Temps de lecture : 3 minutes
Alma est une scientifique talentueuse qui accepte de participer à une expérience pendant trois semaines pour conserver sa carrière. Elle doit tester Tom, un robot conçu pour être un partenaire idéal.
Sélectionné en Compétition à La Berlinale en 2021, le nouveau film de Maria Schrader, I’m Your Man — également réalisatrice de Stefán Zweig, adieu l’Europe (2016) et de la minisérie pour Netflix, Unorthodox (2020) — est adapté de la nouvelle de science-fiction éponyme d’Emma Braslavsky. Sans donner d’indices sur l’époque du récit — bien que la société ressemble à la nôtre —, la cinéaste allemande montre une relation entre un robot et une humaine. En plus de parler d’amour et de son illusion à travers le personnage d’Alma incarnée par Maren Eggert qui a été récompensée par l’Ours d’argent du Meilleur premier rôle, le long-métrage aborde la question de l’autre. L’Autre, différent, inconnu. L’Autre qui inquiète, qui représente une idée du monde distinct. L’Autre surtout qui brise les frontières — ici entre la technologie et l’humanité.
En hébergeant chez elle, dans son intimité, Tom — joué merveilleusement bien par Dan Stevens —, Alma se met en danger. Elle s’est sentie obligée de participer à ce test pour sa carrière. Pourtant elle refuse, pour diverses raisons personnelles, d’accueillir réellement Tom dans sa vie. Formaté grâce à 17 millions de données récoltées, Tom fait tout pour satisfaire Alma en tant que nouveau compagnon : rangement, petit déjeuner, bain avec des pétales de roses. Ce romantisme cliché, Alma le rejette en bloc. Mais plus qu’un partenaire, ce qu’elle repousse est l’identité de Tom. C’est un robot et elle le traite en permanence comme un objet, comme un être inférieur. Elle met sans cesse en avant le fait qu’elle soit humaine pour expliquer son comportement désordonné et blessant. L’humanoïde, que nous voyons évoluer et être touché par le monde qui l’entoure, est rabaissé, humilié, ignoré. Quand le supérieur d’Alma, Roger, qui connaît l’existence de l’expérience, rencontre pour la première fois Tom, il est surpris, impressionné par la qualité de la manufacture. Il lui touche alors les cheveux, la peau. Il envahit son espace personnel. Pourtant Roger, qui a lui-même été victime dans son enfance de ces gestes déplacés à cause de sa couleur de peau, s’offusque quand Alma lui fait remarquer son comportement.
Le récit renvoie immanquablement à cet Autre que nous nous autorisons à ne pas respecter. Cela fait penser à l’essai de Chimamanda Ngozi Adichie, Le Danger de l’histoire unique (2009). Dans cet ouvrage — également un TED Talk —, l’autrice expose comment notre vision du monde est conformée par les récits qu’on nous a contés, à tel point qu’ils influencent nos interactions avec d’autres personnes. Dans I’m Your Man, le robot est synonyme de danger et n’est pas censé avoir de sentiments. Nous suivons pourtant son évolution, nous apprenons à découvrir Tom. Il expérimente, possède sa propre vie et s’éloigne parfois de ce pour quoi il a été conçu. Mais quand bien qu’il aurait été formaté et déshumanisé, le film pose la question du respect et de la manière dont on traite ce qui est différent. L’Autre n’est pas une menace permanente qui veut nous détruire. Le but n’est pas, non plus, d’oublier la différence, mais de l’accepter. Maria Schrader porte un beau message d’espoir et d’humanité à travers son film.
I’m Your Man parle de la disparition de l’altruisme dans une société qui cherche à tout prix à satisfaire ses besoins. Si Alma traite Tom comme un être inférieur, le monde qui l’a créé le traite comme une machine. Un objet dont la mission est de rendre heureux.se sa.on propriétaire. Tout simplement. Dans un monde qui ne s’arrête jamais, le bonheur devient une quête sans but, sans honneur. Dans un classicisme qui entre en contraste avec l’horreur de la situation, la cinéaste parvient à faire de ce drame romantique un plaidoyer pour que nous retrouvions notre humanité.
Marine Moutot
I’m Your Man
Réalisé par Maria Schrader
Avec Maren Eggert, Dan Stevens, Sandra Hüller
Science-fiction, Drame, Allemagne, 1h45
Haut et Court
22 juin 2022