[CRITIQUE] Le Monde après nous

Temps de lecture : 3 minutes

Labidi est en train d’écrire un roman. Pour gagner sa vie, il travaille comme livreur et vit en colocation dans un 9m2 à Paris. Un jour, il fait la connaissance d’Élisa et tombe amoureux. Déjà en difficulté financière, c’est pour lui le début des galères et d’une remise en question.

« Je n’appartiens à rien, c’est une douleur contemporaine, ce vide urgent dans lequel nous sommes en train de sombrer. » Ce « je » c’est Labidi, personnage principal du Monde après nous, qui le prononce, mais c’est aussi le cinéaste Louda Ben Salah-Cazanas, qui réalise avec son premier film, un récit universel. Combien de fois avons-nous vu des hommes qui perdent tout pour atteindre des buts trop grands, qui se brisent à vouloir aimer trop fort ? Mais si le scénario prend des chemins connus — comme la romance ou la relation à la famille — il exploite un pan de notre société encore bien souvent ignoré.

Labidi vit dans une situation précaire, alors qu’il désire écrire et a un besoin de reconnaissance de la profession, il se retrouve embarqué dans les obligations de la vie quotidienne, dans des désirs qui ne sont plus les siens. Dès la première séquence, alors que Labidi — incarné par Aurélien Gabrielli — parle avec un psy, presque plongé dans le noir, il énonce sa nécessité d’écrire, ce désir d’être ailleurs. Par l’écriture, il fuit la société qui l’entoure.
À l’image sombre vient s’ajouter une musique sourde, qui ne quitte jamais l’atmosphère sonore du film. Cette musique est le ressenti intérieur du héros dont la vie glisse entre ses mains. Quand il tombe amoureux d’Élisa — interprétée par Louise Chevillotte —, ce n’est pas le bonheur et l’insouciance des premiers instants, mais les problèmes financiers, l’humiliation d’être pauvre. Alors qu’il est livreur pour Delivroo, que son frigo est vide, il vole dans les magasins. À cette situation vient s’ajouter l’image qu’il veut renvoyer aux autres : celle d’un artiste. Un homme au-dessus de ses propres moyens. Cette pression qu’il se met lui fait fuir ses réels désirs. Et c’est là que le cinéaste et le personnage se rencontrent. Là où Labidi a des envies d’écriture, Louda Ben Salah-Cazanas rêve de faire du cinéma. Mais la vie, les tracas de l’argent font que peu à peu l’ambition disparaît au profit du quotidien.
À cela, le film ajoute aussi l’oubli des choses essentielles : les origines, la famille et l’amour. À ceci, le réalisateur, qui a également écrit le scénario, veut rappeler l’importance du nom et de qui on est. Quand Labidi travaille, il se fond dans le moule. Il devient ce qu’on attend de lui. C’est à la mort de son père qu’il prend conscience de ce qu’il a perdu. Il conte alors l’origine de son nom : El Morchedi. C’est celui de sa mère, Fatma, d’origine tunisienne. Son père, Jacques, a décidé de le prendre quand ils se sont mariés des années plus tôt. Ainsi à l’universel se mêle le récit personnel.

Le film en sélection à la Berlinale 2021, est juste et beau. Malgré les difficultés, malgré l’oubli et malgré les épreuves, il y a aussi l’humour, l’amour et la beauté de l’instant. Jamais pourtant, le réalisateur n’oublie que même si Labidi peut réussir, le monde ne changera pas entièrement. Il y a quelque chose d’immuable dans la condition de pauvre. Sans fatalisme, le film n’est pas dupe et ne dupe pas. De plus, le texte que Labidi compose est plein de poésie. Écrit par Abdellah Taïa (Un pays pour mourir, 2015 ; La Vie lente, 2019), la partie littéraire vient renforcer l’image et le propos faisant du Monde après nous, une œuvre importante et belle.

Pour plus d’informations, retrouvez notre interview réalisée avec le cinéaste Louda Ben Salah-Cazanas en mars 2021 pendant la Berlinale. 

Marine Moutot

Le Monde après nous
Réalisé par Louda Ben Salah-Cazanas
Avec Aurélien Gabrielli, Louise Chevillotte, Saadia Bentaïeb
Drame, France, 1h25
TANDEM
20 avril 2022

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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