[FESTIVAL DE CANNES 2021] Bilan – Dimanche 11 juillet

Temps de lecture : 15 minutes

Du 6 au 17 juillet 2021 se tient la 74e édition du Festival de Cannes. 

Créé en 1939, avec une première édition en 1946, le Festival de Cannes est, avec la Berlinale et la Mostra de Venise, l’un des festivals internationaux les plus importants du cinéma. Chaque année, il se tient sur la Croisette, au bord de la plage, dans la ville de Cannes. Plusieurs sélections viennent compléter la Sélection Officielle (Compétition, Hors Compétition, Un Certain Regard, Cannes Classic, Cannes Première et pour la première fois une sélection de six œuvres autours de l’environnement). Ces programmations parallèles (Quinzaine des Réalisateurs, Semaine de la Critique, ACID), dont chacun a ses particularités, montrent des longs et courts-métrages originaux et novateurs. Cette 74e édition se tient exceptionnellement en juillet du 6 au 17 – habituellement le festival a lieu en mai – à cause du contexte sanitaire. Avec plus d’une dizaine de films accessibles par jour, il est malheureusement utopique de tout voir. Le choix a été drastique, mais nous avons essayé de découvrir un éventail de longs-métrages le plus diversifié possible. Pendant ces douze jours, nous vous proposons un bilan des films découverts. Retrouvez-nous tous les matins du vendredi 9 au samedi 17 juillet pour suivre nos aventures cannoises.

Comme le disent si bien Sparks, Adam Driver et Marion Cotillard dans le beau film d’ouverture de Leos Carax, Annette : “So may we start !”.

Troisième jour au Festival de Cannes

Notre dimanche a commencé à minuit pile quand nous courions dans les rues de Cannes pour voir la montée des marches et la séance du nouveau film d’Audrey Estrougo : Suprêmes. Pour notre première Séance de Minuit – il faut au moins en faire une pour l’ambiance en général énergique malgré l’heure et les films souvent surprenants qui y sont diffusés -, il fallait bien oublier quelque chose à l’appartement et y retourner en courant. Puis croiser, une nouvelle fois, des personnes perdues de vue. Nous arrivons pourtant à l’heure et réussissons à assister à la montée des marches de l’équipe du film. L’osmose, l’amitié et le bonheur qu’ils éprouvaient d’être là, faisaient plaisir à voir et semblaient être un bon présage au long-métrage que nous allions découvrir. Nous allons même jusqu’à vous l’écrire : les acteurs, la réalisatrice, les producteurs et JoeyStarr – Kool Shen ne pouvant pas être là – étaient trop mignons tous ensemble. Et, comme à son habitude, la séance nocturne a eu trente minutes de retard. Quand Suprêmes a fini deux heures plus tard, cela n’a pas empêché le public d’applaudir longuement et chaleureusement l’équipe, particulièrement émue. Embrassades, remerciements, larmes et rires de se voir sur le grand écran du Grand Théâtre Lumière ont rythmé la fin de la séance.

Après une courte, très courte nuit, nous revoilà en route sous le soleil de la Croisette. À la suite de notre première séance en salle Debussy (salle dédiée à Un Certain Regard et au film en Hors Compétition), nous allons faire notre premier test salivaire – pour pouvoir entrer dans le Palais du Festival, pour la séance de Re Dai Wang Shi (are you lonesome tonight ?) de Shipei Wen, présenté dans la Sélection autour de l’environnement. Soudain, en dévorant une bonne pizza, nous réalisons que nous ne pouvons pas y assister. Contraintes horaires obligent. Au moins, on aura expérimenté le test que le Festival mettait à disposition gratuitement pour les festivaliers français et réalisé la difficulté de baver 2 mL dans un tube . Un grand merci à eux. (Nous étions toutes les deux négatives)

Parties sur notre lancée, une erreur de programmation surgit ! Malgré nos années d’expérience, l’erreur reste humaine, nous nous sommes trompées de salle. Des Arcades à Alexandre III, il fallait que nous traversions la Croisette en 5 minutes – 25 minutes de parcours en réalité – pour être à l’heure à Little Palestine (en compétition à l’Acid). Autant dire que nos pouvoirs de téléportation ne se sont pas encore manifestés. Pas grave : repos bien mérité avant notre première séance à la Quinzaine des Réalisateurs, une sélection que nous aimons tout particulièrement pour son audace et ses propositions fortes. En présence d’Adèle Haenel et de Jean-Gabriel Périot nous avons découvert le puissant Retour à Reims (Fragments). Puis enchaîné avec Evolution – entre désespoir des classes populaires et Holocauste, nous restons dans des thèmes très joyeux. Notre dernière séance à 22h30, Rien à foutre à la Semaine de la Critique, a fini de nous achever et nous sommes allées nous coucher à 1h du matin. Réveil à 7h pour découvrir le dernier Nanni Moretti, Tre piani, en Compétition à 8h30. Mais c’est une autre histoire …

Evolution – Kornél Mundruczó, 2021 – Sélection Officielle, Cannes Première

Eva, Léna, Jonas. Trois individus, trois générations, trois époques aux destins liés par l’Holocauste.

Capture d’écran 2021-07-11 à 16.39.00

Déjà reconnu pour ses précédents longs-métrages (White God, La Lune de Jupiter, Pieces of a woman) et présentant un film atypique, Kornél Mundruczó n’était pas attendu en Compétition Officielle mais à Cannes Première, nouvelle sélection présentée cette année, rassemblant notamment Vortex de Gaspar Noé, Serre-moi fort de Mathieu Amalric et Cow d’Andrea Arnold. 

Evolution fait corps avec son titre. Il nous plonge in media res dans un récit familial regroupant trois générations dans trois saynètes réunies par le plan-séquence, la durée et l’Holocauste. À peine les lumières éteintes, la découverte est violente et mystérieuse. Première partie : Eva. Des hommes nettoient avec empressement et fébrilité les sols et murs d’une cellule. Aux crevasses qui parcourent la pièce et aux quelques tuyaux fixés aux murs sales et décrépis, l’évidence se fait : nous sommes dans une chambre à gaz. Sous l’éclairage jaunâtre et artificielle, la caméra tournoie dans une cadence infernale à mesure que les mouvements des hommes se font plus rapides et plus désordonnés. Le frottement répétitif des balais sur le sol se fait pressant et même oppressant. Le cadre serré du 4/3 semble se réduire, nous enfermant dans ce ballet macabre. Que veulent-ils effacer avec autant d’empressement ? Peu à peu, toujours dans leur silence renfrogné, les hommes perdent pied et la peur les gagne. La scène vire à l’horreur lorsqu’ils découvrent des cheveux dans chaque recoin de la pièce. D’abord une mèche, puis deux, puis… L’inattendu surgit. 

En quittant les camps, nous arrivons dans l’appartement d’une vieille femme, Eva, prénom évocateur de la première saynète. À travers sa parole se crée le témoignage d’une femme née à Auschwitz et ayant grandi avec ce poids de l’Holocauste que lui reproche également sa file, Léna. Cette dernière ne peut prouver qu’elle est juive car sa mère refuse de lui donner le document qui en atteste, la privant d’aides nécessaires et de ses origines. Dans cet étrange huis clos en appartement, le ballet reprend, moins violent physiquement, mais plus dur dans les mots. En filigrane, c’est la déliquescence de l’humain et la disparition de la mémoire que met en avant cette seconde partie, Léna.

L’alarme incendie de l’école retentit. Cette fois-ci, la caméra atteint enfin l’extérieur. C’est une balade en apparence plus innocente que nous propose Jonas : une rencontre avec Yasmin, une promenade dans Berlin, deux amoureux en fuite… et une nouvelle pierre à l’édifice familial. Jonas est le fils de Léna. Mystérieusement harcelé par ses camarades, il se caractérise immédiatement par sa différence. Le lien avec la Shoah est ici plus diffus mais, une fois les premiers instants passés, il prend tout son sens. Entre désir de liberté et poids des origines, c’est la fuite qui anime Jonas. Le film réfléchit ici à l’héritage et l’influence de celui-ci sur les jeunes générations. 

Evolution fait se rencontrer petite et grande Histoire à travers l’immersion au cœur d’une famille à différentes périodes, au croisement des générations. Cette simple observation, magnifiquement mise en valeur par le plan séquence, permet une découverte de l’intérieur vers l’extérieur et du passé au présent, réfléchissant l’héritage de l’Holocauste, toujours présent aujourd’hui.

Retour à Reims (Fragments) – Jean-Gabriel Périot, 2021 – Quinzaine des Réalisateurs

À la mort de son père, trente ans après avoir rompu avec ses origines, Didier Eribon revient à Reims. C’est le temps d’un retour sur le passé des classes populaires françaises, mais aussi de mettre en lumière leur impact sur notre société actuelle.

RetouràReims

En 2015, nous découvrions Une jeunesse allemande de Jean-Gabriel Périot : un moment d’émerveillement sur le pouvoir du montage et de l’image d’archive. Cette projection de Retour à Reims (Fragments) à la Quinzaine des Réalisateurs promettait d’être aussi une belle séance. 

Tout comme son premier long-métrage, Retour à Reims (Fragments) est un film de montage annoncé dès l’ouverture en longs plans fixes au cadrage parfait sur des maisons que l’on suppose rémoises. À ces images quasiment photographiques se joint une voix. Le choix d’Adèle Haenel pour incarner le texte éponyme de Didier Eribon, adapté ici, n’est pas anodin. Actrice militante particulièrement médiatisée pour ses engagements politiques des dernières années, elle incarne là la fusion entre la petite et la grande Histoire. Le texte du sociologue français nous plonge totalement – et avec beaucoup de naturel – au cœur de la vie ouvrière tout en renouant avec un passé rejeté trente ans plus tôt. 

Des années 1930 à nos jours, tout commence par l’histoire de la grand-mère, mère à 17 ans après avoir “fauté” avec un jeune homme tout aussi jeune. Jouant de l’antagonisme entre texte et images – les archives viennent de partout alors que le texte d’Eribon reste à Reims -, le montage opère pourtant une parfaite fusion entre eux. L’un s’enrichissant de l’autre, et inversement. De ce double témoignage naît un sens nouveau, un troisième chemin entre les deux médiums où se mêlent histoire personnelle et histoire commune. Mêlant fiction cinématographique et témoignages filmés, les paroles se mêlent et se font écho. Bien que les dates ne soient pas forcément spécifiées, le contenu fait rapidement sens, même aux yeux des plus jeunes, témoin d’un passé français commun, mémoire de nos parents et arrières grands-parents réveillant des récits passés. 

Les images prennent également une signification nouvelle : les femmes font enfin partie de l’Histoire car elles sont les premières à s’exprimer, à travers le récit d’Eribon puis les images d’archives. Femmes tondues, témoins vivants du désir de reconquête de la société par la force virile dans l’après-guerre. Femmes libres, désirant seulement profiter du quotidien sans jugements et contraintes. Femmes de ménage devant respecter les ordres ridicules de ces messieurs bourgeois dont elles entretiennent les bureaux. Ici, des décennies plus tard, leur parole n’est pas tue et renaît à travers l’archive. Harcèlement sexuel, exclusion sociale, domesticité, ces réflexions du début du siècle nous animent toujours aujourd’hui et crée un triste écho lorsque cette parole nous atteint. Retour à Reims devient ainsi un récit féminin et féministe.

C’est également un récit social et sociologique. Ravivant le souvenir du travail des enfants, la révolution engendrée par la construction des cités HLM – faisant un clin d’oeil fortuit à Suprêmes (Audrey Estrogou, 2021) découvert en Séance de Minuit – ou encore les manifestations ouvrières, le film réfléchit au déterminisme social avec justesse et à travers la parole populaire. Habilement divisé en deux mouvements, il se concentre ensuite sur l’émergence du Parti Communiste et du Front National et l’influence – ainsi que l’espoir – qu’ils représentent pour le monde ouvrier français. Pourtant, tout n’est finalement que désillusion et les logiques de pouvoir font finalement comprendre aux citoyens qu’il n’y a là que des hommes politiques voulant que le peuple se taise pour exercer le pouvoir en toute impunité. “La gauche, la droite, il n’y a pas de différence. Ce sont toujours les mêmes qui payent.Retour à Reims réussit ainsi à faire émerger le sens du détournement des classes populaires de la gauche pour rallier une droite pourtant jusqu’alors raillé. 

L’épilogue est alors évident. Ce chemin tracé depuis l’après-guerre mène à aujourd’hui, à notre société elle-même fatiguée des entourloupes politiques, de l’individualisme, des multiples réformes nous dépossédant toujours plus de nos libertés. Les images récentes connues de tou.te.s s’enchaînent, remplies d’émotion : CRS gazant les manifestants, Gilets jaunes blessés, discours de militants sur la place de la République… Il n’y a pas plus à montrer, seulement un message : le changement viendra de la rue, de cette classe ouvrière mais aussi des autres bafouées, par la convergence des luttes. Retour à Reims (Fragments) est un récit, un mouvement et une volonté nés de la colère de la classe populaire. Il se clôt sur un mot. Démocratie. Le pouvoir au peuple.

Rien à foutre – Emmanuel Marre, Julie Lecoustre, 2020 – Semaine de la Critique

Cassandre est hôtesse de l’air dans une compagnie low-cost. Entre les vols, les retours à sa base en Espagne et les soirées endiablées, ces jours et nuits passent et se ressemblent. Pourtant, derrière les paillettes Instagram et les rêves de voyage, la jeune femme doit faire face à son passé qu’elle tente de laisser derrière elle.

Rien

L’illusion de la génération 2.0, entre applications de rencontre, photographies de rêve sur Instagram et voyages dans des lieux paradisiaques, cache une détresse émotionnelle. Cassandre, dont le nom mythologique est maudit, passe ses journées dans une vacuité existentielle. En deux parties, le film retrace d’abord ses nuits sans fin, ses services où il faut être toujours plus productif, et les jours de repos où l’énergie lui manque. Affalée sur son canapé ou à la recherche d’un coup d’un soir, elle ne s’attache à rien ni à personne. Son rêve est d’aller travailler à Dubaï, la ville capitaliste et artificielle par excellence. Ce besoin d’être vue, d’être plus belle, de n’être que surface donne des situations cocasses dans les moments de relâche. Les deux cinéastes français Emmanuel Marre et Julie Lecoustre parviennent à filmer avec humour et justesse des conversations bourrées à 5h du mat’, des échanges de messages sur Tinder ou des étreintes volées avec des inconnus pour un peu de réconfort. Cette première partie montre aussi la dureté d’un mode de vie sans attaches. Les horaires impossibles et les conditions inhumaines : les hôtesses doivent vendre toujours plus et oublier leurs émotions – une formation assez lunaire nous expose ce que l’on attend d’elles. Si cette partie est vive, drôle et passionnante, la deuxième est plus inégale, plus sombre. 

La coupe franche entre le soleil de l’Espagne et la grisaille de l’Est français aurait pu être intéressante si la partie dans la famille de Cassandre avait été moins longue. La jeune femme se retrouve obligée de rentrer chez elle alors qu’elle ne voulait pas affronter son passé. Avec ce pan du récit, les réalisateur.trice.s souhaitent montrer l’envers du décor, le moment où l’on expose aux autres les mensonges que nous vivons. Ce sont aussi des moments d’introspection et de recueillement. C’est accepter le passé pour mieux vivre le présent. Pourtant, les séquences traînent en longueur, manquent de rythme et de charme et la pluie française finit par l’emporter sur le reste. Dommage car le constat sur ce mode de vie était bien amené, sans jugement ni tension, juste avec lucidité. 

Rien à foutre ne parvient pas à garder sa cadence et s’essoufle un peu sur la fin, comme son héroïne qui, à force de ne pas communiquer, perd pied.

Suprêmes – Audrey Estrougo, 2019 – Hors Compétition, Séance de Minuit

En 1989, à Saint-Denis dans le 93, Didier et Bruno évoluent dans un groupe de tagueurs. Ces jeunes des quartiers rêvent d’autre chose. Dans une France qui les oublie ou les dénigre, ce n’est pas facile. Après avoir recouvert Paris et la banlieue de “NTM”, ils montent un groupe qui va révolutionner le rap français.

Suprêmes

Après un passage par la comédie musicale avec Toi, moi et les autres (2011) et des films plus durs sur les violences faites aux femmes (La Taularde, 2016 et Une histoire banale, 2014), la cinéaste française Audrey Estrougo se penche sur les origines du groupe de rap le plus subversif de France : Suprême NTM. 

Plongée immédiate dans le récit d’une bande de potes qui deviennent, un peu par hasard, des rappeurs. Suite à un pari, à cause de l’ego de Didier Morville (futur JoeyStarr), lui et son ami Bruno Lopes (Kool Shen) ont quelques jours pour écrire des chansons afin de se produire sur scène. Cette première performance, époustouflante, marque la naissance du groupe. Sans volonté de continuer dans le rap, les deux jeunes et leurs amis sont pourtant poussés de toutes parts à écrire plus de chansons et produire un premier album. Pas seulement de la part de producteurs qui souhaitent produire un nouveau groupe, mais aussi du public qui a besoin de se reconnaître dans des textes qui leur parle. Quand leur premier manager, Frankie, vient les voir en jupe, il comprend qu’il a affaire à des ami.e.s qui resteront ensemble, quoi qu’il arrive. Cette ambiance de légèreté, dans un monde qui les dénigre en permanence, est à la fois drôle et touchante et en accord avec l’équipe très soudée et fusionnelle qui a présenté le film en Séance de Minuit au Festival de Cannes. S’il nous semble impossible de créer un groupe de musique de trente personnes, NTM nous prouve que c’est faisable. Le long-métrage débute en 1989, juste avant le premier concert. Il n’y avait pas nécessité à commencer le récit plus tôt, la complicité des jeunes est évidente. Un montage alterné les présente rapidement, avant que Didier et Bruno se retrouvent dans leur lieu habituel, sous une structure d’aire de jeu au cœur de la cité. Les deux se complètent et se comprennent. Avec leurs caractères bien trempés, ces jeunes ont un bel avenir devant eux.
La cinéaste choisit pour incarner la troupe des jeunes acteurs à suivre. De plus, la ressemblance entre les interprètes et les protagonistes est troublante. Retenez bien leurs noms, car eux aussi ont un bel avenir : Sandor Funtek (Kool Shen), Théo Christine (JoeyStarr), Félix Lefebvre (Sébastien Farrant)…

Pourtant le propos de Suprêmes dépasse le biopic et le désir de raconter l’histoire d’un groupe de rap. La réalisatrice inscrit en permanence le parcours de ces jeunes gens dans la société des années 1990. Le film s’ouvre sur le célèbre discours de François Mitterrand sur les banlieues. Générique et réducteur, le message que porte le président est simpliste et ne reflète qu’une infime partie de la réalité que vivent les personnes des cités HLM. Pour montrer l’évolution de la violence – et du groupe -, les années sont inscrites telles des intertitres en exposant des images d’archives. Les contrôles de police que subissent régulièrement les membres de NTM sont filmés dès le début comme une routine, un passage obligé pour rentrer chez soi. C’est le quotidien de tous et ils s’en accommodent avec lassitude. Au fur et à mesure que les années passent, les contrôles sont plus tendus, plus brutaux. L’utilisation de reportages de l’époque ou d’images d’archives viennent appuyer le propos réquisitoire du groupe. Audrey Estrougo va plus loin, elle fait même retourner des émissions aux jeunes acteurs pour montrer comment les médias tentent de modifier les propos du groupe. Ce serait à cause d’eux que les banlieues s’enflamment à travers la France, à cause de leurs paroles subversives et critiques. En s’inscrivant intelligemment dans l’actualité de l’époque, le long-métrage nous fait comprendre que les enjeux abordés sont encore d’actualité. JoeyStarr et Kool Shen ont bien été l’étendard d’une génération délaissée par le gouvernement français, mais ils sont aussi des artistes dont l’art a dépassé leur condition sociale.

Suprêmes possède une énergie folle à l’image des différents membres du groupe. Si les nombreux personnages secondaires ne sont pas aussi développés que les leaders de NTM, chacun possède une identité propre, ce qui les rend uniques. Le film est le portrait d’une banlieue enflammée. Avec des séquences de concert intenses, des moments musicaux bien retranscrits et des instants d’amitié et de partage, le nouveau film d’Audrey Estrougo est passionnant, même pour les néophytes de NTM ou du rap. 

The Innocents – Eskil Vogt, 2021 – Un Certain Regard

Ida et sa sœur autiste, Anna, arrivent dans un nouvel appartement avec leurs parents. Ida fait la connaissance de Benjamin, un garçon solitaire. De son côté, Anna se rapproche de Aïcha, la seule qui la comprenne. Ensemble, elles et il explorent d’étranges pouvoirs qui commencent à se manifester.

TheInnocents

Le film norvégien d’Eskil Vogt s’ouvre sur le visage d’une petite fille endormie. Elle semble paisible et nous renvoie à l’innocence du titre. Pourtant, rapidement, Ida commence à mettre en pratique les pensées les plus violentes, les plus sombres de son être. Elle pince sa sœur autiste, Anna, qui n’exprime rien quand on lui fait mal, elle écrase un vers de terre pour l’enfoncer sous l’eau… Perturbée par le déménagement et cette arrivée estivale alors que les autres enfants sont en vacances, sa rencontre avec Benjamin dans le quartier semble salvatrice. Pourtant, elle met encore plus en exergue la perversion que les enfants explorent. Avec lui, elle s’amuse avec un pauvre chat, mais découvre également de nouveaux pouvoirs. Cet aspect surréel que le récit instaure de manière très ténue est intéressant. Si le film commence en apparence comme un drame, il s’agit bien d’un film de genre. Les images magnifiques viennent d’ailleurs rapidement appuyer le fantastique de la découverte de pouvoirs chez les quatre protagonistes, tout comme l’utilisation importante d’une musique sourde qui ajoute une tension nécessaire aux échanges entre enfants. 

La violence, d’abord présente par de petits gestes d’Ida envers Anna (pincements, bouts de verre dans sa chaussure), sont synonymes d’une jalousie enfantine face à celle qui monopolise l’attention des parents. Bientôt cela devient une violence viscérale. Benjamin, qui se sent sans doute rejeté et maltraité – mais le cinéaste a l’intelligence de ne pas faire de psychologie de comptoir -, va, avec la découverte de ses pouvoirs télékinésiques, aussi pervertir son environnement. La souffrance, la mort et la vengeance font partie de son quotidien. Ida assiste à la métamorphose de son ami et se questionne. Chaque protagoniste représente, à travers des traits marqués, une figure assez classique du genre : Anna est celle au potentielle cachée, l’incomprise, Aïcha est la bonté et l’empathie, et Benjamin, la perversion. De son côté, Ida est celle qui grandit, atteint une maturité à travers les expériences de la vie. C’est celle qui aura le plus évolué depuis le début du film. Eskil Vogt montre un monde sans pitié, celui des enfants qui se trouvent bien souvent sans défense les uns contre les autres et font face à l’incompréhension des adultes. Le clivage entre les deux mondes se renforce quand Benjamin prend possession d’adultes pour tuer des enfants.

Le long-métrage tire un peu en longueur dans la dernière partie, ne trouvant pas de porte de sortie ou de solution simple pour conclure. The Innocents surprend pourtant en permanence, réussissant à passer sans crier gare de la simplicité de la vie à l’horreur de la mort et de la souffrance. Gore, parfois difficilement soutenable, le film montre que les innocents du titre ne le sont pas tant que cela.

Manon Koken et Marine Moutot

Evolution
Réalisé par Kornél Mundruczó
Avec Lili Monori, Annamária Láng, Goya Rego
Drame, Hongrie, Allemagne, 2021, 1h35
Dulac Distribution
Date de sortie inconnue

Retour à Reims (Fragments)
Réalisé par Jean-Gabriel Périot
Documentaire, France, 2021, 1h23
Jour2Fête
Date de sortie inconnue

Rien à foutre
Réalisé par Emmanuel Marre et Julie Lecoustre
Avec Adèle Exarchopoulos, Alexandre Perrier, Mara Taquin
Comédie dramatique, France, 2020, 1h50
Condor Distribution
Date de sortie inconnue

Suprêmes
Réalisé par Audrey Estrougo
Avec Théo Christine, Sandor Funtek, Félix Lefebvre
Biopic, Musical, France, Belgique, 2019, 1h52
Sony Pictures
24 novembre 2021

The Innocents
Réalisé par Eskil Vogt
Avec Rakel Lenora Fløttum, Alva Brynsmo Ramstad, Sam Ashraf
Thriller, Fantastique, Norvège, Suède, 2021, 1h57
Kinovista
Date de sortie inconnue

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

2 commentaires sur « [FESTIVAL DE CANNES 2021] Bilan – Dimanche 11 juillet »

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