Temps de lecture : 2 minutes.
Sophie, un peu paumée, rêve de devenir dessinatrice. Elle commence à travailler dans une maison d’édition de bandes dessinées — pardon de romans graphiques — et cherche l’amour. Mais alors qu’elle apprend à prendre confiance en elle, tout semble s’écrouler.
Le premier long-métrage de Nine Antico — illustratrice et auteure de bande dessinée — s’ouvre sur une musique de Daniel Johnston : True Love Will Find You in the End. Dans un noir et blanc mélancolique, la cinéaste montre sa protagoniste principale, Sophie, au milieu du métro parisien. Les gens ne se regardent pas et semblent perdu.e.s, coupé.e.s des autres. La seule action qui les sort de leur torpeur est un coup de boule mis par un voleur à un homme en costume. Le film est lancé par ce coup d’éclat qui annonce l’ensemble du récit : Sophie va s’en prendre plein la gueule.
Playlist est une œuvre solaire. Plein de poésie et très attachant, ce film raconte l’évolution d’une jeune femme qui n’a pas envie d’abandonner ses rêves. Fortement inspirée de l’expérience de Nine Antico, l’histoire possède une aura nostalgique troublante. Alors que l’héroïne passe d’homme en homme, le récit nous parle surtout d’émancipation. Que cela passe par des puces de lit, par un vaisseau sanguin qui explose ou par un boss tyrannique. En voulant mener de front sa vie sentimentale et professionnelle, Sophie part dans tous les sens. Incapable de se poser pour réfléchir, elle dessine tout le temps. Pendant tout le film, elle crayonne. Regarde le monde et le pose sur le papier. Elle sort son petit cahier et le montre parfois pour avoir des retours. Mais les commentaires ne sont pas constructifs : il faut qu’elle continue, elle aurait dû faire une école d’art, c’est brouillon, c’est vivant… À travers ses différentes expériences, Sophie évolue, régresse. Elle grandit, malgré tout. Pour montrer à la fois son désir d’être aimée — par les hommes — et de s’en détacher, la mise en scène écrit sur l’écran le nom des personnages masculins que côtoie Sophie, ou les barre. Le premier, Jean, est cuisinier dans la brasserie où elle travaillait. Enceinte de lui, elle pensait avoir trouvé le bon, mais il ne l’aimait pas. Pas forcément méchant, il est aussi paumé qu’elle. Par la suite, c’est un dessinateur de roman graphique un peu imbu de lui-même et libertin, ou peut-être son boss colérique ou encore un vendeur de matelas qui veut prendre son temps… Elle est entourée d’hommes. C’est d’ailleurs une voix off masculine qui dicte les pensées et actions de la jeune femme. En s’apparentant à la BD ou aux didascalies dans le scénario d’un film, cette voix — interprétée par Bertrand Belin — figure une vision masculine et une domination patriarcale des femmes. Au moment où la narration rencontre l’action, le narrateur devient le réalisateur d’un film qui veut montrer une femme qui se rase la tête, qui passe de la victime à la guerrière. Il expose un fantasme de la femme forte et indépendante. Cette représentation est pleine de clichés. Et Sophie apprend à s’en détacher.
La musique vient rythmer le film — comme le laisse sous-entendre le titre, Playlist. La chanson de Daniel Johnston, True Love Will Find You in the End, revient tel un leitmotiv ponctué les quêtes foutraques de Sophie. Les paroles ont leur importance, car à plusieurs moments, l’héroïne pense que « l’amour véritable finit bien par vous tomber dessus ». Elle apprend pourtant avec son amie, Julia, que ce n’est pas vrai et que ce que l’on désire, il faut aller le chercher avec rage et envie. Pour interpréter Sophie, Sara Forestier apporte son indépendance et son grain de folie qui vont si bien au personnage. En face, Laetitia Dosch (Julia) irradie en jeune femme qui veut devenir actrice. Le duo fonctionne à merveille. Playlist est un long-métrage féministe, léger et jouissif.
Marine Moutot
Playlist
Réalisé par Nine Antico
Avec Sara Forestier, Laetitia Dosch, Inas Chanti
Comédie, France, 1h27
KMBO
2 juin 2021