[DÉFI] Un bon film dans lequel un personnage observe l’action à travers un écran

Une femme s’évanouit de manière théâtrale, un objet roule doucement au sol en gros plan, des inconnus fomentent un plan machiavélique juste à côté des concernés… Le cinéma est rempli de motifs, parfois récurrents, qui intriguent et s’impriment dans nos esprits. Tous les deux mois, nous vous proposons le défi “Un bon film avec…” : chaque rédactrice dénichera un film en lien avec un thème (plus ou moins) absurde mais qui vient naturellement à l’esprit. Pourquoi ces images s’imposent-elles ? Quel sens recouvrent-t-elles dans notre imaginaire ? Et dans l’œuvre ? Les retrouve-t-on dans un genre précis ? Comment deviennent-elles des clichés ?


/! Cet article peut contenir des spoilers. /!

Temps de lecture : 10 minutes

Squid Game, Hunger Games, You, V pour Vendetta, The Truman Show les films et séries qui nous viennent à l’esprit quand nous pensons à un personnage derrière un écran sont nombreux. 

Voyeur.euse, surveillance, étude, l’écran crée une distanciation entre l’observé.e et l’observateur.trice.

Pour ce défi, nous avons décidé d’analyser Red Road d’Andrea Arnold, La Cabane dans les bois de Drew Goddard et Panic Room de David Fincher.

Et surtout n’oubliez pas de voter à la fin de l’article.

Red Road, Andrea Arnold, date

Opératrice dans une société de télésurveillance, Jackie vit derrière les écrans de son poste de contrôle à Glasgow. Elle observe jour et nuit le quartier de Red Road. Une nuit, alors qu’elle travaille, il lui semble reconnaître un homme qu’elle ne pensait jamais revoir.

Premier long-métrage de la cinéaste britannique, Andrea Arnold, Red Road est une œuvre audacieuse qui montre la complexité et la dualité qui habite son héroïne, Jackie. Par le biais des écrans, la réalisatrice examine également la détresse sociale de la banlieue de Glasgow (elle fera de même dans ses longs-métrages suivants Fish Tank et American Honey). Red Road est un quartier à la marge où d’anciens détenus et marginaux tentent d’y refaire leur vie.

Dès le générique l’écran de surveillance envahit l’image. Nous découvrons Jackie (jouée par Katie Dickie dans son premier rôle) derrière une multitude d’écrans. Ce sont ses mains d’abord qui apparaissent, puis ses yeux. Les mains, car cela lui permet de manipuler les images qui se dévoilent devant elle, les yeux, car elle scrute à la recherche d’une erreur, d’une anomalie, d’un danger. Elle voit des visages familiers, des habitudes. L’anodin devient source de bonheur pour elle : cet homme qui chaque soir sort son chien récalcitrant, une femme qui rentre chez elle, une femme de ménage qui danse en travaillant… Tout devient touchant, mais aussi terriblement voyeur. Elle rentre dans l’intimité de personnes qui ignorent être observées vivant leur vie de manière anonyme. Et tout d’un coup, elles et ils sont l’objet de toute l’attention de Jackie. Leur vie est projetée sur une multitude de petits écrans. 

Photogrammes x9

Assez rapidement, après avoir montré Jackie hors de la salle de contrôle — nous comprenons que c’est une femme brisée et triste qui sort peu — la cinéaste la met face à son passé. Alors qu’un soir, en service, elle remarque un homme pourchassant une femme, elle pense assister à un viol, mais la femme s’arrête et se retourne vers l’homme pour parler. Le couple s’enlace passionnément, violemment. Jackie, voyeuse, commence elle-même à se sentir excitée par la scène. Son corps se fige et seule sa main caresse la manette de contrôle doucement, presque inconsciemment. Puis l’acte se termine et sur l’image qu’elle scrute, un visage se dessine. Devant le visage pixelisé de l’homme, et même si nous ne percevons rien ou presque de détails, Jackie se fige. Elle reconnaît un fantôme qu’elle pensait ne jamais revoir. Après cette séquence intense, Jackie va devenir une femme obsédée pour retrouver cet homme et se rapprocher de lui. Elle va dépasser les écrans pour entrer à nouveau dans la réalité et se confronter à ses émotions. L’écran était une barrière pour ne pas avoir affaire à ses sentiments et à sa douleur. 

Photogrammes x9 (1)

Marine Moutot


Red Road
Réalisé par Andrea Arnold
Avec Kate Dickie, Nathalie Press, Tony Curran, Martin Compston
Drame, Royaume-Unis, Danemark, 1h52
2006
Equation
Disponible sur UniversCinéFilmoTVArte Boutique

 

La Cabane dans les bois, Drew Goddard, 2012

Film « méta » par excellence, La cabane dans les bois revisite les codes du film d’horreur avec humour. Une bande de cinq amis partent pour une virée en forêt, ils s’installent pour le week-end dans une cabane prêtée par un proche. Évidemment, rien ne va se passer comme prévu et les vacances vont rapidement virer au cauchemar…

Le titre du film est très évocateur et s’inscrit dans la droite lignée du genre. On songe tout de suite à La Dernière maison sur la gauche (Wes Craven, 1972), Evil Dead (Sam Raimi, 1981) ou Cabin Fever (Travis Nicholas Zariwny, 2016). Bref, on s’attend à de longues courses-poursuites et à beaucoup d’hémoglobine. Si le film a quelques défauts, sa séquence d’ouverture est très réussie car Drew Goddard nous prend totalement au dépourvu. Pas de bande de copains, pas de cabine rafistolée, mais des laborantins qui ont de la bouteille et des bureaux aseptisés. La suite du long-métrage est constituée d’allers retours entre ces bureaux, et les bois dans lesquels se joue un massacre piloté à distance par nos scientifiques.

Ici, les personnages sont donc dans la cabane, la nuit est tombée. Jules et Curt décident de s’isoler dans les bois pour s’adonner à leurs ébats en toute tranquillité. Marty, resté dans la maisonnette, analyse les comportements de ses amis, incompréhensibles car assignés à des rôles déjà vus en sociologie ou dans des fictions. Depuis quand agissent-ils comme deux ados écervelés ? Alors que les deux tourtereaux partent dans les bois, les scientifiques de la séquence d’ouverture font une nouvelle apparition derrière leur écran géant. Ils scrutent minutieusement l’action, au même titre que les spectateurs derrière leur téléviseur. Et ils reconnaissent eux aussi les codes de la fiction qui régissent les agissements des protagonistes. Ils souhaitent visiblement, à dessein, que Jules et Curt s’ébattent langoureusement, dans une scène romantique qui collerait aux clichés de la fiction.

1

2

Cette séquence, au sens cinématographique du terme, doit être parfaite. Une alternance de plans du couple dans les bois et des scientifiques nous donne à voir ces derniers comme de véritables metteurs en scène. Leurs gestes en coulisses ont une influence sur le comportement des personnages, qui deviennent de véritables marionnettes, au service d’une société qui souhaite “satisfaire les clients” (quelle société, quels clients, il faudra attendre la fin du film pour le découvrir…). Suspendus à la scène érotique qui se déroule sous leurs yeux, ces voyeurs en cravate huent la jeune femme alors qu’elle cherche à rentrer dans la cabane car elle a froid. Au moyen de boutons et de leviers, les hommes du bureau envoient des phéromones sur ce qui ressemble à un plateau de cinéma, et modifient l’éclairage de la forêt, créant un puits de lumière romantique.

34 Le cadre est désormais propice, nos deux personnages sont enfin prêts à s’ébattre dans les bois. Mais, comme un nouveau point de vue qui entrerait en jeu, la caméra surplombe les personnages et plonge vers eux. La partition, qui pourrait être celle d’un film de Hitchcock, ajoute au sentiment qu’une menace pèse sur nos personnages.

56Gros plan sur le bras de la jeune femme qui s’étend dans un geste de plaisir. La romance cède très vite la place à l’horreur, alors qu’un objet coupant se plante dans la main délicate. Nous avions vu juste, l’incursion de zombies assoiffés de sang vient rompre la quiétude du moment. Tout s’est déroulé comme prévu, les deux jeunes gens ont servi de personnages à cette fiction montée de toute pièce par les voyeurs omniscients de La Cabane dans les bois.

7

Lucie Dachary


La Cabane dans les bois
Réalisé par Drew Goddard
Avec Chris Hemsworth, Kristen Connolly, Anna Hutchison
Thriller, Epouvante, Etats-Unis, 2012, 95 min
Lionsgate

 

Panic Room, David Fincher, 2002

Alors qu’elles viennent d’emménager, Meg Altman et sa fille Sarah se font cambrioler dans leur nouvelle maison à Manhattan. Elles vont se réfugier dans la pièce sécurisée construite par l’ancien propriétaire et suivre les agissements des trois intrus à travers le réseau de caméra de surveillance.

Dans ce huis-clos haletant, David Fincher interroge notre culte de l’image et les rapports de force qui en découlent. Dans la panic room il y a de quoi se sentir pleinement en sécurité et subsister pour un certain temps : un sanitaire, de la nourriture, une ligne téléphonique indépendante et un système de surveillance, qui est introduit dès le premier quart d’heure du film. Après une première configuration par la mère le soir de l’emménagement, on découvre que la caméra est live et presque documentaire. Elle ne ment pas et offre une marge de manœuvre à ceux qui sont devant les images. Tardivement ce même soir, Meg voit les cambrioleurs discuter dans l’escalier, le montage saute sur un plan de cet échange entre les protagonistes. Elle va ainsi organiser sa première sortie pour récupérer son téléphone portable dans la chambre. Cette action confirme sa position de domination et la véracité de ce qu’elle voit puisque l’action réussit et elle retourne se barricader dans la panic room. 

Photogrammes x45 P

La tendance s’inverse un peu plus tard. Alors que mère et fille sont toujours enfermées, le corps de l’un des intrus est substitué à celui du père assommé venu les secourir. Le stratagème opère, le cambrioleur feignant d’être loin de la pièce sécurisée est en fait juste à côté et rentre dans la forteresse. L’image perçue n’est plus la réalité, elle a été manipulée. La narration surfe pendant toute la durée du thriller sur cette balance constante de domination et déconstruit finalement la suprématie des écrans. Si on ne peut plus se reposer sur ce que l’on voit, il faut trouver un autre moyen pour résister. Dans la dernière séquence du film, l’ascendant est repris par Meg. Elle s’empare d’une massue et détruit les caméras. Ainsi les cambrioleurs qui sont dans la panic room sont aveuglés.

Photogrammes x6

La disparition du médium « écran » permet le plein éveil de la réflexion et de la prise en main de son destin : l’instinct de survie de Meg prend le dessus. Elle va repenser l’espace de sa maison et définir un parcours menant les cambrioleurs au piège tendu un étage plus bas. La séquence est mise en scène comme une chasse en battue. À la place de chiens pour orienter la trajectoire, elle ferme les portes. Sa massue fait office de fusil de chasse et son ex-compagnon est prostré, armé en bas des escaliers. Tous deux patientent que les proies se décident enfin à pointer le bout de leur nez pour leur tomber dessus. En se libérant de toute retransmission, elle établit ses propres règles à travers sa seule perception et reprend l’avantage dans ce jeu du chat et de la souris.

On connaît Fincher comme étant un réalisateur issu de la publicité, l’un des domaines par excellence de la manipulation des images. Et si Panic Room était une mise en garde de la confiance parfois aveugle qu’on accorde à ce que l’on voit, que ce soit en termes de sécurité, d’information et de plaisir, et une invitation à la réflexion de qui contrôle ces transmissions ? Et si la vraie libération résidait dans la fin de l’aliénation instaurée par les écrans ?

Clémence Letort-Lipszyc


Panic Room
Réalisé par David Fincher
Avec Jodie Foster, Kristen Stewart, Forest Whitaker, Jared Leto
Thriller, Policier, Drame, Etats-Unis, 2002, 1h53
Columbia Pictures
Disponible sur Netflix

 

À partir de 2022, retrouvez de nouvelles pépites tous les deux mois. On vous donne rendez-vous le mardi 12 avril 2022 pour vous proposer plusieurs bons films dans lesquels un personnage pousse des cris aigus ridicules.

Vous aussi, mettez-nous au défi de dénicher des films en rapport avec votre thème, en votant pour le Défi #33 avant le 11 avril 2022. Vous pouvez également proposer de nouveaux thèmes en commentaire ou sur les réseaux sociaux.

 

 

 

 

 

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :