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Entre 2002 à 2007, nous suivons le jeune Nico Walker : de sa rencontre avec la belle Emily, à son entrée dans l’armée et à sa dangereuse addiction. En devenant aide-soignant militaire, il est témoin de scènes choquantes. De retour de la guerre en Irak, atteint de stress post-traumatique, il plonge dans la drogue et braque des banques pour financer sa dépendance aux opiacés.
Les réalisateurs Anthony et Joe Russo, mondialement connus pour avoir réalisé certains opus du Marvel Cinematic Universe (Avengers Infinity War, 2018 ; Captain America : Civil War, 2016), signent ici un film qui flirte avec le cinéma indépendant. Même si, avec un budget de presque 40 millions de dollars et une des têtes d’affiche les plus populaires du moment (Tom Holland), les frères Russo étaient sûrs d’engendrer un succès. Au vu de leurs dernières productions et du pitch du film, on pourrait penser qu’on a déjà vu ce genre d’histoire au moins cent fois. Le jeune vétéran qui ne sait plus comment vivre dans une société qui lui semble trop déconnectée par rapport à son mal-être. Un synopsis classique. Mais ce qui diffère ici est la mise en scène. Les deux frères proposent de parler d’un vécu intime, mais universel en utilisant les techniques du blockbuster.
Toute la narration est divisée en chapitres. À chaque chapitre, son format. Le tout ressemble à une succession de clips qui pourraient exister indépendamment. Cette pratique de film-fleuve permet au public de plonger dans une histoire imbriquée dans une autre histoire, un peu comme dans un rêve. Un rêve dont nous sommes à la fois le protagoniste et le spectateur. Nous sommes témoins de l’évolution de la vie de Nico et nous sommes même dans la confidence car le personnage brise le quatrième mur à plusieurs reprises. Sa voix résonne dans chacune des scènes et cela nous donne l’impression de lire un livre dont les illustrations défilent au fil des pages. Le film étant l’adaptation du roman semi-autobiographique de Nico Walker, cette impression est tout à fait cohérente.
Pour accentuer la proximité que nous avons avec les émotions du héros et pour mieux comprendre son ressenti, beaucoup d’effets sont utilisés : quand Nico prend pour la première fois de l’ecstasy, l’image est en noir et blanc, lisse, donnant l’impression de la perfection du moment, de sa légèreté. À la suite de cette première expérience, lorsqu’ils prennent de la drogue, l’image est presque floue, les personnages sont filmés en gros plan, le son est un peu plus étouffé, l’expérience devient funeste. Mais les cinéastes le font pour d’autres moments dans le récit. Quand Emily et Nico échangent au début du film, autour d’eux le monde cesse d’exister et est donc flou. La mise au point est faite sur eux et eux uniquement. Ces procédés permettent de nous ancrer davantage dans l’histoire. Certes, ces mises en scène sont fréquemment utilisées mais le fait qu’elles soient présentes tout au long du film offre une certaine cohérence. Chaque chapitre propose son lot de procédés un peu clichés comme l’utilisation d’une musique type western lors des scènes de guerre ou d’opéra tragique quand le couple se sépare, mais cela fonctionne et colle aux propos de l’histoire.
De plus, le récit ne s’intéresse pas à beaucoup de personnages. Cela permet de mieux se concentrer sur les émotions des deux protagonistes. Nous avons Nico d’un côté, interprété par Tom Holland et Emily de l’autre (Ciara Bravo). Quelques personnages secondaires apparaissent tout au long du film mais pas assez pour pouvoir tout à fait cerner leurs traits de caractère. Le duo semble inséparable et même si toutes les décisions qu’ils prennent ensemble ne sont pas nécessairement les meilleures, ils se complètent et retranscrivent un équilibre flagrant. De plus, ces deux personnages sont indépendants. Ils sont livrés à eux-mêmes dans la vie. Leurs seules dépendances restent la drogue pendant une partie du film et bien sûr, leur incapacité à vivre l’un sans l’autre. Notre duo brille également grâce à la performance des acteurs. Tom Holland est notamment connu pour être le Spider-Man dernière génération mais il excelle aussi dans des rôles plus sombres comme dans The Devil All the Time (Antonio Campos, 2020). Ici, on peut le voir jouer plusieurs identités. Toute une palette qui permet de montrer l’étendue des capacités de l’acteur britannique. Si l’épilogue ne convainc pas, pour autant, c’est qu’avec son visage poupin il doit interpréter un homme de 40 ans – le maquillage n’arrive pas à faire le travail non plus. De son côté, la jeune Ciara Bravo a joué dans quelques séries avant cela, mais c’est réellement avec ce rôle qu’elle est révélée.
Par ailleurs, l’âge des protagonistes est essentiel à la critique acerbe que font les réalisateurs. Ce sont des jeunes gens d’à peine vingt ans qui sont envoyés au front sans être préparés. Quand, Nico, qui est médecin sur le champ de bataille, voit son premier blessé dont les tripes sortent du ventre, il n’a ni les compétences ni les connaissances requises pour sauver cet homme qu’il doit regarder mourir. La formation qu’il a reçue après avoir intégré l’armée est superficielle. Dans la partie consacrée à sa préparation militaire, le cadre est rétrécit, l’image devient plus petite. Elle représente la mentalité étroite de l’armée et de cet apprentissage. Les jeunes ne sont que des chaires prêtes à être broyées dans une guerre inutile.
L’indépendance, la dépendance, la perte de l’innocence et des sens sont les thèmes de ce long métrage qui englobe sur une courte période toutes les épreuves auxquelles doivent faire face les jeunes soldats revenant de la guerre. Le point de non retour est d’ailleurs bien symbolisé par un fil conducteur ou plutôt par un ruban conducteur. Lors de leurs premiers moments ensemble, Emily porte tout le temps un ruban blanc autour du cou. Par la suite, ce ruban va servir de garrot pour des injections d’héroïne. Après la partie centrale – qui se nomme Cherry – le retour à la réalité est dur. Si le héros ne parle pas de son problème quand il rentre chez lui, mais de celui de son cousin qui a lui aussi vécu la guerre, c’est pour faire entrer son récit dans une spirale universelle : celle d’une jeunesse détruite. Anthony et Joe Russo insistent sur ce point que ce soit à travers leur mise en scène léchée ou la musique qu’ils utilisent pour mettre en exergue les sentiments de Nico. C’est pour cela que la bande originale ressemble un peu à une playlist qu’un adolescent pourrait jouer lorsqu’il fait un roadtrip seul sur les routes américaines. Ainsi Cherry n’est pas un film tendre, mais dur, intense et sombre. Le long-métrage tente de dynamiser l’histoire classique d’un homme qui se drogue pour oublier ses peurs et ses angoisses. Le film réussit en partie à retranscrire la détresse intime du héros à coup d’effets de style. Et rend ce récit universel en en faisant la critique de systèmes militaires et civils bancals.
Déborah Mattana et Marine Moutot
Cherry
Réalisé par Joe Russo, Anthony Russo
Avec Tom Holland, Ciara Bravo, Jack Reynor
Drame, Guerre, Biopic, États-Unis, 2h21
12 mars 2021
Disponible sur Apple TV +