[DOSSIER] Russell T. Davies : des séries qui rendent fiers

Temps de lecture : 6 minutes

« C’est votre faute. (…) [Il] a grandi en ayant honte de lui et il a tué des gens. (…) Il avait honte. Il n’a jamais cessé d’avoir honte et il a entretenu cette honte en couchant avec des hommes et en les contaminant et puis en s’enfuyant. C’est ce que fait la honte : elle vous fait penser que vous l’avez mérité. Les hôpitaux sont plein d’hommes qui pensent qu’ils l’ont mérité. (…) Ils meurent tous à cause de vous. »

Alors que la communauté LGBT+, dont une partie n’a pas connu les années SIDA, a gagné en visibilité, cette réplique de Jill (Lydia West) dans le dernier épisode de It’s a Sin rappelle l’importance de la Fierté. Un cri symbolique et politique face à la honte, dont le britannique Russell T. Davies est le héraut. Trois mois après la diffusion de sa dernière série et à l’approche de Séries Mania (du 26 août au 2 septembre 2021), ce mois des fiertés est le moment idéal pour faire un panorama de la carrière du scénariste et showrunner et du rôle que ses oeuvres, toujours ancrées dans leur époque, ont joué dans la représentation LGBT+.

Queer as Folk : la précurseur

A Manchester, Stuart (Aidan Gillen), le tombeur, son ami d’enfance Vince (Craig Kelly) et Nathan (Charlie Hunnam), un adolescent, coup d’un soir épris mais éconduit, écument les boîtes de nuit à la recherche de leurs prochains partenaires sexuels. 

En 1999, lorsqu’elle est diffusée sur les écrans britanniques, Queer as Folk est une révolution. Pour la première fois, une série offre aux hommes homosexuels la représentation qu’ils attendaient : pas de queer baiting, pas de tokénisme, l’intrigue est centrée sur la vie sexuelle et amoureuse de personnages explicitement gay. En outre, Channel 4, sur laquelle elle est diffusée, est une chaîne publique. Visible à tous, le sexe homosexuel y est montré sans pusillanimité. Après les années SIDA et alors que la section 28, qui interdit aux autorités locales de “promouvoir” l’homosexualité, est toujours en vigueur, la création et la diffusion de cette série est un geste fort. Elle a ouvert la voie aux suivantes : un remake américain en 2000, The L Word en 2004, Cucumber, Banana et Tofu, sortes de follow-up, entre 2015 et 2016. 

Toutefois, par quelques aspects, ce geste fier des années 90 semble aujourd’hui daté. Sexe avec mineurs, coups d’un soir qui s’enchaînent, drogue, Queer as Folk s’inscrit dans son époque en choisissant de refuser le puritanisme et d’embrasser le monde de la nuit. Mais elle renforce ainsi certains stéréotypes à l’encontre de l’homosexualité masculine. En outre, aujourd’hui, le geste politique queer voudrait une représentation plus variée de la communauté : Canal Street, le quartier gay de Manchester, écumé chaque soir par les personnages de Russell T. Davies, ne semble peuplé que d’hommes à l’expression de genre masculine. Aujourd’hui, à l’heure où la communauté est sensible à la fluidité et la diversité des expressions de genre, à l’heure où la fierté est devenue les fiertés, cela n’est plus tout à fait en adéquation avec ses revendications. 

Malgré ces quelques rides, Queer as Folk est un divertissement agréable et une feel-good series. Bien sûr, l’humour britannique joue à plein, mais son charme repose aussi sur l’écriture des personnages, plus complexes qu’ils n’en ont l’air. Au fil des épisodes, le couple Stuart-Vince se dévoile. Que se joue-t-il vraiment entre ces deux là ? Simples amis, amour à sens unique ou amants en devenir ? Entre amitié et amour platonique, Queer as Folk explore leur relation sans jamais simplifier, laissant le champ libre aux spéculations – des spectateurs comme des autres personnages – et aux projections  Une relation complexe et intemporelle.

Queer as Folk
Créée par Russell T. Davies
Avec Aidan Gillen, Craig Kelly et Charlie Hunnam
1999-2000, Royaume-Uni, 2 saisons
Disponible en VoD sur MyCanal

Doctor Who : les années SF

Toujours entouré de compagnons, le Docteur, extraterrestre quasi-millénaire, voyage à travers le temps et l’espace grâce à son vaisseau en forme de cabine téléphonique.

Doctor Who, cette série britannique kitch et emblématique, la plus longue série de science-fiction de l’histoire (créée en 1963, elle est toujours en cours), est-elle queer ? Passionnante question, qui mériterait à elle seule un article. Au fil des diffusions, les spéculations se multiplient – à commencer par l’identité du Docteur, possiblement asexuel – mais rien n’est explicite. En 2005, après seize ans sans nouvelle saison, Russell T. Davies est nommé showrunner. Avec lui apparaît le Capitaine Jack Harkness (John Barrowman), le premier personnage ouvertement queer. Jack, charismatique séducteur, éclipserait presque le Docteur ! Omnisexuel, ce voyageur du temps flirte avec tous les genres et toutes les espèces, sans distinction, au point que cela devient un running gag. La force de Russell T. Davies est dans l’écriture nuancée des personnages et de leurs relations : malgré ce comique de répétition, le personnage est drôle sans être ridicule et ses interactions taquines avec le Docteur suggèrent tendresse et amitié. La saison 1 du revival se clôt en beauté avec le premier baiser homosexuel du Docteur, que Jack Harkness embrasse en guise d’adieu.

A nouveau, Davies pose la première pierre en faisant d’un des personnages principaux d’une série grand public (Doctor Who, diffusée à 19h, est traditionnellement regardée en famille), un personnage explicitement et ouvertement queer. Symboliquement, le capitaine Jack Harkness devient quasiment immortel. En le plaçant ainsi sur un pied d’égalité avec le Docteur, le scénariste marque le paysage télévisuel britannique. Jack reviendra ensuite dans Torchwood (2006-2011, Russell T. Davies), spin-off plus adulte de Doctor Who

Doctor Who – Saisons 1 et 2
Avec Christopher Eccleston, David Tennant et Billie Piper
2005-2006, Royaume-Uni
Disponible en SVoD sur Amazon Prime

It’s a Sin : le temps de la maturité

Dans les années 1980, quatre jeunes homosexuels et une jeune femme débarquent à Londres. Au fil des rencontres, ils deviennent amis et colocataires. Leur vie insouciante est rapidement confrontée à l’épidémie de SIDA. 

Cette année, Russell T. Davies revient avec une série LGBT+. Bien que toujours centrée sur des hommes homosexuels, It’s a Sin se fait plus inclusive en intégrant de nombreux personnages secondaires aux expressions de genre variées ainsi que le personnage de Jill. Plus mâture que son aîné Queer as Folk et tout aussi personnelle, It’s a Sin est le manifeste de Russell T. Davies. Avec le réalisateur Peter Hoar et la monteuse Sarah Brewerton, il parvient à peindre la complexité d’une période. Les liaisons et les fêtes, les projets et les amitiés, l’effervescence d’une époque côtoie le drame. Il s’agit, comme dans Queer as Folk, de ne rien renier – “Nous nous sommes tellement amusés« , rappelle Ritchie (Olly Alexander) dans le dernier épisode – mais, cette fois, sans éclipser la tragédie. Le scénariste continue d’explorer le duo extraverti-introverti : ainsi, comme un écho du personnage de Vince (Queer as Folk), Ritchie enchaîne les conquêtes et les relations, sous les yeux admiratifs de son colocataire Colins (Callum Scott Howells). A nouveau, le personnage qui assume le plus son homosexualité n’est pas celui que l’on croit et l’attitude sans complexes du tombeur masque ses failles. Une apparence de fierté comme mécanisme de défense, en somme, qui amène le scénariste à poser la question de la responsabilité. En adoptant une vision systémique, Russell T. Davies implique le spectateur straight. A travers le personnage de Jill, face à une mère qui accepte enfin l’homosexualité de son fils mais refuse d’avouer ses fautes, Russell lui rappelle qu’il a, lui aussi, un rôle à jouer et que la Fierté est le travail de tous : “C’est ce que fait la honte : elle vous fait penser que vous l’avez mérité. (…) Ils meurent tous à cause de vous.

It’s a Sin
Créée par Russell T. Davies
Avec Olly Alexander, Lydia West, Callum Scott Howells
2021, Royaume-Uni, mini série
Disponible en VoD sur MyCanal

Johanna Benoist

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

2 commentaires sur « [DOSSIER] Russell T. Davies : des séries qui rendent fiers »

  1. J’avais beaucoup aimé « Queer as Folk » version US, que j’avais découverte quand j’étais au lycée. Je me souviens toujours parfaitement des dernières phrases de la série : « And the thumpa-thumpa continues. No matter what happens, no matter who’s president, as our Lady of Disco, the divine Miss Gloria Gaynor always sung to us : we will survive. »
    Une série très en avance sur son temps, et même si marquée par certains défauts, une vraie bouffée d’air frais pour la jeunesse LGBT ❤

    Aimé par 1 personne

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