[CRITIQUE] Possessor

Temps de lecture : 4 minutes.

D’Antiviral à Possessor, la fabrique du cauchemar 2.0 par Brandon Cronenberg

/! Cet article contient des spoilers. /!

Tasya Vos travaille au sein d’une organisation secrète qui utilise une technologie neurologique de pointe à des fins criminelles : habiter le corps d’une personne dans le but de la pousser à tuer aux profits de clients très riches. Tout se complique pour Tasya lorsqu’elle se retrouve dans le corps d’un homme dont l’appétit pour le meurtre et la violence dépasse de très loin le sien… Au point de la déposséder de sa propre identité ?

Lauréat du Grand Prix de l’édition virtuelle du Festival du film fantastique de Gérardmer 2021, Possessor marque le retour sur les écrans de Brandon Cronenberg, quelques années après la sortie de son premier long métrage, Antiviral (2013). Le réalisateur trace une ligne conductrice dans son œuvre et explore ses obsessions de façon plus aboutie.

Une femme branche un câble sur un plug inséré dans son cerveau. Elle déambule dans une réception, vêtue d’une tenue blanche et bleue qui pourrait être celle d’une hôtesse de l’air. Puis elle attrape un couteau et assassine froidement un homme, avant de tenter de se suicider. Cette femme est en réalité “téléguidée”. Son cerveau est habité par Tas, employée d’une société secrète qui prend possession du corps de femmes et d’hommes afin de tuer sous couverture, au profit de riches clients. Possessor est imprégné des obsessions de son réalisateur – l’individu envahi par un corps étranger, la dystopie liée aux avancées biotechnologiques – mais va plus loin qu’Antiviral. Le film explore les possibilités de l’existence d’une forme de mafia futuriste et de ses agents infiltrés, un peu à la façon d’un épisode de la série Black Mirror. Cronenberg emmène son film sur des chemins sinueux, kaléidoscopiques, dans des hémisphères du cerveau jusqu’alors inconnus. Des séquences expérimentales colorées hallucinées ponctuent le long métrage quand la protagoniste prend possession du corps de l’hôte à distance. Lynchien, Possessor propose un cauchemar sous tension, stylisé – parfois un peu trop. La photographie de Karim Hussain est léchée, la bande-son de Jim Williams (aussi aux manettes de Grave de Julia Ducournau, 2016) reste en sourdine et explose par moments. Le réalisateur déconstruit la narration lors d’un moment de bascule tout à fait effrayant, l’irréversible échange des identités. Il propose finalement une nouvelle variation autour de la thématique du masque et revisite le Persona d’Ingmar Bergman (1966) au travers de cette séquence qui scinde le film en deux parties distinctes. Celui qui possède n’est pas celui que l’on croit, la protagoniste n’a plus le contrôle de sa propre identité. Enchaînée, Tas s’est perdue en se donnant à une cause dangereuse et désormais sa conscience ne lui appartient plus. La victime fait corps avec son bourreau, la chair se déforme, la créature dépasse son créateur à la façon d’un Frankenstein des temps modernes. Même si le scénario finit par s’essouffler un peu à force de jeux de rôles à n’en plus finir, Cronenberg effectue une démonstration d’une grande maîtrise.

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Cronenberg explore donc davantage les thématiques qui façonnaient son premier long métrage. Tout d’abord, les deux films ont strictement la même durée. Une coïncidence sans doute, mais qui appuie le sens du détail qui caractérise le cinéma du réalisateur. Les séquences hallucinées de Possessor font écho à celles d’Antiviral durant lesquelles le protagoniste est atteint par la fièvre. Les plans sont picturaux, tourmentés, à la façon des toiles de Francis Bacon. Antiviral était déjà le récit d’une société qui exploite les technologies de pointe, la clinique Lucas. Celle-ci permet à ses clients de se faire injecter le virus duquel fut atteinte leur star favorite. Une “société du spectacle” poussée à son paroxysme, une inversion des valeurs traditionnelles, aberration organique qui tranche avec l’asepsie de l’établissement. Possessor offre une nouvelle satire d’une société dans laquelle tout se consomme, tout se monétise en proposant des crimes 2.0. Les valeurs perdues, les liens humains, familiaux, sont symbolisés dans Possessor par le rapport des personnages à l’odorat, sens intime qui ne saurait être remplacé par la machine.

Il serait bien sûr compliqué de ne pas citer le père du réalisateur, David Cronenberg, tant leurs obsessions sont similaires. On ne peut s’empêcher de penser au cinéaste culte tant Brandon Cronenberg semble lui rendre hommage tout au long de Possessor. La trame du film est proche de celle d’Existenz (1999), avec la présence d’un plug implanté dans le système nerveux qui fait de l’individu un réceptacle pénétré par un corps étranger qui se branche à lui. Les lunettes qu’enfile Colin sur son lieu de travail évoquent sans aucun doute les yeux à facettes d’une mouche (La Mouche, 1987). Dans Possessor, Tas rentre chez elle après une journée de travail, elle fait l’amour avec son mari Michael. Un cut interrompt la scène et bascule sur le gros plan d’une lame qui s’enfonce dans le cou d’une victime. Il est difficile de saisir qu’il s’agit d’une lame et non du sexe de Michael de prime abord, la confusion s’installe. On pense ici à Crash (1996), long métrage qui repose sur les pulsions de vie et de mort de ses personnages, en quête d’une excitation sexuelle par la violence et par la dégradation des corps contre l’acier de la carrosserie. 

On ne saurait donc que recommander l’”expérience” Possessor, à découvrir rapidement, mais peut-être pas seul avant de dormir, au risque de se réveiller dans un autre corps…

Luicie Dachary

Possessor
Réalisé par Brandon Cronenberg
Avec Andrea Riseborough, Christopher Abbott, Jennifer Jason Leigh
Thriller, Science-fiction, Épouvante, Horreur, États-Unis, 1h44
The Jokers
7 avril 2021 en VOD, 14 avril 2021 en DVD et Blu-Ray

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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