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Suzanne, 16 ans, s’ennuie dans son quotidien de lycéenne parisienne. Les autres adolescents ne l’intéressent pas. Sur son chemin quotidien, elle rencontre un homme plus âgé, comédien au Théâtre de l’Atelier. Cette relation devient rapidement centrale pour elle.
Seize printemps s’ouvre sur un café au milieu de cancans adolescents. Dans ce premier plan rapproché, une figure se détache, si isolée dans ce groupe, si mutique parmi les paroles qui fusent : Suzanne. Le message est clair : Suzanne, bien que particulièrement bien entourée – on se demande d’ailleurs régulièrement pourquoi – est en décalage. Solitaire et – apparemment – plus mature que ses camarades, elle est au-dessus des ragots, peu intéressée par les booms et les garçons. Pourtant, quand son regard croise celui de Raphaël, 35 ans, c’est une évidence : leurs chemins doivent se croiser. L’observant à la terrasse d’un café, passant chaque jour devant le théâtre de l’Atelier, singeant ses mimiques, Suzanne rassemble peu à peu les conditions de leur rencontre, grossièrement annoncée par le rôle du comédien. En effet, Raphaël joue chaque soir sur les planches Eraste, nom évocateur d’un homme adulte ayant une relation avec un adolescent. Ici, une adolescente.
Malgré son décalage, Suzanne a bien 16 printemps. Étrange aux spectateur.rice.s, aucun des protagonistes ne semble pourtant le remarquer à l’exception de la déclaration finale du paternel, réveillé par sa cadette à 2h du matin dans le lit conjugal afin de s’assurer qu’ils vont bien. La jeune femme semble parfaitement intégrée auprès de ses camarades qui la traitent comme leur égale, malgré ses attitudes pour le moins étonnantes et la quasi absence de leurs échanges. Il en va de même avec les parents. Plutôt détendus, ils entretiennent avec Suzanne une relation oscillant entre distance et proximité, se résumant au partage de scènes de repas à l’intimité artificielle, à une danse supposée touchante avec la mère et des questions improbables au père. Chacun semble évoluer dans son monde et ne pas remarquer l’artificialité – involontaire – de ce quotidien.
Ses conversations avec Raphaël sont d’ailleurs aussi peu nombreuses. Rien ne semble les lier à part leurs rendez-vous à l’intensité folle – supposée, car rien ne transparaît à l’écran. Alors que leur premier échange semblait annoncer un contrepied à la classique scène de rencontre – c’est Raphaël qui fait le premier pas, lui demandant du feu alors que sa cigarette est déjà allumée -, il n’en est rien. Suzanne montre seulement un semblant d’assurance qui lui vaut de décrocher un petit déjeuner, premier moment d’une longue suite de silences soi-disant énamourés. Sûrement très inspirée par Christophe Honoré, Suzanne Lindon a également l’idée – mauvaise, il va sans dire – d’intégrer des scènes de danse symbolisant l’osmose du couple. Cela ne prend tout simplement pas : sans la moindre synchronicité dans leurs mouvements, ces moments de suspens sont creux et dénués de toute émotion et de toute grâce.
Et c’est bien là qu’est le problème. Suzanne et Raphaël forment un couple qui n’existe tout simplement pas à l’écran – ou peut-être dans le cerveau des personnages, imbus de leur histoire. Cette relation platonique se résume au silence, un silence où aucune émotion ne transparaît. Leur seul point commun : l’ennui du quotidien et des proches. Avant même que la relation ne prenne son envol, elle est déjà finie, sans justification des protagonistes et sans compréhension des spectateur.rice.s, perplexes devant les larmes de Suzanne. Rien n’en reste, à part peut-être une obsession du diabolo grenadine.
Ce manque de réalisme se poursuit également dans le décor. Évoluant uniquement dans un Paris aux faux-airs de grand village, Suzanne alterne entre vie au domicile parental, rencontres avec son amoureux et quelques heures passées en classe. On peine à croire qu’elle soit vraiment lycéenne. Cette enfance privilégiée, foncièrement ennuyeuse pour la protagoniste et les spectateur.rice.s, est loin de séduire, semblant tenter une pâle ébauche des années 60 d’Eric Rohmer. Paris ne se reconnaît qu’au son de la circulation et à quelques enseignes perçues à l’arrière-plan.
Après trente minutes, lassé.e.s, les conjectures fusent quant aux quarante-cinq suivantes. Raphaël va-t-il exercer une emprise sur Suzanne ? Tout ceci n’est-il que le fantasme de l’esprit de la jeune femme qui bientôt devra revenir à la réalité ? La naissance d’une obsession qui prendra bientôt une toute nouvelle ampleur ? Ou bien est-ce là un appel à l’aide face à son manque d’intérêt et d’emprise sur le réel ? Autant de pistes probables qui ne trouvent pas confirmation et laisse la place à l’inlassable répétition du manège quotidien : petit déjeuner, lycée, retrouvailles en amoureux, soirées avec les comédiens, petit déjeuner, lycée…
Suzanne Lindon, 19 ans, réalise, écrit et joue, et malheureusement cela ne suffit pas. A force de mimiques artificielles et d’airs absents soit-disant mystérieux, son personnage peine à plaire et fatigue avec sa chemise blanche Chanel qu’il se borne à arborer, symbole de son innocence. Répétitif, peu réaliste et stagnant, le scénario, qui aurait pu séduire par son épure, reste bancal et surtout particulièrement ennuyeux. On retient seulement un échange infructueux légèrement humoristique entre Suzanne et un chef décorateur et une intervention de Dominique Besnehard, revêtu de ses habits de metteur en scène : “Prends un chocolat. J’ai des chocolats. Tu vas voir c’est super !”. Pas grand chose, en somme. Seize printemps est un film profondément immature alors qu’il se veut l’inverse. Que faisait donc ce film dans la sélection officielle cannoise 2020 ? La faute, peut-être, à une saison perturbée ?
Manon Koken
Seize printemps
Réalisé par Suzanne Lindon
Avec Suzanne Lindon, Arnaud Valois, Florence Viala
Drame, Romance, France, 2020, 1h14
Paname Distribution
16 juin 2021