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Camille et Georges s’aiment d’un amour fou, inconscient et inconditionnel. Leur folie les a rapprochés : quelques heures après leur rencontre, ils vont se marier et quelques temps plus tard, agrandir leur nouvelle famille en donnant naissance à un petit garçon : Gary. Cet enfant, élevé au milieu de fêtes extravagantes, va suivre le chemin de ses parents et se détacher du monde avec des récits inventés de toutes pièces. Cette façon de vivre va malheureusement leur jouer des tours et ils vont voir leur quotidien pétillant s’assombrir, jusqu’à atteindre un point de non retour.
« Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire »
En attendant Bojangles est une adaptation du roman éponyme écrit par Olivier Bourdeaut en 2016. Le livre connut un succès littéraire auprès des médias et des lecteur.trice.s dès sa sortie. Avant l’adaptation sur grand écran de Régis Roinsard (Populaire, 2012 ; Les Traducteurs, 2019), le livre avait fait l’objet d’une pièce de théâtre en 2018. Le film est très fidèle à l’histoire originale. Même si certaines scènes ont été réécrites pour la fluidité scénaristique, toutes les étapes du livre sont présentes dans le film. De plus, l’univers étant abracadabrant, nous aurions pu craindre une vision restreinte par les partis pris du réalisateur. Cependant, les décors, les personnages, les costumes, sont conformes aux descriptions que l’on trouve dans le roman. Le film permet de se plonger plus profondément dans l’histoire grâce aux magnifiques scènes de danses, à la musique et aux moments de folie parfaitement interprétés. Quel plaisir d’entendre les citations poétiques clamées par Romain Duris et Virginie Efira. La seule différence notable entre le film et le livre est le point de vue. Dans le livre, l’histoire est racontée par le petit garçon, Gary, ce qui apporte un regard enfantin, presque innocent au récit. Le côté burlesque de la réalité est justifié par la vision d’un enfant. Or, le film n’a pas de narrateur. Nous rentrons donc dans le récit par nous-mêmes, sans accompagnateur ni repères. En outre, même si l’intrigue se déroule vraisemblablement dans les années 60, certaines mises en scène sont intemporelles comme si le film se passait dans un temps suspendu qui n’a pas vraiment existé, vecteur d’une nostalgie constante.
“Il ne pouvait y avoir qu’un diamant pour donner une musique pareille »
Mr. Bojangles est une chanson folk américaine écrite par Jerry Jeff Walker dans les années 60 dont la version la plus connue a été chantée par Nina Simone. Il s’agit de la chanson préférée de Camille, le personnage principal joué par Virginie Efira. Elle parle d’un homme qui fait des claquettes dans une prison de la Nouvelle-Orléans et qui se faisait appeler « Mr. Bojangles » pour dissimuler sa véritable identité auprès de la police. Camille, tout comme Mr. Bojangles, change de patronyme tous les matins et essaie d’apporter de la gaieté dans les moments les plus sombres. Mais elle est aussi, comme lui, captive dans sa propre prison : sa maladie.
Cette chanson est le cœur de la bande originale et est jouée en filigrane tout au long du film. Souvent reliée à Camille, elle est toujours annonciatrice d’un rebondissement. La musique et la danse constituent la colonne vertébrale du film. Camille et Georges se sont rencontrés en dansant et expriment leurs émotions à travers cet art. Leur manière de danser au fil de l’histoire reflète la situation de leur couple.
“Nous nous étions dit que son originalité continuait à monter les escaliers, qu’elle avait atteint un nouveau palier”
Camille, que l’on pensait simplement un peu farfelue au début, va progressivement présenter des signes de psychose. Dans le livre, il est plus difficile de déceler sa démence. Cependant, le film laisse moins de place aux doutes. L’évolution de la maladie est bien amenée et surtout merveilleusement interprétée. Camille souffre, a priori, d’un trouble du comportement s’apparentant à la bipolarité. Il faut donc savoir jouer à la fois la joie intense et la tristesse infinie, en parfois une seule scène. Virginie Efira est un excellent choix pour ce rôle car elle apporte la juste dose de pétillance dans les moments légers et la gravité nécessaire dans les scènes de confusion mentale.
L’histoire n’est pas centrée uniquement sur Camille. Elle raconte aussi comment son entourage est affecté par sa maladie. Georges, qui avait promis « d’aimer toutes celles que vous serez » lors de leur mariage, doit faire face à des choix difficiles pour protéger son fils et la protéger d’elle-même. Les scènes de démence sont si intenses qu’elles résonnent même une fois la folie passée. Nous avions déjà pu voir Romain Duris dans ce genre de rôle protecteur et désarmé dans L’Écume des jours de Michel Gondry (2013). Dans sa fantaisie, le film (et le livre) ressemble d’ailleurs beaucoup à l’histoire de Boris Vian. Mention spéciale pour le petit Solàn Machado-Graner qui campe le rôle de Gary, une révélation prometteuse. Sans oublier le personnage de L’Ordure (Grégory Gadebois), qui, malgré son nom, est le personnage le plus raisonné et qui ramène parfois les spectateur.trice.s dans la réalité.
Passionné, dramatique, puissant, scintillant, autant d’adjectifs pour décrire ce film.
Régis Roinsard nous offre une adaptation telle une bulle de champagne : prometteuse d’une ivresse joyeuse mais qui finit fatalement par exploser. Porté par un beau casting, ce long-métrage vous embarque à bord des montagnes russes vertigineuses de l’amour, de la tendresse et de la folie. Traitant d’un sujet grave et sérieux, ce récit vous donnera quand même l’envie de danser et de chanter. Il faut être bien accroché pour suivre toutes les aventures de cette famille parfois complètement irréalistes, mais comme le dit Georges : « elle avait réussi à donner un sens à ma vie en la transformant en un bordel perpétuel ».
Déborah Mattana
En attendant Bojangles
Réalisé par Régis Roinsard
Avec Virginie Efira, Romain Duris, Grégory Gadebois
Drame, Romance, France, 2021, 2h04
StudioCanal
En salles le 5 janvier 2022
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