[CRITIQUE] Un héros

Temps de lecture : 3 minutes.

Ce film a été découvert en Compétition officielle au Festival de Cannes 2021. Petite immersion dans cette journée de festival par ici

Condamné pour dettes, Rahim purge sa peine en prison. Lors de sa permission de deux jours, il récupère par miracle un sac contenant des pièces d’or. Après avoir tenté de convaincre son créancier de retirer son accusation contre l’argent, il décide de retrouver son propriétaire. Rien ne va se passer comme prévu…

Avec ce nouveau long-métrage, Asghar Farhadi revient dans son pays natal, l’Iran, après un passage par l’Espagne pour Everybody Knows (2018). Aux côtés du héros, Rahim, à sa sortie de prison, rien ne nous est dit sur le contexte. Nous le suivons, intrigué.e.s, dans les rues de Chiraz. Au cours d’une journée, nous en découvrons bien plus que la simple durée d’une permission pouvait le laisser imaginer. Alors que le protagoniste – ou plutôt sa compagne – découvre la clef qui permettrait de surmonter la complexité de sa situation – et de résoudre toute l’intrigue par la même occasion -, sa décision forte de refuser la facilité – qui n’en est même pas réellement une – pour respecter son sens moral nous entraîne dans une enquête, à la recherche du propriétaire du trésor. À peine vingt minutes sont-elles passées et nous savons d’ores et déjà que Rahim est, comme le titre l’indique, un héros. La force du film est d’ailleurs de ne jamais nous en faire douter alors qu’un à un les autres personnages se détournent de lui. Nous sommes au plus près, à ses côtés, et nous espérons que le chemin de croix qui s’amorce – et semble ne jamais devoir en finir – le mènera vers des jours meilleurs. 

Avec ce film, nous découvrons l’acteur Amir Jadidi, magistral et magnifique dans le rôle de Rahim. Sympathique et touchant, courageux et tenace, il réussit à établir une véritable proximité avec son personnage qui, bien que bien entouré, plonge dans une solitude infernale face à son sort. Alors, quand le quotidien s’acharne, le désespoir nous atteint bien avant même qu’il ne le touche. Avec son écriture fine et efficace, Un héros tend ainsi à montrer comment un acte simple et désintéressé peut avoir des retombées démesurées. Ici, un acte de générosité. De même, en véritable effet papillon, une petite altération de la vérité prend des proportions monstrueuses. Alertes, nous guettons les indices qui semblent peu à peu paver la voie d’un long cauchemar.

Le réalisateur évite, sans même jamais l’effleurer, toute forme de misérabilisme. Il en joue même, dénonçant le désir de chacun des interlocuteurs de Rahim de le médiatiser – en utilisant sa situation précaire ou le bégaiement de son fils – pour leur bénéfice personnel et institutionnel. La prison veut qu’il soit interviewé, l’association qui le soutient aussi, les manipulations médiatiques se multiplient. De cette chaîne d’obligations, auxquelles Rahim se plie uniquement par abnégation, découlent toutes les retombées. Rien n’est de son fait, et pourtant, le héros est le seul coupable. De même, cette critique sociétale ne fait pas dans le manichéisme. Même si les écarts entre classes sociales et les rapports de pouvoir et d’argent sont mis en avant, tout le monde rencontre des difficultés ici bas. Le créancier de Rahim, lui-même, a dû sacrifier la dot de sa fille pour lui prêter l’argent qu’il réclame désormais. 

Mais alors, aujourd’hui, qu’est-ce qu’un héros ? Ici, la société veut le créer de toutes pièces. Lorsque Rahim est héroïque, tout est fait pour altérer son image. Le vrai et la sincérité disparaissent derrière la manipulation et les intérêts de chacun. L’individualisme et le jugement règnent. Qu’il s’agisse d’honneur, de morale ou d’image, le regard de l’Autre a une importance cruciale et influence chaque acte des différents protagonistes. La place de l’honneur étant centrale – une conviction qui guide chaque geste du personnage -, la menace du scandale n’est jamais loin. Un héros s’inscrit dans la société contemporaine iranienne en soulignant le poids et les dangers des réseaux sociaux dans le quotidien mais aussi en évoquant l’impossibilité du couple formé par Rahim et Farkhondeh (Sahar Goldust), pas encore mariés, d’exister. L’absurdité de ce système qui met les personnes endettées en prison sans possibilité de salut nous saute aux yeux, tout comme à ceux de l’enfant, fils de Rahim dont nous observons l’indignation presque muette avec tristesse. L’intrigue, bien que se tenant en Iran, a une portée universelle. Inégalités et injustices nous touchent de plein fouet dans ce film intense dont nous ressortons complètement retournées, submergées par l’émotion. 

Un héros est un long-métrage d’une grande force et d’une fine subtilité qui, en traitant des difficultés rencontrées par un individu, met en lumière les aberrations et malversations d’une société iranienne au caractère plus qu’universel. Encore un très beau Farhadi et un concurrent sérieux à la Palme d’or qui fait déjà beaucoup parler de lui.

Manon Koken

Un héros (Ghahreman)
Réalisé par Asghar Farhadi
Avec Amir Jadidi, Mohsen Tanabandeh, Fereshteh Sadre Orafaee
Thriller, Drame, Iran, France, 2021, 2h07
15 décembre 2021
Memento Distribution

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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