[CRITIQUE] Le Peuple loup

Temps de lecture : 6 minutes.

Depuis l’écriture de cette critique en avril 2021, Le Peuple loup a enfin trouvé son chemin vers les salles de cinéma et a fait un très beau démarrage au jour de sa sortie nationale, le 20 octobre. La preuve qu’après ces longs mois d’attente, le public est au rendez-vous !

Irlande, XVIIe siècle. Robyn, 11 ans, et son père quittent leur Angleterre natale pour se rendre à Kilkenny, en Irlande, où ce dernier doit exterminer la dernière meute de loups du pays. Voulant elle aussi prendre part à la chasse, elle rencontre Mebh, une jeune fille surprenante et sauvage, qui va lui faire découvrir son monde. Un monde sur lequel pèse une grave menace.

Initialement prévu au 16 décembre 2020, le nouveau film de Tomm Moore n’est, à ce jour, pas encore arrivé sur les écrans français. Après un beau succès dans les festivals ayant eu la chance de le programmer (Annecy, TIFF), il est désormais sélectionné aux Oscars dans la catégorie “Meilleur film d’animation” aux côtés de En avant (Dan Scanlon), Soul (Pete Docter, Kemp Powers), Shaun le mouton : la ferme contre-attaque (Richard Phelan, Will Becher) et Voyage vers la Lune (Glen Keane, John Kahrs).

Le Peuple loup est, comme toujours, un film-maison, tourné à Kilkenny, ville natale des deux réalisateurs, adresse du studio Cartoon Saloon (Parvana, Brendan et le secret de Kells, Le Chant de la mer) et, évidemment, lieu de l’intrigue. Une seconde fois, après Brendan, ses réalisateurs font le choix de l’Histoire. Au XVIIe siècle, les terres irlandaises sont gouvernées par Charles Ier, tout comme l’Ecosse et l’Angleterre. C’est ainsi que se cristallisent des tensions entre Britanniques et Irlandais, en pleine rébellion contre cet envahisseur. C’est dans ce contexte que Robyn, jeune Anglaise tout juste arrivée en ville, découvre une nouvelle vie bien loin de la séduire. Son père, chasseur officiel de Messire Protecteur, dirigeant anglais de la ville, terrifiant et peu apprécié du peuple, lui impose de respecter les règles. Elle qui chassait avec plaisir à ses côtés en Angleterre se voit contrainte aux limites de la maison et de la ville. “Les enfants ne sont pas autorisés hors du château”, martèle Messire Protecteur. Le poids de ce nouveau quotidien se fait d’autant plus sentir que Robyn est incroyablement seule, rejetée par les autres enfants, agressifs et stupides envers cette envahisseuse. Bien que son caractère ne la pousse pas à la rébellion, elle brise les règles pour regagner un peu de sa liberté passée. Sa rencontre avec Mebh, enfant des bois rebelle et sauvage, finit de retourner les fondations de l’ordre établi. Alors que tout semble les opposer, un lien magique et précieux naît entre elles. L’oiseau (robin, le rouge-gorge accompagnée de Merlin son faucon) et le loup (Mebh est une wolfwalker, une femme-loup) sont finalement faits pour s’entendre. Toutes les deux isolées et orphelines de mère (de manière plus ou moins pérenne), elles s’attachent rapidement l’une à l’autre et construisent une magnifique amitié. 

À cela s’ajoute un beau discours sur l’enfance et le féminisme. Pour Robyn, il n’est pas tous les jours facile d’être une enfant et une fille, soumise à la fois aux adultes et surtout aux hommes. Du fait de son statut, elle devrait préférer les corvées à la chasse. Au lieu de cela, elle choisit peu à peu la voie de la forêt et de la liberté. Comme dans les précédents films du Cartoon Saloon, monde des enfants et monde des adultes sont en rupture, à l’image d’un Peter Pan moderne, mais s’alimentent également l’un l’autre. Mebh, elle, ne vit pas cette oppression mais sous ses atours rebelles et indomptables, se cache une grande fragilité face à la menace du monde des hommes. Ces deux jeunes filles, fortes et libres, ne seront pas trop de deux pour faire face à l’envahisseur. Et pour vaincre, il faut grandir, en s’ouvrant à l’inconnu et en s’opposant à l’ordre établi. 

L’invasion passe par la destruction. En plus d’occuper un pays qui n’est pas le sien, Messire Protecteur fait régner l’ordre et la terreur, à la manière du Radcliffe de Pocahontas (Eric Goldberg, Mike Gabriel, 1995), et supprime les forêts environnant Kilkenny. Son quotidien est occupé par la destruction progressive de la forêt, et pour ce faire, il faut tuer les loups. Jusqu’au dernier. Tout comme dans ses deux films précédents, Tomm Moore ancre sa fable dans un fort discours écologiste. La destruction de la nature, très liée à la modernisation et à l’urbain, passe par la disparition de l’ancien monde, de la magie et des légendes. Robyn est déracinée et Mebh le sera bientôt car, sous la menace des chasseurs, les loups sont contraints de quitter leurs terres. “Au louuuup !”, c’est à ce cri que l’histoire prend réellement son essor. Se construisant sur la traditionnelle opposition entre le loup et l’homme, Le Peuple loup entame une réflexion sur les apparences et les préjugés. Ici, le Grand Méchant Loup se transforme en bête sociable et joueuse, malgré les superstitions et ses longues dents, animal tremblant également de la folie et de la bêtise des hommes prêts à tout pour arriver à leurs fins. C’est la soif de pouvoir qui guide l’humain alors que c’est la liberté qui anime le loup – et par là même la Nature. C’est cette liberté qu’il faut sauver à tout prix, même lorsque la peur se communique d’être en être. Robyn, “déjà en cage”, s’oppose ainsi à son père, contraint par la peur d’agir contre son gré et d’accomplir une tâche terrible.

Nous voulions reparler de toutes les choses abordées dans mes deux premiers films”, déclare Tomm Moore (Blink Blank n°2). Le réalisateur clôt ainsi son triptyque sur le folklore irlandais par Le Peuple loup. Tout comme dans les opus précédents, le fantastique est central. Reprenant la légende des wolfwalkers (titre original du film et terme également employé dans la V.F.), il nous permet de plonger à nouveau dans les contes irlandais, souvent trop peu connus de notre côté de la mer. Ces wolfwalkers sont inspirés des loups d’Ossory, des loups-garous celtes inoffensifs. Ils seraient les descendants d’un certain Laignech Fáelad, un guerrier qui avait le pouvoir de se transformer en loup quand il le voulait. Ici, c’est pendant son sommeil que Mebh prend la forme d’un loup. Dotée de pouvoirs magiques, elle est également capable de soigner humains et animaux. 

Comme dans Brendan et le secret de Kells et Le Chant de la mer, les décors sont superbes. Féériques et enchanteurs, une certaine magie s’en dégage et termine de nous convaincre quant à l’existence des légendes. Dans ce nouveau film, les animateurs ont expérimenté de nouvelles techniques d’animation et se sont particulièrement inspirés du Conte de la princesse Kaguya d’Isao Takahata (2013). L’animation en deux dimensions si caractéristique de Tomm Moore s’inscrit une nouvelle fois dans le mouvement : de nombreux traits de construction soulignent les actions des personnages. Mais cette fois-ci, les personnages se rapprochent un peu plus du cartoon à l’américaine : plus ronds (notamment au niveau des yeux), avec des teintes plus franches, des jeux d’ombres et un aspect plus lisse, ils se détachent d’autant plus des décors aux couleurs tendres. Les gags sont d’ailleurs souvent soulignés par des effets (exagération d’un geste, suspension dans le vide avant une chute…). Il suffit de contempler quelques images du film pour voir à quel point le travail des animateurs et des dessinateurs est splendide. 

S’il fallait un petit bémol à ce portrait enchanteur, la séquence finale, purement conclusive, ne semble pas forcément nécessaire sous ses atours idylliques et quelque peu clichés. De même, la chanson principale Running with the wolves d’Aurora est un peu en décalage, avec son petit côté disneyesque, avec la superbe bande-son, à la fois moderne et traditionnelle, de Bruno Coulais (compositeur présent depuis le début de l’aventure Tomm Moore), sublimant toujours aussi parfaitement l’image. Le doublage est lui aussi très bon, que ce soit en V.F. ou en V.O., même si une petite préférence pour la seconde et ses beaux accents (qui, ici, soulignent le décalage entre Irlandais et Anglais) se fait sentir. C’est tout de même Sean Bean qui prête sa voix au personnage du père !

La découverte de cette nouvelle merveille de l’animation irlandaise est encore une fois un magnifique moment. L’univers est, comme toujours, riche et passionnant et tout.e spectateur.rice serait ravi.e de plonger des heures durant dans ces sublimes plans d’ensemble qu’on voudrait réels. Le Peuple loup propose une belle histoire de solidarité et d’amitié entre deux héroïnes fortes et rebelles, au cœur de la magie des légendes, fascinante jusqu’au bout de son générique illustré par de nombreux dessins de travail… Vivement la prochaine production de Cartoon Saloon ! 

Alors, prêt.e.s à “faire partie de la meute” ?

Manon Koken

Le Peuple loup (Wolfwalkers)
Réalisé par Tomm Moore et Ross Stewart
Avec les voix de Lévanah Solomon, Lana Ropion, Serge Biavan (VF)
Aventure, Fantastique, Animation, Irlande, Etats-Unis, Luxembourg, 1h43
À partir de 7 ans
Apple TV+, Haut et Court
2020 – Date de sortie inconnue

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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