateur devient plus dangereux que tout le reste ; Lorsqu’il l’attrape, Lloyd se retrouve encore dans le vide et dégringole les étages qu’il avait si périlleusement gravis auparavant.
Cette corde est à l’image de tous les autres objets et de quelques personnages qui apparaîtront dans cette séquence : à la fois protecteur et dangereux. Le policier qui poursuit Bill, empêchant donc Harold de lui laisser sa place, tirera sur la corde pour essayer de sauver l’homme à lunettes d’une chute fatale. Le petit sachet contenant les cacahuètes (qui avaient attiré les oiseaux sur lui) sera utilisé pour faire fuir les volatiles. L’horloge cassée qui lui avait fait courir un énorme danger, finira par servir de point de chute alors qu’il continue encore à grimper les étages du building… Ces variations ne font qu’insister sur l’instabilité de la situation, et le risque énorme encouru par le jeune homme.
La scène dure un peu moins de 20 minutes et se conclut par une étreinte entre Harold et sa fiancée, sur le toit du building, après une énième péripétie qui mènera le jeune homme à se balancer dans le vide, simplement attaché par le pied.
Tout au long de l’ascension, vertige et rire se côtoient chez le spectateur. Nous savons qu’Harold ne va pas tomber et pourtant, nous ne cessons d’avoir peur. Pourquoi ? Car les réalisateurs ont pris soin d’insérer dans le montage des plans courts nous permettant de savoir avant Harold ce qui le menace (la corde non attachée, les pigeons qui vont l’attaquer ou encore une souris qui va se glisser dans son vêtement). Ils créent ainsi de l’attente, et même une certaine tension que les gags visuels finiront toujours par désamorcer.
Harold Lloyd n’est pas le premier à faire de son personnage le vendeur d’un grand magasin. Charlot, Ben Turpin, Roscoe Arbuckle, Buster Keaton… Tous ont, à un moment donné, enfilé la tenue de marchand. Mais dans Monte là-dessus !, l’acteur à lunettes, va plus loin en clôturant son film par cette scène périlleuse et magistrale.
Camille Dubois
Monte là-dessus ! (Safety Last!)
Réalisé par Fred. C Newmeyer et Sam Taylor
Avec Harold Lloyd, Mildred Davis, Noah Young
Comédie, 1h10, Etats-Unis, 1923
Hal Roach Studios
Peur sur la ville, Henri Verneuil, 1975
À Paris, un maniaque harcèle des femmes au téléphone avant de les assassiner. Après le meurtre de Nora Elmer, le commissaire Letellier (Jean-Paul Belmondo) se voit confier la résolution de ces meurtres en série en parallèle de l’affaire qui, pense-t-il serait l’affaire de sa carrière. D’abord étudié à la légère, Letellier découvre peu à peu l’esprit malade de son rival, un certain « Minos » (Adalberto Maria Merli). L’enquête prend des proportions inattendues.
Le film policier est propice aux chasses à l’homme et aux chutes. Les protagonistes se retrouvent alors agrippés à bout de bras, entre la vie et la mort. Une course-poursuite à travers l’est parisien se déroule au milieu de Peur sur la ville. Ce jeu du chat et de la souris a lieu sur les toits des Galeries Lafayette puis se continue sur l’asphalte. Outre le plaisir coupable de redécouvrir une capitale très 70’s, la séquence explore l’archétype du genre : des coups de feu très près des oreilles, quelques vitres cassées, un cache-cache entre les cheminées et un Belmondo accroché aux gouttières. Cette séquence finalement convenue conforte le spectateur dans son visionnage, nous sommes bien dans un polar, et prépare doucement à un événement d’une toute autre envergure.
Entre Minos et Letellier, c’est un jeu mesquin. Le psychopathe s’amuse de narguer le commissaire jusque sur son territoire. C’est dans l’ultime séquence que le duel entre le grand méchant et le justicier s’opère. Alors que Minos, de son vrai nom Pierre Valdek, détient l’une de ses victimes dans son appartement, Letellier met en place une dernière supercherie. Ce duel semble s’articuler sous trois angles.
Alors que l’assaut est lancé, Valdek est littéralement suspendu au bout du fil. Il boit les paroles enregistrées au préalable du commissaire qui arrive en hélicoptère ni vu ni connu. Dans cette affaire de câble, on retrouve Letellier dans une toute autre position : descendant avec aplomb en rappel dans un ciel parisien grisâtre. Sans artifice météorologique ni musical, l’action de sauvetage est présentée comme inhérente à la fonction de policier. C’est une approche étrangement réaliste pour une scène identifiable comme le cliffhanger de ce polar.
Ce sauvetage provenant du ciel suscite un certain intérêt vu d’en-bas. Loin de l’engouement et de l’exubérance auxquels nous avons été habitués dans les blockbusters américains, notre héros, en totale maîtrise, est scruté avec sagesse et confiance par l’ensemble de son équipe. Tel un Messie, il apporte avec lui la résolution.
Dans un troisième acte, notre commissaire prend des allures de western. Après avoir brisé la fenêtre de l’appartement des otages par un coup de pied habile, Letellier entame un corps à corps avec Minos. Pas de pistolets dégainés, c’est avec les mains que le bien et le mal règlent leurs comptes. Si les bavures ne sont pas réprimandées au long du film, cette lutte n’en franchira jamais le seuil. La cavalerie débarque en effet quelques instants après le commissaire. Le cowboy ayant réussi sa mission, les représentants du corps judiciaire, le shérif de l’ouest américain en somme, est félicité pour ses bons et loyaux services. Ce clin d’œil est éminemment appuyé par le travail du compositeur maître du genre : un dernier regard en arrière sur le succès de sa mission, et le commissaire avance fièrement sur les notes d’Ennio Morricone vers un futur qui lui sera sûrement glorieux.
Clémence Letort-Lipszyc
Peur sur la ville
Réalisé par Henri Verneuil
Avec Jean-Paul Belmondo, Charles Denner, Adalberto Maria Merli
Polar, Thriller, Action, France, 2h05, 1975
Disponible sur Netflix
Mauvais Sang, Leos Carrax, 1986
Sous l’accablante chaleur dégagée par la comète de Halley, la population parisienne est frappée par un virus tuant ceux qui font l’amour sans s’aimer. Dès lors, deux bandes rivales vont se disputer le germe de ce virus qui devrait permettre de créer un vaccin et sauver la population…
Mauvais Sang est ce que l’on appelle un « film culte ». L’inoubliable performance des jeunes Juliette Binoche et Denis Lavant, un travelling endiablé rythmé par le « Modern Love » de David Bowie, des hommages à Godard ou Cocteau, tels sont les éléments fondateurs du deuxième long-métrage de Leos Carax, sorti en 1986. Denis Lavant y interprète Alex, acrobate, magicien, pantomime. Il fait la connaissance d’Anna, compagne de Marc (Michel Piccoli), qui va lui confier une dangereuse mission. Elle ressemble de façon troublante à cette mystérieuse inconnue qu’il a entraperçue dans le bus quelques heures avant leur rencontre. Pour voler le vaccin que deux bandes rivales s’arrachent, Alex doit apprendre à sauter en parachute. Anna, bien que terrorisée, fait elle aussi partie de l’expédition. C’est le moment de sauter, Alex, Anna et Marc sont dans l’avion.
Une vue aérienne nous montre l’engin, si petit dans cette immensité. On aperçoit Anna qui s’assied sur le rebord de l’avion, tandis que Marc lui prodigue les dernières instructions. Un travelling avant zoome petit à petit sur la silhouette terrifiée. Alex lui ordonne de ne pas sauter, il sent qu’elle n’en a pas envie. Cette injonction provoque la décision de s’élancer car la jeune femme est têtue, indépendante. L’alternance entre une contreplongée tremblante d’Anna et des plans rapprochés d’Alex et de Marc rend compte de l’effroi. Alex comprend in extremis que celle-ci s’est évanouie juste avant que Marc ne coupe la corde qui la relie à l’avion. La caméra nous montre à nouveau la scène d’un point de vue aérien, on distingue Alex, acrobate, qui glisse le long de la corde pour rejoindre Anna et s’accrocher à elle.
Le bruit du vent est cinglant, assourdissant. Marc coupe la corde, les deux personnages s’envolent dans un ballet aérien soudain silencieux. Tandis qu’ils évoluent au gré des rafales sous un parachute immaculé, Marc se jette dans le vide et déploie son parachute noir, le bruit du vent se fait à nouveau entendre. Retour sur la chute d’Anna et Alex, silence à nouveau. Loin d’accentuer la dimension spectaculaire du saut, Leos Carax nimbe la scène d’un halo de grâce. Un instant suspendu, celui de la cristallisation du sentiment amoureux d’Alex pour Anna, belle endormie dans ses bras, esquissant un demi-sourire. Alex a tout d’abord l’air surpris, puis se laisse aller à la rêverie, ferme les yeux et pose délicatement se tête sur l’épaule de la jeune femme. L’entrelac des fils du parachute renforce l’étreinte qui unit les personnages suspendus dans le vide. En coupant la corde, Marc a délivré les deux amants d’une entrave tacite, il laisse exister le temps d’un instant la possibilité d’une union entre les deux personnages. Cette séquence préfigure ainsi l’amour impossible entre eux.
Anna est en position de faiblesse dans les bras d’Alex, un rapport qui s’inversera tragiquement à la fin du long-métrage alors que le sentiment amoureux aura grandi.
Lucie Dachary
Mauvais Sang
Réalisé par Leos Carax
Avec Juliette Binoche, Denis Lavant, Michel Piccoli
Drame, Romance, France, 2h05, 1986
Tamasa Distribution
Disponible sur LaCinetek
Avec la participation de Marine Moutot
Retrouvez de nouvelles pépites le mardi 13 avril 2021. Pour fêter les deux ans du défi, nous proposerons une sélection de motifs présents dans les films du studio Disney.
Vous aussi, mettez-nous au défi de dénicher des films en rapport avec votre thème, en votant pour le Défi #25 avant le 12 avril 2021. Vous pouvez également proposer de nouveaux thèmes en commentaire ou sur les réseaux sociaux.
Un spécial Disney, je dis mille fois oui ! 😀
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Et Blade runner ?
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