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Teddy, 18 ans, vit dans les Pyrénées avec sa grand-mère et son oncle. Amoureux de Rebecca, il construit déjà son avenir avec elle. Un jour, il est mordu par un loup. Commence alors pour lui une longue série de symptômes étranges.
Après une sélection au Festival de Cannes pour une édition n’ayant pu avoir lieu, une première mondiale au Festival de Deauville et une projection pré-confinement en septembre et octobre derniers à L’Etrange Festival et au Festival Lumière, Teddy se fraye enfin un chemin jusqu’aux écrans français. Croisons les doigts pour que ce soit une réussite car sa découverte fut des plus réjouissantes.
Les deux frères Ludovic et Zoran Boukherma avaient déjà marqué les esprits avec leur premier film : Willy 1er (2016). Cet objet atypique, réalisé avec deux autres camarades de l’Ecole de la Cité (Marielle Gautier et Hugo P. Thomas), annonçait ce long-métrage, hommage au film de loup-garou.
Les deux cinéastes proposent une nouvelle fois de dresser le portrait d’un jeune homme inadapté à la société qui l’entoure. Dès l’ouverture, il est montré en décalage. Alors que le village est réuni autour d’un monument aux morts, il observe au loin, se moquant légèrement avant de se révolter quand le nom de son ancêtre est mal prononcé. Mais s’il est en retrait, ce n’est pas de sa volonté. Au contraire, tout au long du récit, il affirme son besoin et son envie de mener une vie “normale”. Son rêve est simple : fonder une famille avec sa petite amie dans une maison en haut d’une colline. Déclassé, déscolarisé, il n’en est pas moins plein de bonne volonté : il travaille pour le moment dans un salon de beauté avec une patronne à la libido affirmée. Interprété par Noémie Lvovsky, ce personnage est haut en couleur. Le visage poupin de l’acteur Anthony Bajon confère un côté sympathique et tendre au personnage de Teddy, si vrai et juste. Impressionnant et parfait dans ce rôle brut et touchant, il confirme ici son talent après ses rôles remarqués dans La Prière (Cédric Kahn, 2018) et Tu mérites un amour (Hafsia Herzi, 2020). L’aspect fantastique se greffe ainsi à une histoire sociale, non dénuée d’humour. C’est là que le long-métrage se démarque et prend une réelle ampleur : il n’oublie jamais de ne pas se prendre au sérieux. A la manière de Willy – héros de leur premier film, dont une photo trône sur la cheminée en souvenir -, Teddy est un paumé au grand cœur.
L’autre force du film est de lier gore et comédie avec un charme presque dérangeant, réussissant ainsi à déconstruire le dégoût. Dans les séquences de mutation du corps du héros – après la morsure -, les réalisateurs reprennent les codes du genre du film de loup-garou en les réinventant. Associé à la puberté, le corps se modifie, s’épanouit, grandit avec une force assez déconcertante : poils sur la langue, dans les yeux, sur les doigts, ongles rouges et longs. Au début, Teddy lutte avant de réaliser que ses changements ne sont pas aussi inquiétants qu’ils lui semblaient et qu’il s’agit finalement d’une évolution assez naturelle. Il devient lui-même, vivant, en contournant les règles imposées de la société.
Teddy est également une représentation de notre société contemporaine et une fine analyse de la situation actuelle où l’humain est un prédateur pour l’humain et pour son environnement. Ce n’est plus le loup, faux coupable, qui sert de prétexte pour se dédouaner. Derrière l’utilisation du genre, le film n’oublie jamais de critiquer la communauté et ses règles en mêlant peurs ancestrales du monstre et discours actuel sur notre société. Le mythe du loup-garou sert ici à montrer un homme hors du système.
Suffisamment sobre pour que les effets spéciaux ne soient pas ridicules, le film joue énormément sur le hors-champ afin d’éviter cet écueil – et cela fonctionne très bien. Avec son intrigue simple et efficace, Teddy agit comme un révélateur des désirs d’une génération, mais aussi d’un individu en décalage. Abordant avec intelligence le sujet du harcèlement, le parallèle devient évident entre le loup et Teddy, avant même que la transformation n’ait abouti. Il est d’ailleurs intéressant de voir que c’est également la maturité du personnage et son discours si vrai, si sûr de ses désirs et pavant habilement la voie qui y mène, qui génère son rejet. Bien qu’aspirant à une vie simple, il est en réalité un anti-conformiste aguerri qui se révèle à travers la bête. Parlant de sexualité et de consentement avec justesse, Teddy fait également plaisir à voir car il sort un peu, ici, des clichés classiques du cinéma. En reprenant une mise en scène de série B, voire parfois de série Z, totalement assumée, le film a un air un peu désuet qui donne du charme à l’ensemble. Les connaisseurs reconnaîtront d’ailleurs les références à Ginger Snap (John Fawcett, 2000) et au Loup-garou de Londres (John Landis, 1981). Avec Teddy, le film de genre a un bel avenir en France.
Manon Koken et Marine Moutot
Teddy
Réalisé par Ludovic et Zoran Boukherma
Avec Anthony Bajon, Christine Gautier, Ludovic Torrent
Fantastique, France, 1h28
The Jokers
30 juin 2021
3 commentaires sur « [CRITIQUE] Teddy »