[CRITIQUE] Les Racines du monde

Temps de lecture : 3 minutes.

Amra, 12 ans, vit avec sa famille dans les steppes de Mongolie. Avec les autres nomades, il mène un quotidien de lutte face au pouvoir grandissant des sociétés minières internationales qui pillent leurs terres à la recherche d’or. Un drame survient et le force à grandir bien plus vite que prévu, quitte à mettre de côté son rêve de participer à Mongolia’s got talent.

Les Racines du monde est la belle découverte de la semaine dernière. La réalisatrice mongole Byambasuren Davaa (L’Histoire du chameau qui pleure, Le Chien jaune de Mongolie, Les Deux chevaux de Gengis Khan), installée depuis de nombreuses années en Allemagne, écrit un nouveau chapitre de l’histoire filmée de son pays d’origine. Touchée par l’urgence environnementale dans laquelle il se trouve, elle réalise ce film après un voyage en terres natales. Avec ce quatrième long-métrage, elle se tourne vers la fiction, une fiction irriguée de réel et de questionnements contemporains. 

Le film éclaire notre regard sur la Mongolie contemporaine, tiraillée entre disparition progressive des traditions et développement rapide de la société moderne. Face aux difficultés toujours plus nombreuses, certains nomades, littéralement “ceux qui se sont installés” en mongol, abandonnent leur mode de vie ancestral pour devenir citadins et s’installer à la capitale Oulan-Bator. 

Les paysages d’une beauté à couper le souffle semblent infinis avec ce cadrage si appliqué et juste. Il est avant tout un révélateur des drames qui se nouent directement sur ces terres : assèchement des sources d’eau, déracinement des nomades, destruction des paysages, exploitation abusive des steppes… Les mutations brutales qui frappent le pays s’inscrivent dans la mondialisation dans laquelle la Mongolie fait office de fournisseur de matières premières, et ce au détriment de sa croissance et de ses peuples. À une époque où l’Occident commence à ouvrir les yeux sur un retour à une vie plus simple et une recherche d’harmonie avec la nature, la Mongolie se retrouve au cœur du développement rapide d’un rêve de vie matérialiste. La course à la modernité ne disparaît pas mais s’exporte pour mieux se propager ailleurs.

Les Racines du monde n’est pas seulement un révélateur à l’échelle du pays. Il s’intéresse avant tout à Amra, 12 ans, et à sa famille de nomades éleveurs de chèvres. Avec lui, nous plongeons dans un quotidien et des problématiques à l’échelle de la communauté, dans une proximité semblable à celle créée par Balloon (Pema Tseden, 2019).

Le récit, scindé par la tragédie, utilise le chant traditionnel comme passerelle entre le passé et le futur, entre les générations et aussi entre les traditions et la modernité. Introduit par le rêve d’Amra, sélectionné pour l’émission Mongolia’s got talent, de devenir chanteur, cet événement, à première vue anodin pour ceux qui l’entourent, prend une nouvelle envergure. Cette place centrale du chant fait d’ailleurs totalement sens comme le rappelle la réalisatrice dans une interview : “Le chant est dans notre sang, transmis par la nature et la vie dans la steppe. (…) le chant est peut-être pour nous une forme de survie, une tactique pour pouvoir exister sur la steppe.” Même avec le développement de la vie citadine, le chant conserve son importance à travers des karaokés hebdomadaires. Toutes les chansons mongoles sont d’ailleurs en lien avec l’environnement et la nature. “Les rivières d’or”, titre choisi par Amra pour concourir, n’y fait pas exception. Bien qu’inventée de toutes pièces par le compositeur mongol et chaman Lkhagvasuren, cette ode diphonique dénonce l’épuisement des ressources naturelles et l’attachement du peuple à la nature. “Lorsque la dernière rivière d’or sera retirée de la terre, elle tombera en poussière.” Image et son font corps et s’entremêlent avec puissance, semblant transcender l’espace dans une dernière séquence magique du film, révélant enfin pleinement la beauté de la voix du jeune garçon, avant d’abattre sa conclusion glaçante : “à ce jour, plus de 20% du sol de la Mongolie est voué à l’exploitation minière, en grande partie via des licences accordées à des compagnies minières internationales.” 

Une petite fenêtre s’ouvre ainsi sur la réalité mongole, si peu connue en Occident. Avec ce sujet magnifique toujours à la frontière du documentaire, Byambasuren Davaa et son jeune acteur, toujours si juste dans son jeu, se font les porte-paroles d’une terre saignée à blanc qu’irriguent Les Racines du monde (Veins of the world en version originale). Une perle du cinéma mongol – si peu présent sur nos écrans – à découvrir absolument.

Manon Koken

Les Racines du monde
Réalisé par Byambasuren Davaa
Avec Bat-Ireedui Batmunkh, Enerel Tumen, Yalalt Namsrai
Drame, Mongolie, Allemagne, 2019, 1h37
Les Films du Préau
16 juin 2021

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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