[CRITIQUE] Les Cinq diables

Temps de lecture : 3 minutes

Joanne vit avec son mari, Jimmy et sa fille, Vicky. Cette dernière capture les odeurs et aime sa mère plus que tout. Quand la sœur de Jimmy, Julia, fait irruption dans leur vie, le passé et la douleur resurgissent et Vicky se découvre un don étrange. 

Après un premier long-métrage réussi et puissant, Ava (2017), la cinéaste et scénariste française Léa Mysius revient avec un film détonnant et magnifique. Dans Ava, une adolescente perdait peu à peu l’usage de la vue et découvrait en même temps l’amour. Ici, la jeune Vicky, interprétée par l’excellente Sally Drame, apprend à se servir de son talent : une odorat surdéveloppé. Alors que Vicky voue un culte à sa mère, au point d’en être obsédée, l’arrivée de Julia, la sœur de son père, va mettre à mal cette relation. Dans cette ville enclavée entre les montagnes, le passé va ressurgir avec son lot de haines et de drame, mais aussi d’amour. Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs cette année, ce second long-métrage renvoie à la fois à l’intime et à ce qui gangrène plus profondément la société française. 

Dès l’ouverture, Léa Mysius installe une ambiance sourde, pleine de tensions. Avec des travellings avant et latéraux, elle crée une dynamique de film fantastique. La musique de Florencia Di Concilio vient accentuer l’effet de pesanteur, comme si tous les personnages avaient de la rancœur, à part Vicky, innocente. Cette petite fille va devoir grandir et faire des choix, presque malgré elle, pour survivre. Le bleu de la montagne et du lac, froid et presque glacial est le décor des drames du quotidien, nous sentons dans l’atmosphère que la vie des protagonistes aurait dû être différente. Tournée en 35 mm, l’image possède ce grain qui vient renforcer la nostalgie d’une autre époque. Les seules couleurs chaudes sont dans les flashbacks que nous visitons tout au long du film et dans la chambre de Vick, jeune fille métissée, qui se transforme presque en sorcière à créer des potions magiques pour remonter le passé. Le récit parvient à nous montrer aussi le racisme latent de cette société isolée. Alors que Jimmy et Julia sont les seules personnes noires, le comportement des gens change légèrement à leur contact. Le père de Joanne n’hésite pas à être ouvertement raciste alors que sa fille a épousé Jimmy. Vicky est quant à elle victime de harcèlement scolaire dû à ses cheveux et à sa couleur de peau. Mais si la cinéaste ne va pas assez loin dans la critique du racisme et du harcèlement scolaire, c’est sans doute pour se concentrer sur l’histoire d’amour entre Joanne et Julia, et en faire une toile de fond, plus que de filmer un véritable pamphlet. 

À travers cette histoire, la question de l’existence et du mal viennent se percuter. La cinéaste dépeint une société renfermée sur elle-même qui n’arrive plus à s’ouvrir vers l’autre. Asphyxiante, la haine est latente, douloureuse. En jouant avec les codes du genre, Léa Mysius entre dans nouvelle tradition française dans laquelle Julia Durcouneau est la tête de file, évitant d’en faire un drame banal. Les actrices, Adèle Exarchopoulos, Swala Emati — une chanteuse dont il s’agit du premier rôle — et Daphné Patakia — récemment vu dans l’excellente série Ovni(s) — incarnent des femmes fortes. Tout comme dans Ava où la jeune Noé Abita — qui fait aussi une petite apparition ici — décidait de sa propre vie, Joanne et Julia rêvent plus que tout d’un ailleurs où elles pourraient vivre leur amour librement, sans homophobie. 

Les Cinq diables offre ainsi plusieurs couches de lecture, sans forcément les explorer de la même manière. En donnant à voir des protagonistes différent.e.s et pourtant si proche de la réalité, la réalisatrice nous rappelle que tout est politique et magique. 

Marine Moutot

Les Cinq diables
Réalisé par Léa Mysius
Avec Adèle Exarchopoulos, Sally Drame, Swala Emati
Comédie dramatique, fantastique, France, 2022, 1h35
Le Pacte
31 août 2022

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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