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Belle, jeune fille à la voix de cristal, est la superstar de U, un monde numérique alternatif. Une fois déconnectée, elle redevient Suzu, une lycéenne japonaise timide et effacée. La rencontre avec le mystérieux Dragon, champion malaimé de l’arène de U, met rapidement à mal son identité secrète.
Retour d’un des maîtres de l’animation japonaise
Mamoru Hosoda est l’un des maîtres de l’animation japonaise actuelle et, chez Phantasmagory, nous l’apprécions particulièrement. Nous avons déjà évoqué deux de ses œuvres : La Traversée du Temps et Le Garçon et la Bête. Comme toujours, dans Belle, l’animation est impeccable et la rencontre entre 2D et 3D se fait en un juste équilibre. Comme dans ses films précédents, la diversité des créatures, ici des avatars, qui peuplent le monde de U, enrichit et remplit l’espace. Dans ce décor urbain aux immeubles flottants, tout droit sorti de l’univers cyberpunk de Blade Runner ou du Cinquième élément, Mamoru Hosoda a, de nouveau, choisi de jouer des contrastes. U est un monde de fête, un carnaval coloré perpétuel, où le chant est central et la foule toujours présente.
Dans la réalité, Suzu vit dans la campagne japonaise, s’exprime peu et n’a que quelques amis proches. C’est l’opposition entre Belle et la Bête qui fonde le socle du récit. Elle est talentueuse et admirée de tous, tandis qu’il est un hors-la-loi solitaire.
Mamoru Hosoda, accompagné un temps du scénariste Satoko Okudera, a trouvé la formule qui fonctionne. De La Traversée du temps à Belle, toujours, il nous a offert des récits initiatiques, dans lesquels le héros ou l’héroïne, au fil de l’aventure, passent de l’enfance à la maturité. La formule initiale est généralement la même : un héros ou une héroïne timide et/ou marqué.e par l’absence d’un parent se révèle à lui-même par la découverte d’un monde alternatif. Les films de Hosoda prônent l’importance de la famille, de la solidarité et de la confiance en soi. Le message est universel et parle à tous, petits et grands. Dans Belle, l’héroïne a perdu sa mère, événement traumatisant qui la plonge dans le mutisme et l’isolement. La relation au père, impactée par le deuil, ne consiste plus qu’en échanges de post-its et de repas en décalé. Grâce au monde de U, dans lequel elle adopte un nouveau nom et un nouveau visage, elle retrouve sa voix et est enfin reconnue à sa juste valeur.
Un propos novateur
En cela, le propos de Belle sur les réseaux sociaux semble novateur. Hosoda entame son récit en dénonçant l’hypermédiatisation de la mort de la mère de Suzu, les commentaires des haters sur les forums et la viralité de l’information, aussi bien dans le réel que dans U. S’il fait écho à notre réalité, dans laquelle la célébrité est définie par le nombre de followers et où une adolescente peut devenir influenceuse en quelques posts, dans Belle, les réseaux sociaux ont un impact positif sur le monde réel et mènent à un accomplissement. Le monde virtuel, en permettant certaines rencontres, en créant du lien – Belle avec son public, Belle avec Dragon -, permet de “commence[r] une nouvelle vie” et de “changer le monde”, le vrai. Comme souvent chez Hosoda, c’est un tremplin pour se réaliser dans le monde réel. Lorsque Suzu révèle son visage dans le monde de U, dans cet univers où chacun redoute de voir son identité dévoilée, Belle fait figure d’exemple en choisissant l’authenticité. Alors que la plupart des avatars s’alimentent de rumeurs et de jugements, elle est celle qui ouvre la voie au collectif et permet la catharsis. Chez Hosoda, l’union fait toujours la force.
Un pâle pastiche
Belle se situe dans la droite lignée de ses prédécesseurs. L’idée d’un monde virtuel échappatoire au réel est déjà présente chez Steven Spielberg, dans Ready Player One. L’Oasis, réalité alternative au nom évocateur, est un lieu où chacun peut fuir le monde réel – 2045, sombre et futuriste – et devenir qui il veut. Si Ready Player One se passait en 2022, U et l’Oasis seraient un seul et même monde. Belle fait partie de ces films influencés par la nostalgie des années 80 et/ou destinés à un public qui a grandi avec le numérique. Or, en 2018, nous reprochions au film de Steven Spielberg d’être faussement novateur, “truffé de références à la pop culture”, et doté d’un “personnage principal peu intéressant”. Des reproches qui s’appliquent également à Belle.
Jusqu’à présent, Hosoda avait su créer un univers passionnant, reposant sur des bases communes mais qui toujours se renouvelaient. Son dernier film, au contraire, nous donne l’impression d’un film de commande, recyclant ce qui marche et cachant un scénario faible sous une multitude de références, à commencer par Summer Wars, de Hosoda lui-même. Dans Summer Wars, les avatars/utilisateurs évoluent dans le monde d’Oz. Kenji, un apprenti informaticien, travaille à la maintenance de ce réseau social. Alors qu’il s’absente pour rendre service à une amie, une intelligence artificielle décide de prendre le contrôle de l’univers virtuel et de semer le chaos. Si, a priori, Belle semble le miroir inversé de Summer Wars, en réalité, le message est le même : c’est également par le collectif, grâce aux liens créés dans la réalité mais aussi dans le monde virtuel, que Kenji et ses amis parviennent à battre l’antagoniste. En outre, Hosoda reprend trait pour trait certains éléments de son propre film. La scène d’ouverture est quasiment identique et on retrouve dans U les baleines John et Yoko, esprits protecteurs d’Oz.
Intertextualité et autoréférence pourraient donner de la profondeur au film, comme dans Le Garçon et la Bête, mais ce n’est pas le cas. Hosoda manque grandement d’originalité en s’inspirant ouvertement de La Belle et la Bête de Walt Disney. La scène de la valse, bien qu’évoquée comme un simple “clin d’oeil à Disney” (BlinkBlank, n°4, automne/hiver 2021), est quasiment identique, pleine de bons sentiments, d’envols et de paillettes. De même, le château de Dragon nous semble étrangement familier et jure avec l’architecture urbaine de U. Avec ses grands yeux et ses traits fins, Belle ressemble bien plus à une princesse Disney que toutes les héroïnes précédentes de Hosoda. Ce manque de cohérence stylistique en fait d’ailleurs une pâle copie de son aîné, Summer Wars, qui possédait une identité visuelle forte, et de ses inspirations. En peinant à se détacher du conte et de ses précédentes adaptations, Belle n’est qu’un pâle pastiche de l’original.
Un scénario maladroit
Bien que Belle fasse quelques tentatives narratives originales, elles semblent malheureusement souvent artificielles. L’enquête menée par Suzu et son amie Hiroka est rapide et peu réaliste. En s’intéressant au harcèlement et aux violences intrafamiliales, Hosoda ose aborder des sujets tabous et peu traités par le cinéma d’animation. Il livre une critique discrète des services sociaux. Une bonne idée gâchée par la superficialité de l’ensemble et la fin ouverte, originale mais maladroite. A l’inverse de Summer Wars dont il pourrait être le reboot inavoué, Belle manque de complexité et de cohésion scénaristique. Trop linéaire, trop convenu et superficiel, le scénario propose des personnages-types, sans développer les enjeux de leurs relations. Suzu est une jeune fille timide et quelconque, exacte opposée de la star du lycée, la belle Ruka, à qui elle souhaiterait ressembler. Pourtant, nous découvrons rapidement qu’elle est entourée de deux jeunes hommes érigés comme potentiels love interests. Ces derniers sont également de simples archétypes, Kamishin le sportif exubérant, Shinobu le protecteur. De même, le titre de champion d’arène de Dragon ne mène nulle part, ni au développement, ni à l’étoffement du personnage, si ce n’est qu’il permet de renforcer le côté ténébreux de la Bête. Inabouti, le scénario ne nous permet pas de comprendre tout à fait ce qu’il se joue entre les personnages. Plus problématique encore, ces archétypes renforcent des stéréotypes et des modèles de relations toxiques, entre syndrome de l’infirmière et du sauveur.
Particulièrement attendu, Belle s’annonçait comme une nouvelle œuvre riche et originale, à la jonction entre réel et fantastique, à inscrire sans honte dans la lignée de Summer Wars et Le Garçon et la Bête. Le résultat se révèle rapidement décevant. Une fois passée la belle séquence d’ouverture, les difficultés à s’immerger dans l’histoire se font rapidement sentir. L’univers est, comme toujours, intéressant mais inachevé, ce qui a pour effet de frustrer le spectateur. La pluralité des thématiques abordées rend malheureusement le propos artificiel. A vouloir trop citer, Belle se piège à son propre jeu.
Johanna Benoist et Manon Koken
Belle
Réalisé par Mamoru Hosoda
Avec Kaho Nakamura, Takeru Satoh, Koji Yakusho
Fantastique, Japon, 2020, 2h02
Wild Bunch Distribution
29 décembre 2021
C’est la deuxième critique très négative que je lis. Je mettais première dans les Inrocks sur le compte d’un rejet global de l’œuvre de Hosoda, mais je dois bien avouer que ce n’est pas ici le cas, ce qui me chagrine plus encore.
Je n’ai pas encore vu le film, et je redoute maintenant d’être très déçu. Ce serait donc le premier faux pas de celui que je tenais comme le meilleur représentant actuel de l’anime japonaise ? Il semblerait en lisant cet article que ce soit le cas.
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C’est peut-être justement parce que nous apprécions le cinéma d’Hosoda que nous sommes déçues. Il est probable que l’on aurait qualifié Belle de « divertissement honnête » eusse-t-il été réalisé par un inconnu. Mais il fait pâle figure face à ses films précédents, oui.
Il n’empêche que nous attendons avec impatience ses prochaines productions.
L’as-tu vu entretemps ?
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Pas encore, mais je viens de le récupérer. Je vais pouvoir me forger mon propre avis.
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Au plaisir d’échanger sur le sujet avec toi 🙂
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