Temps de lecture : 6 minutes.
Dans le grand royaume de Kumandra, dragons et humains vivaient autrefois en harmonie jusqu’à ce qu’une terrible force maléfique s’éveille. Afin de sauver le monde, les dragons se sacrifièrent pour protéger le peuple. Cinq siècles plus tard, la menace frappe à nouveau. Une jeune guerrière, Raya, part alors à la recherche du dernier dragon, Sisu.
Après Soul (Pete Docter, Kemp Powers) et En avant (Dan Scanlon), sortis en 2020 malgré le climat culturel particulièrement perturbé, Raya et le dernier dragon est le premier Disney animé de 2021. Prévu pour l’an dernier mais reporté à cause de la crise sanitaire, il devait arriver le 14 avril sur les écrans français via la plateforme Disney +. Il débarque enfin en ce vendredi 4 juin. Sa sortie aux États-Unis et en Malaisie a pourtant déjà animé le bouche-à-oreille pour deux raisons. Tout d’abord, le film a rapidement été accusé de racisme. Bien que son univers, scénarisé par les auteur.rice.s vietnamiens, Adele Lim et Qui Nguyen, soit totalement imaginaire, il propose un condensé de différentes cultures d’Asie du Sud-Est. Ce mélange non identifié de références culturelles et ethniques n’a pas été particulièrement bien reçu par les spectateur.rice.s, notamment en Malaisie, jugeant qu’au vu du racisme ordinaire subi quotidiennement, il était très important de différencier les cultures asiatiques. De plus, les doubleurs et doubleuses sont presque tous d’origine chinoise ou coréenne. Nombreux sont donc les spectateur.rice.s à avoir refusé de découvrir ce nouveau Disney. Face à ces arguments, les créateurs expliquent leur désir sincère de rendre hommage à la diversité des cultures asiatiques et l’ancrage dans le fantastique appuie leur démarche. Par ailleurs, son démarrage est plutôt décevant dans les salles encore ouvertes, mais également en ligne car sa SVOD américaine très coûteuse (30$ en accès premium) semble freiner les spectateur.rice.s. Il s’agit peut-être là du contrecoup du choix de précipiter la sortie de Raya en utilisant le joker plateforme (Disney est évidemment propriétaire de Disney + et, en cas de succès, point de division des parts avec les salles et autres diffuseurs) au lieu d’attendre la réouverture totale des salles dans le monde.
Dès les premières minutes, la voix off de l’héroïne nous guide et nous plonge dans ce conte contemporain. Ce sera donc un récit à la première personne qui, plus tard, sera rejoint par un chœur d’alliés tout aussi intéressants. Raya est un personnage attachant et pour parfaire ce point, le film s’applique à nous ouvrir la fenêtre de son enfance par l’intermédiaire d’un long flashback, nous faisant découvrir ses origines, ses nombreuses qualités (elle est confiante, courageuse, déterminée et a un grand cœur) mais également ses traumatismes… C’est d’ailleurs à partir de là que commence réellement l’intrigue. Innocente et généreuse, Raya ouvre son cœur à la mauvaise personne et précipite le destin d’une terre déjà fragilisée et divisée par les jalousies entre peuples. Les inégalités entre ethnies alimentent les rancœurs et les apparences en deviennent souvent trompeuses. L’innocence enfantine est ainsi punie – à tort -, et le cheminement de Raya s’assimile à une lente reconstruction de la confiance. Pour sauver son monde et rétablir l’ordre initial, elle doit réussir à ouvrir son cœur à nouveau et faire front commun.
Car Raya n’est pas seule. Épaulée par son fidèle compagnon Tuk Tuk, une sorte de tatou géant, elle est rapidement rejointe par Sisu, la dernière dragonne. Au fur et à mesure du périple, nous découvrons des personnages attachants (notamment un jeune garçon, Boun, très semblable à celui de Coco (Adrian Molina, Lee Unkrich, 2017) par son caractère et son apparence), mais surtout trois héroïnes solitaires : Raya, Sisu et Namaari. Toutes trois sont les dernières héritières de leur peuple. À travers elles, le discours sur la pression et l’influence familiale se construit. Raya se sent responsable de la disparition de son père, figé par l’horrible Drone, l’étrange mal qui touche Kumandra, Sisu de celle de ses frères et sœurs et Namaari, des difficultés que traversent son peuple. Sur les épaules de cette dernière, princesse-guerrière comme Raya, pèse d’ailleurs le regard de sa mère, Virana, reine de Crocs du Dragon, qu’elle devra un jour défier pour se libérer. Ces trois guerrières, très fortes (même lorsqu’elles ne croient pas en elles) et bad ass, vont se croiser à de nombreuses reprises donnant lieu à de très belles scènes de combat, inventives et énergiques, dignes de Mulan (Barry Cook, Tony Bancroft, 1998) et d’Indiana Jones (Steven Spielberg, 1981-2008).
Le périple très linéaire de Raya et ses allié.e.s, indiqué clairement sur une carte du royaume de Kumandra, lui apporte à chaque fois et de manière très logique un nouvel allié. Le long d’un fleuve en forme de long reptile se regroupent cinq villages : Crocs du dragon, Coeur du dragon (le village de Raya), Griffe du dragon, Dos du dragon et Queue du dragon. Bien que la véritable raison de la disparition des dragons (autre que le mystérieux mal qui ronge Kumandra) ne soit pas évoquée, les spectateurs supposent qu’elle prend sa source dans les divisions des hommes. Raya et le dernier dragon porte alors aussi une leçon de solidarité. C’est en reconstituant la Pierre des dragons, brisée par la trahison et la bêtise humaine, que le monde peut être sauvé.
Avec ses dialogues souvent très contemporains (Namaari et Raya sont de “vraies fans de dragons”), Raya et le dernier dragon semble même faire un clin d’œil à notre société (ainsi qu’à l’industrie Disney et l’importance de son marketing). Le film propose à son héroïne une quête initiatique à la logique plus qu’évidente (un peu trop ?) qui fonctionne bien : quatre villages à traverser, quatre morceaux de pierre à retrouver, quatre ennemi.e.s à affronter. En réglant les anciennes tensions, le présent s’améliore finalement assez facilement. Véritable invitation au voyage et à la découverte (après tout, Raya n’a jamais quitté ses terres et découvre avec nous son pays), c’est une œuvre crédible, pleine de belles trouvailles (bien que pas toutes originales) et à l’univers riche que propose Disney. C’est également dans des décors magnifiques (dont on sent le gros travail sur l’architecture) qu’évoluent Raya et ses ami.e.s. Mélangeant animation 3D et 2D (avec un effet de marionnettes à la texture de papier), tout numérique, la beauté de l’image fait la force du récit.
Mais aventure Disney oblige, les bons sentiments sont aussi au rendez-vous et la crédulité de certains personnages et la facilité de résolution de l’intrigue pèchent un peu. Le design de Sisu, sorte de dragon à la crinière multicolore de licorne, ne convainc pas forcément, tout comme son caractère très naïf. Caution humoristique du film, elle fait prendre des risques à ses ami.e.s et fatigue. Mais la leçon étant qu’il faut croire en son prochain, son comportement – sympathique, il faut le dire – finit par faire office de morale. La déception vient peut-être alors d’une habitude et d’une préférence pour des dragons plus classiques et plus impressionnants comme le terrible Smaug (Le Hobbit, Peter Jackson, 2012-2014), l’impressionnante dragonne Dragon (Shrek, Andrew Adamson, Vicky Jenson, 2001) ou la transformation reptilienne de Maléfique (La Belle au bois dormant, Clyde Geronimi, 1959). De même, le bébé Noi, voleuse professionnelle, qui rejoint l’aventure plus tard, lui aussi source de comique, est quelque peu grotesque et ses gags redondants. Pour finir, le méchant Drone, sorte de mal effervescent, représenté par une fumée noire et mauve fluo mouvante, figeant tout sur son passage, bien que terrifiant par ses actes et sa légende, manque de personnalité (si l’on peut dire). En ne s’incarnant pas réellement, il ne semble exister que dans quelques scènes d’apocalypse. Pourtant, cette dimension de virus, effrayant et imbattable, devrait faire sens aujourd’hui. L’incarnation en un méchant unique, comme Disney en a l’habitude, ne semble plus désormais obligatoire.
Bien qu’un peu moins satisfaisant par certains côtés, Raya et le dernier dragon devrait (si sa distribution le permet) se hisser aux côtés des bonnes productions Disney des dernières années que sont Zootopie (Byron Howard, Rich Moore, 2016), Vaiana, la Légende du bout du monde (Ron Clements, John Musker, 2016) et Coco, relevant un peu le niveau après les dernières sorties surtout marquées par des suites (Les Indestructibles 2, La Reine des Neiges 2, Ralph 2.0). Plus intense que Soul, il devrait atteindre un public plus jeune avec sa nouvelle aventure plutôt convaincante dotée d’une très bonne bande originale et de magnifiques décors. Une véritable aventure fantastique et épique !
Manon Koken
Raya et le dernier dragon (Raya and the last dragon)
Réalisé par Don Hall, Carlos Lopez Estrada, Paul Briggs, John Ripa
Avec les voix de Emilie Rault, Géraldine Nakache, Jade Phan-Gia (VF)
Aventure, Fantastique, Animation, Etats-Unis, 1h47
The Walt Disney Company France
Disponible sur Disney + à partir du 4 juin 2021