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1987, Londres. Philip est un célèbre écrivain américain. Depuis quelque temps, il retrouve régulièrement son amante anglaise dans son bureau. Elle parle, il l’écoute et prend des notes pour un futur ouvrage.
Adapté de l’ouvrage biographique fictionnel de Philip Roth, Tromperie (Deception, 1994), le nouveau film du cinéaste français Arnaud Desplechin nous laisse perplexes. Il ne semble jamais prendre le recul nécessaire pour filmer le protagoniste principal, misogyne et pervers. Si le réalisateur avait su peindre l’âme humaine et les relations familiales dans des œuvres comme Un conte de Noël (2008) ou Rois et Reine (2004), il échoue ici à rendre pertinentes les relations femme-homme qu’il dépeint.
Se servant des femmes autour de lui pour écrire, Philip les détruit au nom de l’art. S’il semble être l’agneau, c’est en fait le loup dans la bergerie. La position du cinéaste est ambiguë. Sans jamais remettre en question le personnage dans le récit, il ne semble pourtant pas entièrement valider ses propos — jusqu’à la scène terrible du jugement de Philip au tribunal des femmes (hystériques, et cela est fortement dommage). Sans sensibilité pour la cause des femmes, le public pourrait totalement s’y tromper : les différents protagonistes féminins sont sans cesse humiliés et réduits à leur fonction. Si le personnage de Léa Seydoux exprime par moment ses faiblesses, ses blessures et ses manques — elle n’a d’ailleurs pas de nom, étant seulement l’amante anglaise —, le tout est toujours contrecarré par le verbe de l’auteur. Il n’hésite pas à lui dire de « faire la pute pour satisfaire son mari », mais également à mentir à sa femme en la traitant de folle. Le pire est que ce comportement — qu’on aimerait d’un autre âge — n’est même pas subversif. Surtout, s’il pouvait y avoir un doute sur les intentions du réalisateur — voulait-il montrer une relation toxique faite de manipulation ? — une séquence autour d’un procès fictif tourne la dénonciation à la farce. L’écrivain se trouve dans un tribunal entouré de femmes qui l’accuse de n’écrire que des portraits féminins bas et clichés. Philip se cache derrière l’art et brandit la liberté d’expression. Il claque la porte avec panache, brisant les arguments de la foule. La mise en scène à cet instant est tout entière dans la validité de l’homme tout puissant martyrisé par les femmes.
Rythmé par des chapitres, le film passe au fil des saisons. Les rencontres avec son amante sont espacées par des discussions avec d’autres femmes : ancienne élève et amante brisée par l’amour, ancienne amante atteinte d’un cancer, ami qui l’accuse d’avoir couché avec son épouse… Tout tourne autour de la tromperie et de l’adultère, comme s’il n’y avait que cela. L’auteur en profite également pour parler des juifs dans la société anglaise et américaine. Si le propos peut avoir pleinement sens aujourd’hui, là encore le film fait passer l’auteur pour un maniaque. Un homme qui rabâche sans argument.
Nous retiendrons de Tromperie un rôle à contre-emploi pour Denis Podalydès qui nous avait ravies dans Les Amours d’Anaïs présenté à la Semaine de la critique et les magnifiques costumes de Léa Seydoux. Mais l’ensemble manque de consistance, de force et tout tombe à plat. Même l’époque des années 1980 n’est pas représentée et nous n’y croyons pas. Présenté à Cannes Première, Tromperie nous dupe.
Marine Moutot
Tromperie
Réalisé par Arnaud Desplechin
Avec Denis Podalydès, Léa Seydoux, Anouk Grinberg
Drame, France, 2021, 1h45
Le Pacte
8 décembre 2021