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Jasna revient en Croatie, après avoir refait sa vie en Allemagne, pour s’occuper de sa mère malade. Anka, pourtant, refuse toute aide et fait vivre un enfer à sa fille.
Pour son premier film, Jure Pavlović, cinéaste croate, réalise une œuvre inspirée en partie de son vécu. Il filme avec une certaine tendresse l’endroit où il a grandi et, à travers le personnage de Jasna, exprime son rapport à l’authenticité des situations. Il nous conte aussi une relation complexe entre une mère tyrannique et une fille qui a préféré construire sa vie ailleurs pour oublier son enfance malheureuse.
Le réalisateur prend le parti pris esthétique de toujours rester au côté de sa protagoniste principale. En effet, il ne quitte jamais Jasna qui est au centre ou en amorce de ses plans. Derrière elle, les personnages sont floutés et les actions semblent loin, comme si Jasna était à la fois connectée et déconnectée du monde qui l’entourait. Au contact de sa mère peu aimante qu’elle a tenté de fuir, elle se referme sur elle-même et cela est retranscrit par ce cadre serré autour d’elle. Jasna se construit une barrière autour d’elle et ne laisse personne entrer. Si elle parvient à comprendre Anka et son mode de fonctionnement, cela ne simplifie pas sa vie où elle oscille entre colère et culpabilité. Ces tensions impactent directement la mise en scène. Pour rester au plus proche de ce que l’héroïne ressent, c’est une véritable chorégraphie qui s’installe entre l’actrice Daria Lorenci-Flatz et la chef opératrice Jana Plečaš et son caméraman Pavel Posavec. Le cinéaste garde toujours à distance les autres personnages et ce n’est qu’à la fin, quand Jasna retrouve sa famille, que le cadre accepte quelqu’un d’autre en son centre. Dans un moment émouvant, Jasna embrasse sa fille et la tient tendrement contre elle. Le plan marque la différence entre elle et sa mère. Deux générations et deux manières d’élever les enfants. À la suite de ce plan, c’est la mère, Anka, qui sur son lit de malade, regarde les enfants joués autour d’elle. C’est le premier plan du film où n’apparaît pas Jasna et il montre l’évolution de la mère qui se trouve adouci par la maladie et les soins de sa fille.
Si le dispositif filmique peut, au début, déstabiliser, cela offre de l’originalité au long-métrage qui reste malheureusement assez classique autour des relations entre parents et enfants. Cette mise en scène invite les spectateur.trice.s a faire totalement corps avec Jasna et ses émotions. La force de cette idée explose dans une confrontation où Anka alitée refuse d’entendre qu’elle a martyrisé ses enfants. Malgré les preuves — une cicatrice, un fouet — la mère argue que Jasna a tout imaginé. D’une rare violence, l’émotion nous prend à la gorge, grâce à ce visage que nous avons appris à connaître.
Il fallait donc pour porter Jasna une actrice qui parvienne à faire passer sur son visage et dans son corps les émotions et les tensions entre les différents protagonistes et elle. Qu’elle s’exclut volontairement ou qu’elle se sente hors de la scène, Jasna reste au centre de l’action. La comédienne bosniaque et croate, Daria Lorenci-Flatz, parvient à incarner la fragilité de Jasna et à lui donner vie. La force et l’intérêt du film tiennent surtout à son interprétation et à la mise en scène de Jure Pavlović.
Marine Moutot
Mère et fille
Réalisé par Jure Pavlović
Avec Malik Zidi, Leynar Gomez, Thomas Chabrol
Drame, Croatie, 1h37
Damned Films
2 juin 2021