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Ce vendredi 12 mars 2021 à 21h se tient la 46e Cérémonie des César animée par Marina Foïs, en direct et en clair sur Canal +. Elle devait avoir lieu initialement le vendredi 26 février 2021 mais l’Académie a préféré reporter la date en raison des incertitudes liées à la crise sanitaire. Chaque année, une vingtaine de courts-métrages en prise de vues réelles et une dizaine en animation sont sélectionnés pour les César. Cette première étape donne lieu à des votes et, à la fin du processus, seuls cinq films restent en lice pour le prix du Meilleur Film de Court Métrage (et quatre pour le Meilleur Film d’Animation auxquels s’ajoutent trois longs-métrages : Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary, Petit Vampire et Josep). Comme vous le savez, nous aimons les courts-métrages chez Phantasmagory et cette année, nous avons décidé de mettre en avant les nominés mais aussi le reste de la sélection. À travers cinq articles, nous reviendrons sur les trente-six œuvres éligibles, entre prise de vues réelles et animation.
En 2020, nous avons eu la chance de participer à de nombreux festivals spécialisés dans le court-métrage ou mettant cette forme à l’honneur. Ainsi, au Festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand, au Festival européen du film court de Brest ou au Festival international du film d’animation d’Annecy, les bonnes surprises étaient au rendez-vous, avec des sélections de qualité, malgré le contexte sanitaire et la contrainte de se tourner vers le numérique.
Chaque semaine, jusqu’à la cérémonie des César, nous reviendrons sur les différents courts-métrages éligibles et ceux en lice finale pour décrocher le fameux prix. Le but étant de faire une cartographie exhaustive du court-métrage en France en 2020. Une belle occasion de mettre en avant le court-métrage, de vous faire découvrir nos coups de cœur et d’établir nos pronostics (et les vôtres).
Les courts-métrages nommés pour les César 2021
La Tête dans les orties – Paul Cabon, 2019
Bastien part en expédition dans la zone interdite avec deux amis. Alors qu’ils progressent entre ruines brumeuses et végétation étrange, une présence se fait sentir…
Trois adolescents plongent tête baissée dans une jungle inextricable aux teintes verdâtres et rougeâtres qui ne sont pas vraiment là pour évoquer la confiance. A mesure qu’ils s’enfoncent dans les végétaux touffus, l’étrangeté se renforce, renforcée par le dessin mouvant et poétique et l’ambiance sonore très réussie. Avec des accents de monde lovecraftien, le décor prend vie, oppressant, mettant les jeunes gens à l’épreuve. S’agit-il d’une hallucination collective ? Ou est-ce la réalité ? Et quel est le but de ces trois garçons dans cette quête ? Vaincre l’angoisse de la mort ? Aller aux confins de leur imagination ? Le visionnage vous le dira peut-être… La tête dans les orties n’est d’ailleurs pas sans rappeler Têtard, lui aussi retenu en sélection officielle des César (critique ci-dessous), avec son ambiance d’une inquiétante étrangeté. M.K.
Le film est disponible sur MyCanal et KuB.
Un Adieu – Mathilde Profit, 2019
Une jeune femme part étudier le dessin à Paris. Son père l’amène en voiture jusqu’à la capitale. Alors qu’elle s’installe dans son 9,5m2, les derniers moments de complicité lui signifient l’approche des adieux.
Un long chemin à parcourir pour atteindre la vie d’adulte, tout comme pour arriver à Paris. Alors que la future étudiante prend la voiture direction la capitale en compagnie de son père, le film prend le parti du temps long du détail. L’action semble suivre le fil logique de la route, calme, à peine perturbée par quelques arrêts permettant des rencontres imprévues. La seule certitude, ici, c’est qu’il y aura une fin. L’arrivée à Paris est alors fracassante : un logement bien plus petit qu’imaginé, une propriétaire quelque peu pressante et intransigeante – “s’ils sont tous comme la proprio, je vais paraître plouc” – et une installation sommaire. La jeune femme saisit l’instant pour prendre la caméra – de son portable – et nous plonger dans un récit plus personnel, commentant ce nouvel endroit, commencement de sa nouvelle vie, découvrant Paris depuis sa fenêtre. Les instants simples mais importants arrivent alors : autour d’un sandwich, d’une compote ou d’une clope, père et fille discutent, l’un de son passé, l’autre de son avenir. Et l’affection discrète s’exprime en quelques mots : “c’est vachement beau ce que tu fais. Le reste on s’en fout !”. Le lendemain, c’est le départ du père et le début d’un nouveau quotidien. Le cheminement vers ces adieux a permis la conquête de la confiance face aux peurs du lendemain. M.K.
Le film est disponible sur MyFrenchFilmFestival.
Les courts-métrages qui étaient éligibles
Têtard – Jean-Claude Rozec, 2019
Lola en a marre que son petit frère, Gaspard, la suive partout. Elle invente alors une histoire : il n’est pas un vrai petit garçon, mais un têtard.
Le court-métrage commence par la fuite hors de la maison familiale d’une jeune fille. Elle veut échapper à son petit frère qui veut toujours être avec elle. Pourtant elle échoue, son frère se faufile entre les ruines des maisons inachevées du lotissement où ils vivent. La fillette se retourne alors et commence à inventer une histoire : son frère est un crapaud, c’est pour cela qu’elle l’appelle en permanence têtard. Cette cruauté adelphique n’effraie pas Gaspard, le jeune frère. Mais alors qu’elle insiste, tente de lui montrer des preuves, il commence à croire ce que lui dit Lola. Les indices qu’elle sème, l’absence de réelle réaction des parents qui ne voient là que des enfantillages, instillent en Gaspard une fausse vérité. C’est vrai que sa sœur a le même nez que papa et c’est vrai qu’elle a les mêmes yeux que maman. C’est vrai que lui a un visage rond et des yeux verts grenouille. Il se met alors à se comporter en crapaud. Trop petit, trop influençable, il ne voit pas le mensonge et la méchanceté dans les paroles cruelles de sa sœur. Quand Lola réalise que ses dires sont allés trop loin, le mal est fait et il est trop tard pour revenir en arrière.
Le court-métrage de Jean-Claude Rozec est une métaphore des croyances que l’on peut assimiler, parce qu’elles nous ont été répétées au fil du temps. Ici l’enfant pense tellement que ce que dit sa sœur est vrai, qu’il ne questionne plus la raison. Il ne réfléchit plus. M.M
Le film est disponible gratuitement sur Arte ici.
The Loyal Man – Lawrence Valin, 2019
Aathi, homme de main solitaire et dévoué, travaille dans une épicerie le jour et conduit des clandestins la nuit pour le compte de Monsieur, parrain de la mafia tamoule de Paris. Aathi n’a jamais pensé qu’au devoir… jusqu’à ce que sa route croise celle de Minnale, une clandestine livrée à elle-même.
Plongée au cœur de la pègre tamoule, une population qui vient d’Inde et du Sri Lanka et qui n’est que peu portée à l’écran. On pense à Dheepan (Jacques Audiard, 2015) qui a donné de la visibilité à la communauté, c’est d’ailleurs le rôle-titre du film d’Audiard, Antonythasan Jesuthasan, qui interprète le redoutable Monsieur. Avec un scénario plutôt classique qui pourrait être le canevas d’un long-métrage, Lawrence Valin balaye avec maîtrise les grands thèmes de l’honneur et de la rédemption. Peut-on rester loyal à une mafia toute-puissante quand naissent des sentiments et surgissent des principes ? La possibilité d’une romance se fera bien sûr au prix de la violence. Silencieux, feutré, le court-métrage fait un choix esthétique tout en couleurs et en néons et use de plans rapprochés qui font la part belle à l’intériorité des personnages. L.D.
Le trailer du court-métrage est disponible ici.
Traces – Hugo Frassetto et Sophie Tavert Macian, 2019
Il y a 36 000 ans, dans les gorges de l’Ardèche, un animal dessiné est un animal chassé. Quand revient le temps de la Chasse et de la Trace, Gwel prend la tête du groupe des chasseurs tandis que Karou le Traceur et son apprentie Lani partent dessiner dans la grotte monumentale. Ce périple est bouleversé par un lion des cavernes.
L’inspiration de ce court-métrage d’animation a germé dès la découverte des lionnes de la grotte Chauvet par les réalisateurs Sophie Tavert Macian et Hugo Frassetto. Comment conter les récits de temps immémoriaux ? C’est grâce à une technique de sable animé qui a nécessité 5 ans de travail et de la peinture à l’huile que bêtes et chasseurs prennent vie à partir de dessins pariétaux. Une animation texturée, en noir et blanc, mais rouge aussi, pour le sang. Une attention est également portée au son pour raconter la genèse fantasmée des fresques. Un court-métrage sensoriel envoûtant. L.D.
Le court-métrage complet disponible ici.
Tsuma Musume Haha – Alain Della Negra, Kaori Kinoshita, 2019
Comment vivre dans un monde sans femmes ? Les documentaristes explorent l’univers des poupées grandeur nature, des avatars, des déguisements au Japon.
Le titre du court-métrage veut dire : Femme Mère Fille. Dans la société que filment Alain Della Negra et Kaori Kinoshita, elles ont toutes disparu. Un homme positionne deux poupées, les peigne, les habille et s’installe à côté d’elles. Il explique face caméra pourquoi il a acheté un an auparavant sa première poupée. Il nous dit sans fard ni gêne, la mort de sa mère, son besoin sexuel à assouvir et l’absence des femmes autour de lui. Nous le verrons à plusieurs reprises : prenant une photo, déshabillant sa compagne, expliquant à un fabricant que l’aine de sa compagne de silicone se dégrade au bout de deux ans d’utilisation. Lui voudrait qu’elle soit avec lui pendant des années et des années, ayant ressenti une relation forte avec cette poupée. Mais le film n’explore pas que cela : les bars où des hommes se déguisent en personnages féminins de manga, des hommes qui mangent devant un DVD d’une femme leur parlant. Cette société de la solitude que les documentaristes montrent nous laisse comme un goût de malaise. Sans être une critique de ce fonctionnement, le film expose avec une certaine tristesse ce mode de vie, sans rapport humain. M.M
Le trailer est disponible ici.
Yandere – William Laboury, 2019
Maïko, la petite amie holographique de Tommy, l’aime d’un amour infini. Jusqu’au jour où Tommy la quitte pour une autre fille, bien réelle cette fois. Submergée par un sentiment inconnu, Maïko découvre le goût de ses propres larmes. Des larmes qui transforment sa chair et lui donnent le goût du sang…
Après des courts-métrages comme Chose Mentale (2017), William Laboury plonge à nouveau son récit dans le registre fantastique. Il explore les possibilités de la réalité virtuelle, qui se matérialise ici par Maïko, hologramme possessif aux racines japonaises. Ce nouveau gadget pour ados en manque d’affection est littéralement « malade d’amour ». Maïko a le cœur brisé, elle fait l’expérience humaine du chagrin d’amour et prend vie. Cheveux bleus et sabre en bandoulière, Maïko est une guerrière prête à venger cet amour déçu. Un court-métrage surprenant qui amorce une réflexion sur l’intelligence artificielle, sa place dans nos vies et la possibilité que ce soit elle qui nous asservisse et non plus le contraire. L.D.
Le trailer du court-métrage est disponible ici.
Lucie Dachary, Manon Koken et Marine Moutot
La tête dans les orties
Réalisé par Paul Cabon
Animation, France, 14 min
Vivement lundi !
Un adieu
Réalisé par Mathilde Profit
Avec Luna Carpiaux, Satya Dusaugey, Marc-Henri Parmeggiani
Drame , France, 24 min
Apaches Films
Têtard
Réalisé par Jean-Claude Rozec
Animation, France, 13 min
A perte de vue
The Loyal Man
Réalisé par Lawrence Valin
Avec Lawrence Valin, Aurora Marion, Antonyathan Jesuthasan
Thriller, Drame, Romance, France, 37 min
Agat Films & Cie / Ex Nihilo
Traces
Réalisé par Hugo Frassetto et Sophie Tavert Macian
Animation, France, 13 min
Les Films du Nord
Tsuma Musume Haha
Réalisé par Alain Della Negra, Kaori Kinoshita
Documentaire, France, 33 min
Ecce Films
Yandere
Réalisé par William Laboury
Avec Gulliver Bevernaege, Armande Boulanger, Ayumi Roux
Fantastique, France, 21 min
Kazak Productions, Mathematic