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Cette année, les films nommés dans la catégorie “Courts-métrages documentaires” pour les Oscars mettent en avant des sujets forts et importants, liés à divers événements ayant eu lieu dans le monde entier (manifestations à Hong-Kong, famine au Yémen, violence envers la population afro-américaine). Mais ces films travaillent aussi la question de la mémoire et de l’importance des souvenirs et de leur transmission. Ces documentaires s’accrochent à des visages, des actes, des mots qui dorénavant, vivront pour toujours.
Colette – Anthony Giacchino et Alice Doyard
En 2019, Colette Marin-Catherine, ancienne résistante en Normandie, décide de partir sur les traces de son grand-frère, Jean-Pierre Catherine, déporté et mort dans le camp de concentration de Dora en 1945, à l’âge de dix-neuf ans. Accompagnée de la jeune Lucie Fouble, elle se rend pour la première fois en Allemagne.
Bien que tourné en France et en Allemagne, le court-métrage Colette est un documentaire américain réalisé par Anthony Giacchino et co-produit par Alice Doyard et par les développeurs de jeux vidéos Respawn Entertainment et Oculus VR. C’est la première fois qu’une société de jeux vidéo reçoit une nomination aux Oscars.
Durant vingt-cinq minutes nous suivons le travail de mémoire entamé par Colette, ancienne résistante et par Lucie Fouble, jeune étudiante et bénévole au centre mémoriel de la coupole d’Helfaut-Wizernes. Cette dernière s’est lancée dans la rédaction d’un dictionnaire biographique des déportés de France passés par le camp de concentration de Dora, à Nordhausen en Allemagne. Parmi les victimes de la machinerie nazie, Jean-Pierre Catherine, le frère de Colette.
Le sujet est difficile, certaines images sont insoutenables mais nécessaires pour ne pas oublier le passé. Le film parle des souvenirs mais aussi de l’importance de la transmission entre différentes générations. Lucie et Colette forment un duo surprenant mais admirable que l’on voit naître et auquel on s’attache rapidement. La plus jeune manque parfois de naturel lorsqu’il s’agit de questionner l’ancienne résistante mais cela peut s’expliquer par son admiration évidente pour Colette. Cette nonagénaire est terriblement touchante et, à travers elle, on découvre tout un pan de l’histoire de France. Pleine d’humilité, elle avoue ne pas se considérer comme une héroïne (bien qu’avec sa famille, elle ait fait partie des premiers résistants français) et admet aussi que perdre son frère était une douleur immense mais que les mots de sa mère à la suite de ce décès lui ont fait tout autant de mal. Tout d’abord courageuse, elle change totalement de visage dès son arrivée en Allemagne ; subitement nerveuse, agressive, émotive, Colette se laisse – tout comme Lucie – submerger par l’horreur qu’elle résume en une phrase : “C’est Dante sur Terre’’.
Ce documentaire fait sans nul doute partie de ces œuvres nécessaires sur les camps de concentration, les déportés et leurs histoires. De plus, il met en exergue un problème important, celui du “tourisme morbide”. Malheureusement, il pèche aussi parfois par sa forme et par quelques plans maladroits
A Concerto is a Conversation – Ben Proudfoot et Kris Bowers
Un pianiste de jazz virtuose (Kris Bowers) retrace la lignée de sa famille à travers le parcours de son grand-père de 91 ans, de la Floride de Jim Crow au Walt Disney Concert Hall.
Kris Bowers est un jeune pianiste et compositeur américain de 31 ans, connu pour ses musiques de film (Green Book, When They See Us, Respect, ou encore le prochain Space Jam). Face à lui, son grand-père, Horace Bowers, Sr. propriétaire d’une blanchisserie depuis l’âge de 20 ans.
Soucieux d’en apprendre davantage sur l’histoire de sa famille, la musicien questionne son aîné et son parcours, débuté dans le sud des États-Unis. Nous découvrons alors à travers les mots du grand-père une vie marquée par la ségrégation raciale et l’inégalité qui le pousseront à fuir jusqu’à Los Angeles, ville dans laquelle il devra encore cacher la couleur de sa peau pour réussir. Filmé en gros plan, face caméra, Kris réagit aux récits de son aîné, tantôt amusé par les ruses qui permettront à Horace de réussir malgré le racisme ambiant, tantôt attristé par l’injustice qu’il a subi tout au long de sa vie. À l’aide de ces commentaires, de plans fixes et de quelques images d’archives, ce documentaire de treize minutes en dit sûrement plus que certains longs-métrages quant à l’intégration des Afro-Américains aux États-Unis.
Le film repose aussi beaucoup sur la relation affectueuse entretenue par les deux hommes. Kris admet avoir connu des difficultés mais comprend également qu’il a pu jouir de certaines facilités grâce à ce grand-père courageux et sage. Il l’admire et d’une certaine façon, veut lui ressembler.
A Concerto is a Conversation est un film puissant, malgré sa simplicité esthétique. Tout se passe dans les mots, les regards, les gestes entre deux hommes fiers l’un de l’autre.
Do Not Split – Anders Hammer and Charlotte Cook
En 2019, Hong Kong est secoué par d’importantes manifestations. Do Not Split est l’histoire de ces manifestations pro-démocratiques qui se transformèrent en un conflit violent contre la police.
En septembre 2019, des millions de jeunes manifestants défilaient pacifiquement dans les rues de Hong-Kong pour protester contre la loi d’extradition qui aurait permis à la ville de transférer ses détenus vers la Chine et donc de les juger selon le système judiciaire de Pékin. Quelques semaines plus tard, la police hongkongaise mit en place une répression armée et violente qui ne fit qu’exacerber une colère profonde.
Anders Hammer s’est projeté dans cette période sombre de la ville. Caméra au poing, il est allé sur le terrain pour filmer les attaques, les actions mais aussi le siège de l’Université Polytechnique de Hong-Kong (PolyU). Il nous plonge au cœur des mouvements de foule, nous montre la panique, la fureur, la peur mais aussi l’organisation et la solidarité entre manifestants. Au milieu de ces images d’une violence inouïe, des témoignages de jeunes manifestants pour la plupart anonymes (par peur des représailles) ou de Joey Siu, étudiante devenue activiste. Leurs mots dévoilent une désillusion très forte quant à l’avenir de leur ville mais aussi l’impression d’abandon de la part de la Grande-Bretagne. Pour rappel, Hong-Kong est une ville au statut complexe. Ancienne colonie Britannique, elle est soumise à une rétrocession à la Chine à partir de 1997. Bien qu’une loi interdise à la Chine d’appliquer son régime avant 2047, la ville de Hong-Kong subit depuis plus de vingt ans de nombreux bouleversements politiques. Les visages, les corps et les esprits sont marqués. Ce film court, au montage parfois chaotique propose une expérience intense et une plongée dans le quotidien de cette jeunesse hongkongaise prête à tout pour se faire entendre.
Do not Split est aujourd’hui interdit en Chine. De plus, sa nomination pour l’Oscar du “Meilleur court-métrage documentaire” a poussé le pays à interdire la diffusion de la cérémonie du 25 avril. Une raison de plus pour découvrir ce film !
Sont également nommés dans la catégorie du meilleure court-métrage documentaire :
Hunger Ward – Skye Fitzgerald et Michael Scheuerman
Ce film est le portrait du Docteur Aida Alsadeeq et de l’infirmière Mekkia Mahd, deux femmes qui luttent contre la famine au Yémen.
A Love Song for Latasha – Sophia Nahli Allison et Janice Duncan
Le documentaire, disponible sur Netflix, revient sur l’histoire de Latasha Harlins, une adolescente noire tuée à bout portant dans une épicerie en 1991. Sa mort et le fait que la coupable ait échappé à la prison avaient été à l’origine des émeutes survenues à Los Angeles en 1992.
Camille Dubois
Colette
Réalisé par Anthony Giacchino et Alice Doyard
Documentaire, 25 minutes, États-Unis, 2020
Time Travel Unlimited
A concerto is a conversation
Réalisé par Ben Proudfoot et Kris Bowers
Documentaire, 13 minutes, États-Unis, 2021
Breakwater Studios
Do Not Split
Réalisé par Anders Hammer and Charlotte Cook
Documentaire, 35 minutes, États-Unis, 2020
Hammertime