[CRITIQUE] Aristocrats

Temps de lecture : 4 minutes

Hanako vient d’être quittée par son fiancé. Alors qu’elle va bientôt avoir la trentaine, sa famille, traditionnelle, souhaite lui organiser des rencontres arrangées avec des bons partis. Elle accepte. Un jour, elle fait la connaissance de Koichiro, un riche héritier et croit avoir trouvé l’homme parfait. Juste avant leur mariage, Hanako découvre que son fiancé entretient une relation avec Miki, une jeune femme venue de la campagne.

Troisième long-métrage de la cinéaste japonaise, Yukiko Sode, Aristocrats montre dès les premières images l’artificialité et la rigueur de la société nippone pour les femmes. Alors qu’Hanako arrive à une fête de famille en retard, l’absence de son fiancé est ce qui choque le plus. La solitude, l’abandon ou la souffrance qu’elle pourrait ressentir ne sont pas pris en compte, ses sentiments n’existent pas. Sa place est près d’un homme, fortuné, avec qui elle pourra avoir un enfant pour transmettre l’héritage familial. Comme elle ou Koichiro, son futur mari, le diront plus tard « nous sommes faits pour cela ». Cette asphyxie lente et douloureuse, Hanako va devoir apprendre à vivre avec ou justement apprendre à ne pas vivre avec. La force du scénario réside dans le portrait des trois jeunes femmes qui subissent les diktats de la société. Le bonheur de l’individu comptant moins que la famille, son pouvoir et l’honneur. 

Coupé en chapitre, le film prend le temps d’explorer et de comprendre ses différent.e.s protagonistes. Si Hanako peut sembler fade, c’est parce qu’elle cache une personnalité vive derrière des conventions. Koichiro ne la considéra, d’ailleurs, jamais vraiment comme un être humain à part entière, mais plutôt comme un réceptacle pour recevoir un enfant, héritier d’une dynastie de politiciens. Les femmes dans la haute société japonaise se conforment et acceptent leur rôle sagement qui le patriarcat a défini pour chacun.e. Autour d’Hanako, le monde se divise entre celles et ceux qui valident le système en place — sa mère, l’une de ses sœurs, ses nombreuses amies — et les autres : Miki et Itzuko, une amie musicienne. La sororité n’existe pas et l’entraide non plus. Les membres d’une même famille peuvent se retourner les un.e.s contre les autres à la moindre erreur. La partition est écrite depuis longtemps. La cinéaste expose un monde de caste où les individu.e.s se rencontrent peu. Dans le chapitre autour de Miki et de son arrivée à l’université de Tokyo, sa meilleure amie, lui explique qu’il y a les internes — souvent là depuis la primaire et venant de famille riche et conservatrice — et les externes. Les autres qui ne connaissent pas les codes et évoluent en périphérie, rêvent sans doute d’accéder au luxe. Miki n’hésite pas à faire remarquer à chaque fois qu’elle se trouve dans un lieu somptueux avec une vue imprenable sur Tokyo qu’elle aime y être.

Tout en dressant le portrait d’une classe qui se ferme aux autres et à elle-même, Yukiko Sode va également montrer l’amitié et la sororité possible. En opposant ces deux femmes, Hanako et Miki, la cinéaste témoigne d’un rapprochement, d’une ouverture essentielle. Au contact de Miki, Hanako réalise l’illusion dans lequel elle vit et surtout du peu d’amour que lui porte Koichiro. Une fois le mariage consommé, les échanges dans le couple sont inexistants. Lui n’est jamais dans leur appartement, lieu qui est entièrement dévoué à Hanako qui s’y ennuie profondément. L’importance d’un héritier est l’épée de Damoclès au-dessus de la tête de la jeune femme. Sa belle-famille ne lui parle que de cela. Miki de son côté vient d’une famille pauvre qui n’a pas les moyens de lui payer ses études, vues comme peu importantes. Mais qu’elles et ils soient d’une famille riche venant de la ville ou d’une famille venant de la campagne, l’importance est l’héritage. Alors que Miki va à une réunion d’ancien.ne.s élèves, parmi ses camarades, les hommes ont repris les entreprises paternelles et les femmes se sont mariées aux meilleurs partis possibles. La division est la même, ce sont les codes sociaux qui sont différents. La mère de Miki est la seule qui travaille à la maison quand bien même son père est au chômage. La place des femmes est toujours la même : au service des autres — que ce soit des hommes, de la société ou de la famille. Kuhata, une amie de Miki, est l’une des seules à avoir également quitté ce milieu clivant et sans avenir. Les deux femmes trouvent chacune le besoin d’être ensemble et de se soutenir. Elles savent qu’elles n’arriveront pas à monter leur entreprise, sans l’autre. 
La réalisatrice filme ainsi deux couples amicaux féminins unis pour lutter contre les diktats de la société — Hanako et Itzuko, Miki et Kuhata. Même si rien ne devait les rapprocher, Hanako et Miki ne se rejettent pas et acceptent de se parler.

Aristocrats ne propose pas non plus des personnages binaires où les femmes seraient des victimes et les hommes des bourreaux. Des femmes aident à maintenir le patriarcat, qu’elles voient comme une sécurité et des hommes souffrent du peu d’espace pour l’imagination et les rêves. Le protagoniste masculin n’est ainsi pas le méchant de l’histoire. Dans le roman de Mariko Yamauchi, Anoko wa Kizoku, dont est adapté le film, Koichiro est décrit du point de vue des protagonistes féminins et n’a donc pas de place pour exister. Koichiro est fermé sur lui-même et en souffrance. Son silence et ses absences qui marquent son intégration progressive à la société patriarcale sont contrebalancés par des regards. Que ce soit le mépris quand Hanako lui demande ses rêves ou le désir quand il est avec Miki, Koichiro devient plus qu’un simple pantin au service de sa famille. Son dernier échange avec Hanako laisse entendre qu’il a compris qu’elle était une femme à part entière et pas seulement une poupée sans sentiment ni désir. 

Aristocrats montre que l’émancipation féminine passe par la sororité et l’entraide, mais que ce ne sont pas uniquement les femmes qui souffrent du patriarcat. L’entièreté de la société japonaise vit mal ses injonctions d’un autre temps. Avec pertinence et force, le film touche juste et donne envie de faire sauter les derniers carcans du patriarcat, où qu’ils soient.



Marine Moutot

Aristocrats
Réalisé par Yukiko Sode
Avec Mugi Kadowaki, Kiko Mizuhara, Kengo Kora
Drame, Japon, 2020, 2h05
Art House
30 mars 2022

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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