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Et à part la romance ?
Chaque année, la Saint-Valentin est pour nous l’occasion de mettre en avant les séries sud-coréennes, et plus particulièrement les séries romantiques. Celles-ci, plus populaires et davantage connues du public européen, ne sont que la face apparente d’une importante production. Cette année, le phénomène Squid Game (오징어게임) change la donne. Si Kingdom (킹덤) s’était déjà faite remarquer en 2019, avec Squid Game, le public occidental découvre la diversité des productions coréennes.
Netflix est le principal vecteur de la rencontre de ces séries avec un nouveau public, nourrissant le succès des kdramas – autre nom des productions coréennes – et s’en nourrissant. Le géant de la SVOD s’est intéressé aux productions coréennes bien avant ses concurrents Apple TV+ (Dr. Brain, Dr. 브레인, 2021) et Disney (너와 나의 경찰수업, 2022) : en 2017, Netflix produisait le drama Love Alarm (좋아하면 울리는), dont la saison 2 est sortie en 2021. Avant cela, les plateformes investissant et diffusant des séries coréennes leur étaient exclusivement réservées, limitant leur rayonnement à un public déjà acquis (en France, Dramapassion et Rakuten Viki). Afin de toucher un plus large public, la plateforme engage de grands noms, connus à l’international, tels Yeon Sang-Ho, scénariste et réalisateur de Dernier Train pour Busan (부산행, 2016) et créateur de la série Hellbound (지옥, 2021). Côté acteurs, on trouve en tête d’affiche de The Silent Sea(고요의 바다) les très populaires Gong Yoo, lui aussi membre du cast de Dernier Train pour Busan, et Bae Doo-Na, qui a joué pour les soeurs Wachowski dans Cloud Atlas (2012), Jupiter : Le destin de l’univers (2015) et Sense8 (2015-2018). Engager ces vétérant.e.s est également un moyen de toucher un public de trentenaires qui se seraient intéressé.e.s aux séries coréennes dans leur adolescence. Gong Yoo a par exemple tenu le premier rôle dans un des succès des années 2000, la romance Coffee Prince (커피프린스 1호점, 2007). Autre stratégie gagnante de Netflix, lui permettant cette fois de toucher un jeune public : investir dans l’adaptation de webtoons, ces bande-dessinées en ligne au succès grandissant, elles aussi venues de Corée. Ainsi, parmi les productions Netflix à succès, Itaewon Class (이태원 클라쓰, 2020), Love Alarm, ou encore Sweet Home (스위트홈, 2020) sont adaptées de webtoons, tout comme, en 2021, Deserter Pursuit (디피), Nevertheless (알고있지만,), Navillera, Hellbound, The King’s Affection (연모), et, dernièrement, All of Us Are Dead (지금 우리 학교는). Dr Bain, la première production Apple TV+, est également une adaptation. En outre, depuis le succès de Squid Game, Netflix n’hésite plus à promouvoir quelques-unes de ses productions asiatiques : ces derniers mois, The Silent Sea, avec son casting de rêve, et All of Us Are Dead, sa nouvelle série d’horreur haletante, apparaissaient en page d’accueil bien avant leur diffusion, attisant la curiosité et le désir des spectateurs et spectatrices, y compris de celles et ceux qui seraient passé à côté en d’autres circonstances.
Nos deux précédents top se concentraient sur les romances. Bien que le thriller Extracurricular (인간수업, 2020) se soit frayé une place dans notre dernier top des séries, c’est toujours un déchirement de ne pas mentionner quelques pépites qui n’appartiennent pas au genre. C’est le cas de Kingdom, bien sûr, qui, si nous l’avions vue à temps aurait intégré notre top séries 2019/2020. Plus récemment, ce sont les séries Sweet Home, également horrifique – genre dans lequel la Corée excelle -, qui a rencontré un petit succès sur Netflix, ou Missing : The Other Side (미씽: 그들이 있었다, 2020) et Train (2020), qui mêlent policier et fantastique, qui ont attiré notre attention. L’année 2021 est donc l’occasion de mettre en avant d’autres genres, avec un top qui leur est exclusivement consacré. Bien qu’il soit difficile d’écarter toute romance, j’ai choisi d’exclure toutes les séries dont celle-ci serait le cœur. Comme chaque année, sont considérés comme “séries de 2021”, les kdramas dont la diffusion s’est terminée entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2021.
Inégalités, lutte des classes et violences systémiques
Regards sur les inégalités sociales : la violence des puissants
Les créateurs sud-coréens portent un regard critique sur leur société. Cela se traduit par une mise en scène des inégalités, y compris dans la romance et le mélodrame. Je détaillais déjà dans mon premier top le trope de “Cendrillon”, encore très populaire il y a quelques années, celui d’une romance entre une jeune femme pauvre et un riche héritier. La popularité de ce scénario reflète le pouvoir détenu par les chaebols, ces familles fortunées, véritable caste d’héritier.e.s à la tête des puissants conglomérats sud-coréens. Dans un pays où les riches se marient entre eux et où le revenu des 10% des ménages les plus aisés est plus de cinq fois supérieur à celui des 10% de ménages les plus modestes, le mariage peut apparaître comme seul moyen de faire fonctionner l’ascenseur social, en particulier pour les femmes. C’est ce qui a permis aux personnages féminins de The Penthouse (펜트하우스) d’entrer à l’Hera Palace, immeuble convoité dans lequel les 1% des plus fortunés vivent dans l’entre-soi. Ces riches familles sont dépeintes comme violentes et écrasantes. Dans ce mélodrame outrancier (ou “makjang”), elles possèdent tous les vices : corruption, agression, mensonge, chantage, harcèlement, humiliation, infidélité, meurtre… Dans Mine, Reflection of You (너를 닮은 사람 ) et The Road : The Tragedy of One (더 로드: 1의 비극), qui mettent également en scène la haute société, on retrouve cette même violence, à l’encontre des autres comme de la famille elle-même. Le personnage de la marâtre a la vie dure et continue d’humilier ses belles-filles d’origine modeste. Son pendant masculin, le patriarche manipulateur, permet une critique de l’influence des chaebols, au cœur de plusieurs scandales ces dernières années, notamment pour corruption. Dans The Road : The Tragedy of One, le chef de famille manipule son gendre journaliste afin de l’empêcher d’enquêter et de publier une information gênante. La comparaison avec la mafia est tentante et amorcée par Vincenzo (빈센조), dans lequel un “consigliere”, conseiller et main droite du Parrain italien, débarque en Corée et y affronte un trust pharmaceutique véreux. Leurs méthodes sont mafieuses et seul un connaisseur sera capable d’y mettre fin.
Le personnage du fonctionnaire corrompu est le versant de ce portrait noir et un contre-modèle pour le personnage principal. L’officier Park, dans Dark Hole, est le pendant négatif de Yoo Tae Han, son junior devenu dépanneur, plus courageux et altruiste que ce policier vétéran. C’est aussi le cœur du propos de Delayed Justice (날아라 개천용), qui met en scène la relation complexe entre journalistes, procureurs et politiciens, les premiers dépendant des deux autres. La série dépeint un duo d’amis, respectivement journaliste et avocat, se rebellant contre l’ordre établi : ils décident de poursuivre leurs métiers sans l’appui des puissants et de faire tomber un procureur criminel.

Le logement : catalyseur des inégalités, symbole de la lutte des classe
À l’écran comme dans la réalité, le logement cristallise les inégalités. Symptôme d’une société à deux vitesses et étroitement liée à l’endettement des ménages, l’accession au logement, et, surtout, à un logement décent, est de plus en plus coûteuse. D’un côté, de luxueux complexes, de beaux appartements au dernier étage d’immeubles sécurisés, de l’autre, les demi sous-sols comme ceux présentés dans Parasite (기생충, Bong Joon-Ho, 2019). Au milieu de tout cela, de puissants requins de l’immobilier, vivant au sommet, comme M. Joo dans The Penthouse, qui expulse les locataires de vieux bâtiments pour construire de nouveaux complexes plus rentables, tout comme le trust corrompu de Vincenzo. Le succès de séries mettant en scène des familles co-habitant dans un complexe au luxe parfois outrancier (The Penthouse, 2021 ; Sky Castle, 2018), illustre la relation complexe qu’entretient le public avec ces lieux, entre désir et rejet. Le principal souhait de l’héroïne de Happiness est de devenir la locataire d’un appartement neuf, ce qu’elle obtient grâce à une épidémie naissante, après négociations et un mariage blanc. Cette série de zombies, et les séries de genre de manière plus générale, mettent en scène et exacerbent le rôle joué par le logement dans l’antagonisme de classe. Confinés dans leur immeuble flambant neuf, les habitants interagissent selon leur statut social. Celui-ci coïncide avec leur place au sein du bâtiment. La distinction est faite entre locataires, qui vivent aux premiers étages et sont exclus des espaces partagés, et propriétaires, retranchés aux étages supérieurs. Au fur et à mesure des rebondissements commence une valse des habitants. D’abord, il faut accueillir ceux qui se trouvent là par hasard, confinés dans un immeuble qui n’est pas le leur, et donc, sans logement. Et puis, il y a ce convoité appartement du quinzième étage, le plus grand, le plus haut, dans lequel son propriétaire vit retranché. Bientôt, ce ne sont plus ni les infections ni les infectés qui délogent les occupants, mais les autres, qui convoitent un meilleur logement, à l’image de cet homme qui, s’apprêtant à s’emparer d’un appartement, déclare : “Après tout ce que j’ai traversé (…), devrions-nous prendre cette maison ?”. Cela n’est pas sans rappeler Parasite, succès cinématographique de l’année 2019. L’épidémie, si elle commence sous le signe du COVID-19, évoqué dans le premier épisode, peut ainsi être interprétée à l’aune de la lutte des classes, reflétant à la fois la peur des foyers aisés de perdre leurs acquis, et le désir et la colère de ceux qui n’ont rien. La fumée de Dark Hole, autre série de zombies, qui infecte ceux qui la respirent, évoque d’ailleurs des images de lutte des classes, celles des manifestations qui ont marqué la Corée et son imaginaire, réprimées dans la violence et les fumigènes.

Une violence systémique
La force des meilleures séries est de se détacher d’une vision manichéenne pour proposer une lecture subtile et systémique de la société. Cela est permis par le genre, qui puise dans l’imaginaire et la métaphore et offre une lecture multiple. Nous avons déjà évoqué la dimension critique du cinéma de genre sud-coréen et analysé The Host (괴물, Bong Joon-Ho, 2006), Pandémie (감기, Kim Seong-Soo, 2013) et Dernier train pour Busan. Ce dernier, film de zombie qui a remporté un vif succès jusqu’à chez nous, se situe dans la lignée du cinéma de Romero, le créateur du genre, pour qui les zombies étaient une métaphore des consommateurs. Toutefois, davantage qu’aux personnages zombifiés, le cinéaste coréen s’intéresse aux survivants et à leurs réactions. Comme dans The Penthouse et Squid Game, l’abri dans lequel ceux-ci se retranchent, couplé à la situation dangereuse, crée un microcosme qui exacerbe les comportements. Ce sont ces réactions qui intéressent les créateurs sud-coréens, marqués non seulement par un climat paranoïaque – contre l’ennemi nord-coréen, japonais ou chinois, contre le communisme, contre les mouvements d’émancipation -, la corruption et la répression, mais aussi – et c’est lié – par les réactions inadéquates des autorités (Dernier Train pour Busan fait référence à un événement réel, le naufrage d’un ferry en 2014, où les responsables ont fui et le gouvernement minimisé sa responsabilité). Cette année, la zombification prend donc la forme d’une maladie, rendant les malades encore capables de parole et de réflexion, et à laquelle certains peuvent résister. En ne zombifiant que ceux qui succombent à la peur et la colère (littéralement, car dans Dark Hole, comme dans Sweet Home, la maladie a davantage la forme d’une entité qui tente de corrompre les infectés que d’un virus), les artistes poursuivent leur discours sur la corruption et la violence. D’ailleurs, un personnage de Happiness accuse les survivants : “Vous êtes les vrais monstres, pas les infectés”. Une accusation de prime abord paradoxale, puisque, face aux attaques, les “gentils” héros n’ont d’autre choix que d’avoir à leur tour recours à la violence. Ainsi, l’héroïne de Dark Hole, qui d’abord usait de la sommation avant de blesser, bientôt, n’hésite plus à tirer et à tuer les infectés. C’est la même chose qui se joue dans Squid Game, où les personnages sont poussés à tuer pour survivre, et où les bourreaux font partie du peuple comme les joueur.euse.s. Masqués, ils portent d’ailleurs des combinaisons colorées, rouge, couleur complémentaire de celle des joueurs, verte, comme s’il s’agissait des dossards d’une équipe adverse, les symboles géométriques remplaçant les numéros. Les jeux violents auxquels s’adonnent et qu’acceptent les participants renvoient à la violence d’un capitalisme très bien dépeint dans les deux premiers épisodes. Face à un faux choix, face à la misérabilité de leur existence, avec pour seul espoir l’improbable chance de gagner l’argent de ceux qui n’ont pas réussi, mûs par un élan de survie, alors, ils acceptent les règles du jeu. Un jeu qui a bien tout d’un système, puisqu’il faut en connaître les règles pour s’en sortir : ainsi, Ali, immigré qui ne connaît pas les jeux auxquels il doit jouer, dépend de ses concurrents pour s’en sortir. La dénonciation la plus claire de la structure systémique des violences se trouve dans Deserter Pursuit, qui dépeint le harcèlement et les humiliations au sein de l’armée, pendant le service militaire, obligatoire en Corée du Sud. Contrairement à d’autres séries comme Happiness, où les soldats sont des alliés relativement épargnés, la violence, rite de passage obligé, se répand insidieusement dans toute la société. Tous ceux qui ont été en contact avec elle à leur tour la propage : le gentil professeur pacifiste devient harceleur, les pères alcooliques battent leurs femmes, les patrons humilient leurs employés… Ce discours critique, plus direct que dans d’autres productions, est certainement permis par Netflix, malgré tout ce qu’on peut lui reprocher par ailleurs. Les chaînes de télévisions coréennes, qui produisent la plupart des séries télévisées, dépendent des investisseurs locaux, qui les sponsorisent en échange de placements de produits. La moindre polémique peut les faire fuir et mettre en danger la production, comme ce fut le cas cette année de Joseon Exorcist (조선구마사), annulée après la diffusion des deux premiers épisodes. Un drama comme Deserter Pursuit aurait-il été possible sur une chaîne publique ? Avec son système de financement moins ancré dans l’économie locale, Netflix donne certainement davantage de liberté aux créateurs sud-coréens. Nombre des succès critiques et populaires de cette année sont des productions Netflix, comme le fameux Squid Game. Nombreux sont les articles à s’être étonnés de sa popularité et de sa violence exacerbée. Pourtant, si Netflix investit largement dans l’audiovisuel coréen, c’est que cette violence systémique, fruit d’un système capitaliste corrompu et corrupteur, parle au public occidental, qui, sans doute, reconnaît dans les difficultés coréennes, exacerbées, ses propres difficultés.
Les meilleures séries de 2021

Deserter Pursuit (디피) – Netflix – Han Jun-Hee
Ahn Joon-ho entame son service dans la police militaire. Une fois dans le camp, il découvre un univers violent et humiliant, où les nouvelles recrues doivent se soumettre aux brimades des anciens. Bientôt, il intègre la brigade chargée de retrouver les déserteurs. Échapper au harcèlement, aider un proche, poursuivre une vie de gangster : tous ont une raison de quitter l’armée.
En seulement six épisodes, Deserter Pursuit trouve le juste équilibre entre dénonciation des brimades – avec des scènes presque insoutenables – et moments de camaraderie entre le personnage principal, Ahn Joon-Ho (Jung Hae-In), et son acolyte, Han Ho-Yeol (Koo Gyo-Hwan). Il ne s’agit pas avec Deserter Pursuit de dénoncer les agresseurs mais la normalisation du harcèlement. Tous les soldats, y compris le sympathique héros, sont les rouages d’un système bien huilé. Au fur et à mesure des épisodes se dévoilent les conséquences des humiliations, jusqu’à un final glaçant. Ce dernier est d’autant plus marquant qu’il est prévisible : inéluctablement, tant que personne ne grippe le système, le dérapage approche.
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The Silent Sea (고요의 바다) – Netflix – Park Eun-Kyo
Dans un monde post-apocalyptique où l’eau manque, une équipe de chercheurs et d’astronautes est envoyée dans une base lunaire abandonnée. Là, ils découvrent une eau particulière, qui, si elle a la propriété de se multiplier, est également mortelle.
The Silent Sea n’est pas sans rappeler Alien : Le Huitième passager (Ridley Scott, 1979). Le rythme est similaire, le suspense construit petit à petit, la mise en scène léchée et le propos intelligent. Si les premiers épisodes peinent à trouver le rythme approprié, dans une tentation du trop-explicatif, une fois l’équipage arrivé dans la base abandonnée, l’intrigue se transforme en un huis clos convaincant. Maîtrisant les codes de la science-fiction horrifique, le réalisateur Choi Hang-Yong joue avec le visible et l’invisible et tiraille son spectateur avec des réflexions éthiques pertinentes. Que peut-on sacrifier pour sauver l’humanité ? Si la tentation du manichéisme est présente, le propos est assez subtile pour ne pas nous imposer de réponse.
Visible sur Netflix

Hellbound (지옥) – Netflix – Yeon Sang-Ho
Un phénomène étrange se produit en Corée. Des citoyens voient leur mort annoncée par un être énigmatique et meurent carbonisés sous les coups de créatures fantastiques. Une secte s’empare du sujet, y voyant une punition divine, et s’impose dans le paysage politique.
Au premier abord, le format de Hellbound peut surprendre. Bien que quelques personnages soient fils conducteurs, point de personnage principal dans la première série du créateur de Dernier train pour Busan. Mettant à profit le format épisodique, le réalisateur choisit de dépeindre la naissance d’une secte. Celle-ci profite de l’apparition de créatures étranges pour organiser une chasse aux sorcières et imposer sa vision moralisatrice et violente du Bien. Yeon Sang-Ho utilise le format sériel pour déployer son récit sur le temps long et, ainsi, analyser montée du fanatisme et manipulation de masse. Une série qui renvoie à l’actualité sud-coréenne, confrontée aux dérives sectaires et mouvements réactionnaires, tout en trouvant écho en Occident.
Visible sur Netflix
Mentions honorables

Dark Hole, Happiness, L.U.C.A. : The Beginning et Sisyphus : The Myth
Happiness, Sisyphus et L.U.C.A ne sont pas dénuées de romance. Mêlée à des éléments fantastiques, elle plaira aux amateurs de genre. L.U.C.A. et Sisyphus obéissent à une formule populaire en Corée : un citoyen pas si lambda (une commissaire dans le premier, un brillant inventeur à la tête d’une grosse entreprise dans le second) se retrouve mêlé aux mésaventures d’un être mystérieux, pourchassé par un puissant groupe secret. Dans L.U.C.A., il est question de super-pouvoirs et d’expérimentations scientifiques : un surhomme amnésique tente d’échapper au laboratoire qui l’a créé. Dans Sisyphus, une jeune femme venue d’un futur post-apocalyptique tente de sauver le créateur d’une machine à voyager dans le temps. Dans les deux cas, une puissante technologie, capable de mettre fin à la vie humaine, est convoitée et les deux héros doivent percer le mystère, déjouer les attaques et les plans de véritables Méchants. L’action est au rendez-vous !
Happiness et Dark Hole sont, quant à elles, deux séries de zombies, ou, plutôt, d’infectés. Si la seconde, davantage portée sur l’action, reprend de manière efficace les codes du genre et présente des “mutants” effrayants et convaincants, la première marque davantage par son humanisme. Bien qu’il soit parfois naïf, il est aisé de se reconnaître dans la foi obstinée des héros, qui puisent leur force dans leur foyer. Il met en scène un couple de jeunes mariés qui viennent d’emménager dans un complexe d’appartements flambant neuf. Davantage que les infectés, ce sont les machinations et la méchanceté de leurs voisins qu’ils doivent affronter.
Malheureusement, produites et diffusées à la télévision coréenne, ces séries pâtissent d’un mal typique des kdrama : leur longueur. Avec des épisodes de plus d’une heure, généralement au nombre de seize, et souvent diffusées avant même que le tournage soit terminé, les séries coréennes ont la fâcheuse tendance à perdre en densité, à s’écarter de leur propos et à s’embourber dans des épisodes de trop. Si elles restent cohérentes et divertissantes, ces quatre séries n’échappent pas à quelques longueurs et redites, ainsi qu’à quelques clichés.
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Squid Game : que vaut la série phénomène ?
Attention spoiler !
Seong Gi-Hun cherche à gagner de l’argent facilement pour rembourser une dette importante, garder sa fille près de lui et aider sa mère vieillissante. Mais incapable de se prendre en main, il accepte de jouer à un jeu particulier. En effet, des centaines de personnes s’affrontent dans une arène dans l’espoir de gagner beaucoup, beaucoup d’argent.
Tout le monde a entendu parler du phénomène Squid Game. Les enfants dans la cour de récréation sont même allé.e.s jusqu’à reproduire les jeux mortels et violents auxquels les participant.e.s jouent dans la série. L’œuvre a d’ailleurs été très vite réduite à cela : une compétition de plus en plus violente et intenable. Pourtant cette série coréenne est bien plus que cela. Il s’agit, tout d’abord, d’une critique intelligente de notre société de consommation où les femmes et les hommes sont laissé.e.s au bord du chemin. Les épisodes se suivent intelligemment pour montrer l’horreur de la vie quotidienne et de ses difficultés. Alors que le premier épisode se conclut sur la libération des participant.e.s qui rentrent chez elleux, dans le secend épisode, la violence n’est plus imposée par un jeu ignoble dont les personnes ne connaissaient pas les règles, mais bien par la vie quotidienne. Confortée à une société qui les ignore, voire même qui les empêchent d’avancer, iels voient dans le jeu une sorte d’équité : tout le monde est placé à la même enseigne et a l’impression d’avoir une chance de réussir.
C’est en cela que la série est réussie : elle montre que la cruauté n’est pas là où l’on croit. Au fil de la série, bien évidemment quelques arcs narratifs classiques et un peu clichés prennent place pour que nous nous attachons plus à certain.e.s qu’à d’autres, mais la fin du jeu – et de la série également – laisse un peu d’espoir, là où la morale aurait pu être très sombre et cynique. Le réalisateur et scénariste fait le choix de la bonté, plutôt que l’appât du gain. Le héros – un peu malgré lui -, même si nous voyons son destin se dessiner très rapidement, n’est jamais binaire. S’il reste intègre sur la fin et refuse de tuer son ancien camarade de classe, il n’hésite pas à sacrifier le vieux monsieur, Oh Il-Nam, parce qu’il juge intrinsèquement que ses jours sont comptés quoi qu’il en soit. La série n’hésite ainsi pas à mettre le public face à ses préjugés et ses certitudes.
Pour finir, Squid Game a une identité visuelle simple et forte qui marque durablement. L’idée des jeux d’enfant est intégrée dans la mise en scène. Ludique, elle cherche à surprendre par des couleurs vives et enfantines. Le premier massacre a lieu dans un simili de cour de récré, les joueur.euse.s s’affrontent à 1,2,3 soleil. Celleux qui bougent sont tué.e.s par une poupée mécanique géante. Effrayante, elle porte une robe orange pastel et des couettes. Le rouge (tenue des gardien.ne.s) et le vert (tenue des participant.e.s), couleurs complémentaires, s’annulent dans un effet de trop plein. De même, les formes géométriques (le rectangle, le rond, le carré) viennent rappeler les jeux d’éveil, mais également instaurent une hiérarchie entre le personnel de cette danse macabre. La mise en scène de Hwang Dong-hyuk n’a de cesse de faire des liens visuels pour réactiver nos souvenirs.
Squid Game n’est ainsi pas une série qui cherche simplement à choquer, surtout à notre époque où la violence semble de plus en plus nécessaire pour capter l’attention du public, mais bien à faire réfléchir au monde qui nous entoure et aux diktats qu’on nous impose.
Marine Moutot
Pour conclure, nous vous proposons, plutôt que notre traditionnelle playlist, réservée aux romances, de choisir le sujet du Top Kdrama 2022. Devrai-je à nouveau me concentrer sur les romances ou continuer de les exclure ? Devrai-je ne pas faire de distinction et m’intéresser à l’ensemble des séries, tout genre confondu ? Ou bien souhaitez-vous l’analyse d’un genre précis, autre que la romance ?
Johanna Benoist
Dark Hole
Scénario de Jeong Yi-Do
Réalisation de Kim Bong-Ju
Avec Kim Ok-Vin, Lee Jun-Hyeok, Bae Jung-Hwa
Corée du Sud, 2021, OCN, Viki
Deserter Pursuit (디피)
Scénario et réalisation de Han Jun-Hee
Avec Jeong Hae-In, Koo Kyo-Hwan, Kim Sung-Kyun
Corée du Sud, 2021, Netflix
Happiness
Scénario de Han Sang-Wun
Réalisation de An Gil-Ho
Avec Han Hyo-Ju, Park Hyun-Sik, Jo Woo-Jin
Corée du Sud, 2021, tvN, Studio Dragon, Viki
Hellbound (지옥)
Scénario de Choi Gyu-Seok
Réalisation de Yeon Sang-Ho
Avec Yu Ah-In, Park Jeong-Min, Kim Hyun-Joo
Corée du Sud, 2021, Netflix
L.U.C.A. : The Beginning
Scénario de Cheon Seong-Il
Réalisation de Kim Hong-Seon
Avec Kim Rae-Won, Lee Da-Hee, An Nae-Sang
Corée du Sud, 2021, tvN, Studio Dragon, Viki
The Silent Sea (고요의 바다)
Scénario de Park Eun-Kyo
Réalisation de Choi Hang-Yong
Avec Gong Yoo, Bae Doo-Na, Lee Joon
Corée du Sud, 2021, tvN, Netflix
Sisyphus : The Myth
Scénario de Lee Je-in et Jeon Chan-ho
Réalisation de Jin Hyok
Avec Cho Seung-Woo, Park Shin-Hye, Chae Jong-Hyeop
Corée du Sud, 2021, JTBC, Netflix
Squid Game (오징어게임)
Scénario et réalisation de Hwang Dong-Hyeok
Avec Lee Jeong-Jae, Park Hae-Su, Jung Ho-Yeon
Corée du Sud, 2021, Netflix
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