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Dans les années 50, un phénomène arrive sur les ondes américaines. Elvis Presley. Né en 1935 dans le Mississippi, il a très tôt été inspiré par la musique du Sud, le rhythm and blues et le gospel. Signé en 1954 par une petite maison de disques, il est alors repéré par un personnage plus qu’inquiétant. Un promoteur du nom de Colonel Parker, ancien forain qui met le grappin sur le jeune Elvis. Il va alors lui ouvrir les portes du succès mais aussi celles de la descente aux enfers. Durant 20 ans, le « King » sera tantôt adulé, tantôt diabolisé mais une chose est sûre, aujourd’hui encore, il n’a jamais été oublié. Ce biopic peut être analysé à travers l’histoire de quatre hommes : Elvis Presley, Austin Butler, le Colonel Parker et Baz Luhrmann.
Baz Luhrmann
Comment faire un biopic moderne d’une vedette américaine des années 1950/60 ? Il suffit de mettre Baz Luhrmann à la réalisation. Cette année, au festival de Cannes, fut présenté le dernier long métrage du réalisateur de la démesure. Reconnu depuis bientôt 30 ans à Hollywood, Baz Luhrmann (Gatsby le Magnifique, 2013 ; Moulin Rouge !, 2001) est connu pour ses films baroques et frénétiques. Lorsqu’il réalise, nous sommes assuré.e.s de voir quelque chose criant de modernité et ce, peu importe le sujet. Lorsqu’il a proposé en 1997, l’adaptation décalée du classique de William Shakespeare, Roméo et Juliette, avec les répliques originales, il y a aussi intégré des chemises à fleurs et autres attributs des années 1990. En 2013, le film qui a également ouvert le festival de Cannes n’était autre son adaptation du roman américain de 1925, Gatsby, le Magnifique (Francis Scott Fitzgerald), rythmée des sons de Jay-Z et de Lana Del Rey et monté comme un perpétuel kaleidoscope. En résumé, même s’il n’a réalisé que six long-métrages depuis le début de sa carrière, ils sont à chaque fois très attendus par le public et la critique car le résultat est très souvent impressionnant et à la hauteur des sujets traités.
Cela est évidemment le cas avec Elvis. Les couleurs saturées, les incrustations, les paillettes et les feux d’artifice sont les indispensables de la boîte à outils du réalisateur. Aussi, un procédé qu’il exploite est de faire parler un personnage secondaire, comme pour prendre de la distance avec la véracité des faits et de la réalité. C’était le cas dans Gatsby, le Magnifique où Nick Carraway narrait l’histoire de Jay Gatsby ou encore dans Australia lorsque le personnage de Nola racontait l’amour entre Le Drover (Hugh Jackman) et Lady Ashley (Nicole Kidman).
Regarder Elvis dans une salle de cinéma procure des sensations semblables à celle de monter dans un manège à sensations fortes en pleine nuit, dans une fête foraine qui grouille de divertissements effrénés. Une expérience cinématographique unique qui peut parfois éreinter le spectateur et qui, dessert quelque peu l’appellation “biopic”, tant on s’éloigne de la reconstitution historique. Ce qui n’a pas changé depuis ses premiers films est sa manière de filmer la beauté. La beauté d’un homme. Celle d’Austin Butler en Elvis.
Austin Butler
Certes, Austin Butler (Once Upon a Time in Hollywood, Quentin Tarantino, 2019) interprète le Roi du Rock’n’Roll à merveille. Certes, les costumes et les accessoires sont de parfaites répliques des originaux. Certes, la voix d’Austin imite celle d’Elvis dans les moindres notes. Cependant, ils se ressemblent sans se ressembler. On oublie vite qu’Elvis a vraiment existé et cela résonne comme un film musical mais pas comme un biopic. Le film aurait même pu présenter un carton au début de la séance : « Inspiré de faits réels ». Contrairement aux biopics des dernières années comme Bohemian Rhapsody (Bryan Singer, 2018) ou Rocketman (Dexter Fletcher, 2019), où la ressemblance entre les chanteurs et les acteurs était frappante, Elvis semble n’être qu’un prétexte pour faire ce film. Alors oui, il retrace sa carrière mais les spectateurs peuvent tout à fait le voir sans connaître Elvis ou sans même l’apprécier. Cela est principalement dû à l’originalité de sa forme et à son décalage avec l’époque. Avec ses couleurs écarlates, les arrangements musicaux et autres effets visuels présents dans chacune des scènes, les années 1950 semblent très loin derrière. En revanche, dans la deuxième partie du film qui se déroule dans les années 1970, lorsque Austin Butler joue un Elvis plus âgé, plus maquillé et apprêté, le côté biopic est plus flagrant que dans la première heure qui peut ressembler davantage à un enchaînement de clips de publicités pour parfums. C’est beau, mais on imagine bien que tout est embelli pour servir la photographie du film. Austin Butler est filmé d’une manière presque religieuse. Elvis y paraît comme un Dieu (ce qu’il pouvait être aux yeux des fans) avec des plans baignés de lumière et même lorsqu’il est entouré de centaines de personnes, son charisme se détache et on ne voit plus que lui.
Elvis Presley
Un biopic sur le roi du rock’n’roll, ce n’est pas une nouveauté. Il ne s’agit pas du premier film sur Elvis (Le Roman d’Elvis, John Carpenter, 1979 ; Elvis and Nixon, Liza Johnson, 2016). Mais il s’agit sûrement de celui qui a la bande originale la plus extravagante. Cela dit, à son époque, Elvis avait déjà bousculé les codes avec sa voix suave et proche des sonorités du Sud. Il avait encore plus bousculé les mœurs avec ses mouvements scéniques qui l’avaient presque forcé à arrêter sa carrière à maintes reprises. D’ailleurs, après des années d’absence sur la scène musicale, il est revenu avec un nouveau genre qui a signé l’essor du rockabilly. A propos de musique, on peut identifier jusqu’à quatre types de musiques différentes dans Elvis. Les chansons originales interprétées par Elvis ; les reprises d’Elvis par Austin Butler (identiques aux originales pour les scènes de live notamment) les remix des chansons du King par les talents de la scène musicale internationale actuelle (Eminem, Kacey Musgraves, Måneskin…). Ces sons sont utilisés sur des moments de clips qui modernisent le propos tout en offrant au spectateur l’impression de témoigner d’une époque alternative qui n’a jamais existé mais dont nous reconnaissons tous les codes. Il y a des Cadillac des années 50 mais du rap en fond sonore. Tout est déstabilisant mais à la fois si séduisant. Et il y a enfin la musique originale signée Elliot Wheeler qui avait déjà collaboré avec Baz Luhrmann pour The Get Down (2017) et Gatsby, le Magnifique. A l’image du film, celle-ci est bien évidemment majestueuse et dramatique. Si cela semble chaotique, tout s’assemble pour magnifier le personnage principal. Même s’il peut parfois paraître trop irréprochable voire naïf, ce qui va d’ailleurs lui porter préjudice.
Tom Parker
Le parti pris du film est de raconter la vie d’Elvis à travers les yeux du Colonel Parker, joué par Tom Hanks (Forrest Gump, Robert Zemeckis, 1984 ; Dans l’ombre de Mary, John Lee Hancock, 2014). C’est pour cela que l’histoire commence au moment où Elvis rencontre Tom Parker. Cela explique aussi qu’il semble y avoir des zones d’ombres autour de sa vie intime et que tous les événements qui ont eu lieu avant leur collaboration s’apparentent davantage à une reconstitution de ce que le Colonel a pu entendre. A l’inverse, cela permet aussi d’éviter l’écueil du biopic aux airs de documentaire.
Même si le personnage du Colonel se veut opportuniste, calculateur, perfide, certaines de ses réactions sèment le doute sur ses véritables motivations. En effet, quelques regrets semblent passer sur son visage, certaines performances live d’Elvis l’émeuvent et il insiste toujours sur le fait que tous ses actes sont motivés par les intérêts du chanteur… Tout est un peu plus nuancé qu’il n’y paraît même si la manipulation est indéniable et reste une méthode au cœur du récit. En réalité, il est aisé de déclarer que le Colonel a exploité le talent d’Elvis. Cependant, il déclare lui-même qu’il n’est pas connaisseur, il aurait ainsi pu jeter son dévolu sur n’importe quel autre artiste prometteur pour arriver à ses fins. Mais jouant sur la corde sensible d’Elvis, celle d’un père distant, il a essayé d’endosser ce rôle de référent, toxique, mais qui agit comme une boussole. Par ailleurs, en termes cinématographiques, la violence du Colonel est bien représentée à l’écran. Comme il ne s’agit pas de violence physique mais psychologique, il fallait trouver des subterfuges pour accentuer ces moments de malsanité. Pour cela, le cinéaste joue avec la musique, les regards, les plans en contre-plongée… Par exemple, après avoir conclu un contrat qui obligera Elvis à assurer des années de concerts quotidiens éreintants en résidence à Las Vegas, le Colonel l’attrape par la taille et ce geste est accentué par un mouvement de caméra oppressant et une musique originale mineure qui rend justice à la violence de ce qu’il vient de se passer. C’est aussi cela qui est intéressant chez ce personnage, il peut justifier chacune de ses actions en clamant qu’il l’a fait pour le bien de la carrière d’Elvis – pour l’artiste, cela est évident car il aurait écoulé entre 600 millions et un milliard de disques, un record dans l’histoire de la musique ; mais pour l’humain, cela est autre chose.
En résumé, le film rend hommage au monument qu’était Elvis Prestley tout en bousculant les codes du biopic traditionnel. Il met en lumière ses années de carrière mouvementées et marquées par l’Histoire américaine. Au cœur d’une Amérique divisée et bâillonnée, Elvis a fait entendre sa voix aux quatre coins du Monde (sans même avoir quitté le sol des Etats-Unis). Rythmé par des sons contemporains, une photographie léchée qui confine au sublime et des interprétations de haut vol, le long-métrage du réalisateur australien peut aussi parfois ressembler à un dessert très sucré, on en consomme beaucoup par addiction mais au risque de frôler l’indigestion. Heureusement, il a l’art de l’équilibre.
Déborah Mattana
Elvis
Réalisé par Baz Luhrmann
Avec Austin Butler, Tom Hanks, Olivia DeJonge
Biopic, Drame musical, Australie, Etats-Unis, 2h29
Warner Bros. Pictures
En salles depuis le 22 juin
Un avis sur « [CRITIQUE] Elvis »