[CRITIQUE] Annette

Temps de lecture : 4 minutes

Los Angeles, de nos jours. Henry (Adam Driver) est un comédien de stand-up à l’humour féroce et Ann (Marion Cotillard) une cantatrice de renommée internationale. Ensemble, sous le feu des projecteurs, ils forment un couple épanoui et glamour. La naissance de leur premier enfant, Annette, une fillette mystérieuse au destin exceptionnel, va bouleverser leur vie.

Neuf ans après Holy Motors (en compétition à Cannes en 2012), Leos Carax revient avec Annette, présenté lors de la soirée d’ouverture du Festival de Cannes 2021. Porté par Adam Driver et Marion Cotillard, le film aux allures d’opéra rock est rythmé par une bande sonore créée par le groupe américain Sparks. Dès la scène d’ouverture, surprenante et magistralement menée, le ton est donné et Carax nous fait basculer dans son univers bien particulier, oscillant entre le réel et le fantastique. 

L’histoire est simple : une histoire d’amour entre un comédien de stand-up irrévérencieux et une cantatrice adulée qui, chaque soir, sur scène, joue la mort à la perfection. Au sommet de leur gloire et de leur amour intense, qu’ils chantent à longueur de temps, tout bascule pourtant à la naissance d’Annette, leur fille venue “d’un autre monde”. Cette première partie d’exposition n’est certainement pas la plus intéressante du film. L’histoire se perd dans des longueurs, les personnages sont exploités de manière inégale et Carax tente très maladroitement de jouer les équilibristes entre drame et comédie. Ce n’est que lorsque le réalisateur fait (presque) définitivement le choix de se tourner vers un drame musical, laissant de côté la mièvrerie romantique du début, que le film prend une tout autre dimension. La caméra se pose et prend le temps de filmer les corps d’Adam Driver (impressionnant, dans tous les sens du terme) et de Marion Cotillard, plus fragile que jamais entre les mains de celui qui se fait appeler « Le singe de Dieu » (terme renvoyant généralement à Lucifer). Le film s’assombrit et témoigne alors de la descente aux enfers d’un comédien allé trop loin pour son public et envieux du succès de sa femme. La douleur, la jalousie, la folie, mais aussi l’amour. Tout est là et tout transparaît à travers quelques scènes absolument splendides que l’on retiendra forcément de ce film : le monologue d’Henry sur scène, le court instant de partage entre Ann et Annette, les confessions du chef d’orchestre en plein exercice, une scène déchirante sur un bateau en pleine tempête ou la magnifique séquence finale entre Henry et sa fille. Le tout est baigné dans la couleur verte (également présente dans Holy Motors) du manteau d’Henry en passant aux lumières de la piscine. Si généralement le vert est lié à la nature et à la beauté, ici, Carax lui donne une signification beaucoup plus sombre : le vert devient la couleur de la menace, de la folie, du diable et du poison. 

Au fur et à mesure, Carax dévoile son projet. Une nouvelle fois (il l’avait déjà fait à travers son film précédent), le réalisateur veut rendre hommage au cinéma (notamment par les techniques utilisées qui nous renvoient souvent aux films des années 1910, 1920) et plus généralement aux spectacles en tout genre. Henry et Ann sont des artistes qui évoluent dans deux milieux totalement différents mais ils sont animés par une même envie : plaire au public. Lui veut les “tuer” de rire alors qu’elle veut les “sauver”. Plus tard, leur fille, possédant un don unique, montera aussi sur scène. Mais, si le cinéaste met en avant différentes formes de spectacle, il n’oublie pas pour autant de montrer à quel point cet univers peut être destructeur. D’ailleurs, le don de la petite Annette se transformera bien vite en une malédiction.

Le metteur en scène va encore plus loin et annonce dès la scène d’ouverture que finalement, ce film n’est qu’une mise en abyme du spectacle. Lors des premières minutes, tous les acteurs (ou presque) lancent un « so may we start, may we start ? » (alors pouvons-nous commencer ? pouvons-nous commencer ?) avant de se parer de leurs vêtements, de leurs perruques, et de rentrer dans leurs rôles. Ceci est corroboré par une scène présente au générique de fin.

Bien sûr, la musique tient aussi une place primordiale dans ce long-métrage puisqu’elle est présente dans presque toutes les séquences, malheureusement on y retrouve une inégalité dans l’écriture. Et surtout, si certains passages chantés sont sublimes, on peut tout de même se demander si, d’une manière générale, la musique apporte véritablement quelque chose à cette œuvre de Carax.

Annette est un film désarmant, étrange mais intelligent, qui ne laissera personne indifférent. Malgré ses longueurs, certaines scènes peu utiles ou des choix de montage étonnants, il faut reconnaître au film une réflexion profonde et bien menée sur le monde du spectacle, mais aussi des moments de pure magie comme on aime en voir au cinéma. 

Camille Dubois

Annette
Réalisé par Leos Carax
Avec Adam Driver, Marion Cotillard, Simon Helberg, Angèle,…
Drame musical, France, Belgique, Allemagne, 2h30
UGC, Amazon studio
6 juillet 2021

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

11 commentaires sur « [CRITIQUE] Annette »

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