[CRITIQUE] Retour à Reims (Fragments)

Temps de lecture : 3 minutes.

Ce film a été découvert en juillet 2021, à l’occasion de la Quinzaine des Réalisateurs.

À la mort de son père, trente ans après avoir rompu avec ses origines, Didier Eribon revient à Reims. C’est le temps d’un retour sur le passé des classes populaires françaises, mais également d’une mise en lumière de leur impact sur notre société.

En 2015, nous découvrions Une jeunesse allemande de Jean-Gabriel Périot : un moment d’émerveillement sur le pouvoir du montage et de l’image d’archive. Cette projection de Retour à Reims (Fragments) à la Quinzaine des Réalisateurs promettait d’être aussi une belle séance. 

Tout comme pour son premier long-métrage, Jean-Gabriel Périot choisit de faire de Retour à Reims (Fragments) un film de montage, annonce faite dès l’ouverture en longs plans fixes au cadrage parfait sur des maisons que l’on suppose rémoises. À ces images quasiment photographiques se joint une voix. Le choix d’Adèle Haenel pour incarner le texte éponyme de Didier Eribon, librement adapté ici, n’est pas anodin. Actrice militante particulièrement médiatisée pour ses engagements politiques, elle incarne ici la fusion entre la petite et la grande Histoire. Le texte du sociologue français nous plonge, avec beaucoup de naturel, au cœur de la vie ouvrière tout en renouant avec un passé rejeté trente ans plus tôt. 

Des années 1930 à nos jours, tout commence par l’histoire de la grand-mère, mère à 17 ans après avoir “fauté” avec un jeune homme tout aussi jeune. Jouant de l’antagonisme entre texte et images – les archives viennent de partout alors que le texte d’Eribon reste à Reims -, le montage opère pourtant une parfaite fusion entre eux. L’un s’enrichissant de l’autre, et inversement. De ce double témoignage naît un sens nouveau, un troisième chemin entre les deux médiums où se mêlent histoire personnelle et histoire commune. Mêlant fiction cinématographique et témoignages filmés, les paroles se mêlent et se font écho. Bien que les dates ne soient pas forcément spécifiées, le contenu fait rapidement sens, même aux yeux des plus jeunes, témoin d’un passé français commun, mémoire de nos parents et arrières grands-parents réveillant des récits passés. 

Les images prennent également une signification nouvelle : les femmes font enfin partie de l’Histoire car elles sont les premières à s’exprimer, à travers le récit d’Eribon puis les images d’archives. Femmes tondues, témoins vivants du désir de reconquête de la société par la force virile dans l’après-guerre. Femmes libres, désirant profiter d’un quotidien sans jugements et contraintes. Femmes de ménage devant respecter les ordres ridicules de ces messieurs bourgeois dont elles entretiennent les bureaux. Ici, des décennies plus tard, leur parole n’est pas tue et renaît à travers l’archive. Harcèlement sexuel, exclusion sociale, domesticité, ces réflexions du début du siècle nous animent toujours aujourd’hui et crée un triste écho lorsque cette parole nous atteint. Retour à Reims devient ainsi un récit féminin et féministe.

C’est également un récit social et sociologique. Ravivant le souvenir du travail des enfants, la révolution engendrée par la construction des cités HLM – faisant un clin d’oeil fortuit à Suprêmes (Audrey Estrogou, 2021) découvert en Séance de Minuit – ou encore les manifestations ouvrières, le film réfléchit au déterminisme social avec justesse et à travers la parole populaire. Habilement divisé en deux mouvements, il se concentre ensuite sur l’émergence du Parti Communiste et du Front National et l’influence – ainsi que l’espoir – qu’ils représentent pour le monde ouvrier français. Pourtant, tout n’est finalement que désillusion et les logiques de pouvoir font finalement comprendre aux citoyens qu’il n’y a là que des hommes politiques voulant que le peuple se taise pour exercer le pouvoir en toute impunité. “La gauche, la droite, il n’y a pas de différence. Ce sont toujours les mêmes qui payent.” Retour à Reims réussit ainsi à faire émerger le sens du détournement des classes populaires de la gauche pour rallier une droite pourtant jusqu’alors raillé. 

L’épilogue est alors évident. Ce chemin tracé depuis l’après-guerre mène à aujourd’hui, à notre société elle-même fatiguée des entourloupes politiques, de l’individualisme, des multiples réformes nous dépossédant toujours plus de nos libertés. Les images récentes connues de tou.te.s s’enchaînent, remplies d’émotion : CRS gazant les manifestants, Gilets jaunes blessés, discours de militants sur la place de la République… Il n’y a pas plus à montrer, seulement un message : le changement viendra de la rue, de cette classe ouvrière mais également des autres, par la convergence des luttes. Retour à Reims (Fragments) est un récit, un mouvement et une volonté nés de la colère de la classe populaire. Il se clôt sur un mot. Démocratie. Le pouvoir au peuple.

Manon Koken

Retour à Reims (Fragments)
Réalisé par Jean-Gabriel Périot
Documentaire, France, 2021, 1h23
Jour2Fête
Sortie le 30 mars 2022

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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