Le cinéma et les salles ont encore connu une année difficile. Même si aucune fermeture due au COVID-19 n’a eu lieu, la fréquentation est pendant de nombreux mois restés autour de 25-30% en moins par rapport à 2019 – qui fut à bien des égards une année exceptionnelle en termes de fréquentation. Cela n’a pas empêché de belles découvertes et de beaux succès en salles.
Que retiendra-t-on de cette année ?
Quelques films ont malgré tout tiré leur épingle du jeu. En effet, si la fréquentation a été encore assez basse cette année, des films ont battu des records, dont deux en tête (et ce ne sont ni des Marvels ni des dessins animés Disney). En effet, Avatar : La Voie de l’eau de James Cameron sorti le 14 décembre a rattrapé Top Gun : Maverick de Joseph Kosinski avec Tom Cruise. Top Gun 2, 36 ans après le premier Top Gun a réalisé 6.6 millions d’entrées en France. Grosse surprise, ce long-métrage spectaculaire est resté extrêmement longtemps à l’affiche, pour même connaître une ressortie début décembre.
Les suites ont été des gros succès car Les Minions 2 réalise 3.8 millions d’entrées devant les trois Marvel de 2022 : Black Panther : Wakanda Forever, 3,29 millions, Doctor Strange in the Multiverse of Madness, 3.27 millions et Thor : Love and Thunder de Taïka Waititi, 2,8 millions d’entrées). Source : Hitek
Côté films français : Qu’est qu’on a tous fait au Bon Dieu ?, 2,4 millions d’entrées, Novembre, 2,3 millions et Simone, le voyage du siècle – toujours en exploitation dans les salles de cinémas, surtout pour des publics scolaires – a réalisé 2.3 millions d’entrées.
De notre côté, nous retenons de belles découvertes dans les festivals (de Festival de Cannes, Festival Lumière, la Berlinale, la Mostra) qui ont encore réussi à nous surprendre, comme vous allez le voir au fil de nos très différents tops.
Et du côté des actrices et acteurs ?
Les acteurs et actrices français.e.s nous ont énormément marqué cette année.
Après le succès d’Antoinette dans les Cévennes et d’À temps plein, Laure Calamy reste une actrice phare du cinéma français avec L’Origine du mal de Sébastien Marnier et le très beau film Annie Colère de Blandine Lenoir autour de l’avortement en France.
Denis Ménochet continue son ascension dans le cinéma français et international avec des films puissants As Bestas de Rodrigo Sorogoyen et Peter Von Kant de François Ozon, prouvant qu’il peut être de partout. Nous le retrouverons tout début janvier dans Les Survivants de Guillaume Renusson au côté de Zar Amir Ebrahimi qui a reçu le prix d’interprétation féminine à Cannes pour son rôle dans Les Nuits de Mashhad.
Louis Garrel surprend et émeut avec son très beau film L’Innocent, côté acteur, il est également de partout et chez tout le monde avec Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi , Riffikin’s Festival de Woody Allen, Coma de Bertrand Bonello et Caravage de Michele Placido.
Vincent Lacoste est toujours très présent sur les écrans français avec Le Lycéen de Christophe Honoré, Fumer fait tousser de Quentin Dupieux et Le Parfum vert, nouveau film de Nicolas Pariser. Il fait même pour la première fois un tour vers le petit écran avec l’excellente série d’Olivier Assayas, Irma Verp, où il incarne un acteur imbu de lui-même.
L’actrice luxembourgeoise, Vicky Krieps a particulièrement retenu notre attention avec les émouvants Plus que jamais d’Emily Atef et Corsage de Marie Kreutzer. Et vous ? Quelle actrice et quel acteur vous ont marqué ?
Cette année encore, nous vous proposons sept films choisis par chacune de nos rédactrices.
Pour plus de conseils, vous pouvez retrouver nos coups de cœur 2018, 2019, 2020, 2021 et notre top des années 2010.
Par Marine Moutot, Manon Koken, Camille Dubois, Clémence Letort-Lypszyc, Déborah Mattana et Lucie Dachary.
Marine Moutot
Comment vivre sans cinéma ? Le cinéma nous transporte, nous fait découvrir de nouvelles histoires, nous offre des points de vues différents, nous fait vibrer. Nous faisons une pause dans notre vie pour en vivre mille autres. Le cinéma fait voyager. Chaque année, des films déçoivent, mais nous retenons surtout les films qui émerveillent et nous font réfléchir. Encore une fois, cela fut difficile de choisir parmi les longs-métrages découverts, mais également parce que j’en ai manqué plusieurs en salles que j’aurais aimé découvrir. Parmi les films marquants qui ne figurent pas dans mon top, je pense en particulier à Trois milles ans à t’attendre de George Miller, Les Nuits de Mashhad d’Ali Abbasi dont Zar Amir Ebrahimi a reçu le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes cette année. Découverts l’année dernière respectivement à la Quinzaine des réalisateurs et à la Semaine de la critique, Retour à Reims (Fragments) de Jean-Gabriel Périot et Bruno Reidal – Confession d’un meurtrier de Vincent Le Port m’ont profondément marquée. L’Innocent de Louis Garrel m’aura surpris, restant en mémoire comme une comédie finement menée avec des personnages attachants et Noémie Merlant au top. Alors 2022 fut une nouvelle fois une belle année cinématographique en attendant que 2023 me transporte encore plus loin.
-
R.M.N – Cristian Mungiu
Matthias rentre chez lui en Roumanie quelques jours avant Noël. Dans son village, beaucoup sont partis pour gagner mieux ailleurs. Il retrouve son fils, son père et son amante, Csilla, qui gère une usine de pain qui nourrit la région. Faute de personnels, l’usine engage deux étrangers. Cela ne tarde pas à enflammer la communauté.
Reparti sans prix cette année au Festival de Cannes, le nouveau film de Cristian Mungiu (Palme d’or en 2007 pour 4 mois, 3 semaines et 2 jours) est puissant, juste et pose un regard pertinent sur notre monde actuel. À travers l’histoire de cet anti-héros qui retourne dans son village natal de Transylvanie, le cinéaste réussit à parler des tensions au sein de son pays, mais également au sein de l’Union européen avec la montée inquiétante du racisme et du fascisme un peu partout. Le racisme exacerbé dans une scène à l’église stupéfie et surprend. Le film parvient ainsi à parler des maux qui rongent notre société, entre haine de l’Autre et masculinité toxique. Il propose également des personnages féminins intéressants et forts.
-
Falcon Lake – Charlotte Le Bon
C’est l’été. Les premiers amours. Bastien, 13 ans, est en vacances dans une partie de sa famille au Canada. Il est amoureux de Chloé, 16 ans.
Le premier film de l’actrice et artiste Charlotte Le Bon est un objet rempli de nostalgie et de mélancolie. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs, Falcon Lake raconte la naissance de l’amour et la découverte de l’autre, de son corps et de ses sentiments. Le film vole des instants d’insouciance, en se plaçant toujours à la hauteur des adolescent.e.s. Pour renforcer ce vague à l’âme, la cinéaste fait le choix de tourner en pellicule 16 mm. C’est comme si nous plongeons dans ses souvenirs. Adapté de la BD Une sœur de Bastien Vivès, le long-métrage parvient à créer une atmosphère toute particulière, presque fantastique autour d’une histoire universelle : la naissance de l’amour. Falcon Lake a remporté le Prix d’Ornano-Valenti au Festival du Cinéma Américain de Deauville et le Prix Louis Delluc du Meilleur Premier Film.
-
Corsage – Marie Kreutzer
Elisabeth d’Autriche, est impératrice depuis de nombreuses années. À Noël 1877, elle a 40 ans. Se sentant vieillir, elle s’impose un régime strict et difficile. Pourtant bientôt, fatiguée de cette mascarade, le masque se fissure.
L’impératrice Elisabeth, figure iconique de l’Autriche, est restée dans les mémoires pour sa beauté exceptionnelle. Elle est remise au goût du jour par le film Sissi dont le rôle-titre est tenu par Romy Schneider en 1955. Mais derrière cette image idéalisée, se cache une femme qui vit de diktats et qui étouffe. Cette femme libre et indépendante n’en peut plus de se soumettre à sa beauté et à sa minceur. L’actrice Vicky Krieps parvient une nouvelle fois à influer de la tendresse à ce personnage historique.
Marie Kreutzer ne voulait pas faire un biopic classique et n’hésite pas à ajouter des objets, des séquences anachroniques. Plus intéressée par la condition d’Elisabeth d’Autriche que par l’exactitude des moments montrés. Sissi était romanesque, mais aussi moderne. Ainsi la séquence avec Louis Leprince a lieu 10 ans trop tôt, mais à travers les images filmées c’est une Elisabeth qui crie son désespoir que personne ne peut entendre. Les lieux aussi montrent la décrépitude d’un monde, de l’Empire qui se voulait grandiose et extraordinaire, mais qui était finalement petit et contraignant.
Ainsi pour rester au plus près de celle qu’on appelait Sissi, le film est empreint de beaucoup de mélancolie, de lassitude, tant dans le choix des musiques que dans la mise en scène très indolente. -
Leila et ses frères – Saeed Roustaee
Leila vit avec ses parents et ses frères dans la misère. Alors que le retour d’un de ses frères est l’occasion pour elle de lancer une affaire pour les sortir de la pauvreté, son père apprend qu’il peut devenir le parrain de sa famille — haute distinction dans la tradition persane — en échange d’une importante somme d’argent.
Après un polar dense et impressionnant, La Loi de Téhéran (2019), le cinéaste iranien revient avec une fresque familiale de 3h. Présenté en Compétition au Festival de Cannes, Leila et ses frères nous transporte au cœur des tensions de la société iranienne. D’un côté, un des fils qui n’a pas été payé depuis des mois, de l’autre la fille est la seule à gagner de l’argent pour subvenir à sa famille, tandis que le père a une seule obsession : avoir la reconnaissance des siens. Les mécontentements et abus du pays s’installent peu à peu dans la fratrie. La haine des femmes allant jusqu’à la mère qui n’hésite pas à appeler sa propre fille « connasse ». Avec justesse et violence, Saeed Roustaee montre comment la pauvreté n’est pas qu’une fatalité.
-
La Nuit du 12 – Dominik Moll
Clara a été brûlée vive. Yohan, de la PJ, est sur l’enquête. Qui a bien pu tuer cette jeune femme de cette manière ? Alors que les suspects ne manquent pas, l’enquête s’enlise…
Féminicide : meurtre d’une ou plusieurs femmes ou filles pour la raison qu’elles sont des femmes. Dominik Moll adapte une petite partie du témoignage de Pauline Guéna, 18.3 : Une année à la PJ qui, pendant un an, a suivi au quotidien la PJ à Versailles. Connu et reconnu pour ses thrillers (Harry un ami qui vous veut du bien, 2010 ; Seuls les bêtes, 2019), le cinéaste français parle à travers cette enquête irrésolue d’un trouble plus profond, d’un mal être d’une société : le meurtre des femmes à cause de leur sexe. En 2022, encore, 147 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint, enfant, petit ami, d’un autre homme. Yohan – interprété par l’excellent Bastien Bouillon – en enquêtant autour du meurtre de Clara réalise peu à peu de ce malaise sociétal.
Prenant le temps de laisser la parole aux rares personnages féminins, de montrer l’intimité de Yohan et de son coéquipier, Marceau – Bouli Lanners, parfait. En inscrivant son récit à Grenoble et dans la vallée de la Maurienne, il choisit également une ville cosmopolite où industrie, barre d’immeubles et petits lotissements aux apparences tranquilles se côtoient. La montagne, la nuit et le vélo sur piste que Yohan pratique pour se défouler sont autant d’éléments qui rendent cette quête presque vaine, sinon insidieuse. -
Tout le monde aime Jeanne – Céline Devaux
Jeanne est surendettée à cause d’une entreprise innovante mais risquée. Elle doit alors aller vendre la maison de sa mère à Lisbonne, morte un an plus tôt.
Pour son premier long-métrage, la cinéaste française propose une forme hybride, mi-dessin, mi-prise de vue réelle. À travers le récit de Jeanne (Blanche Gardin, idéale pour le rôle), Céline Devaux parle de la honte et de la culpabilité. Une petite voix, incarnée par une silhouette couverte de cheveux en dessin animé, rappelle en permanence à l’héroïne ses défauts, ses inquiétudes les plus profondes, ses doutes. Ce petit personnage pernicieux est une voix que beaucoup ont, qui nous rabaisse toujours nous faisant sentir moins que rien. Mais la réalisatrice n’oublie jamais l’humour et l’autodérision – meilleure arme pour combattre la morosité ambiante – avec Jean (Laurent Laffite complètement barré). Antithèse de Jeanne, il est pourtant aussi perdu qu’elle. Ensemble, ils se complètent. Présenté à la Semaine Internationale de la Critique au Festival de Cannes, Tout le monde aime Jeane montre la personnalité forte de la cinéaste à qui je souhaite un bel avenir.
-
Bones and All – Luca Guadagnino
Maren est abandonnée par son père et décide de partir à la recherche de sa mère. Sur le chemin, elle fait la connaissance de Lee, un jeune homme qui vit au jour le jour. Ensemble, ils apprennent à combattre leur démon et à trouver la paix.
Adapté du roman éponyme de la romancière Camille DeAngelis, le nouveau film de Luca Guadagnino plonge une nouvelle fois dans les années 1980. Primé à la Mostra de Venise (Lion d’argent du meilleur réalisateur et Prix Marcello Mastroianni de la meilleure jeune espoir pour Taylor Russell), Bones and All est une errance métaphysique. Les deux anti-héros se cherchent, succombant à leur désir, essayant d’y échapper. Ce désir bien particulier, le cannibalisme, est une métaphore du trouble, d’un trouble, de n’importe quel trouble. Maren (incandescente Taylor Russell) est isolée et se sent monstrueuse. Enfermée chaque soir dans sa chambre, incapable de comprendre son désir et sa source. Au contact de Lee (Timothée Chalamet, une nouvelle fois parfait), elle explore, elle s’accepte, elle se rejette. Elle grandit. À travers les paysages magnifiques des États-Unis, le cinéaste italien, dont il s’agit du premier film américain, explore l’âme humaine et installe une douce mélancolie, faisant du cannibalisme non pas un acte d’horreur, mais d’amour profond.
Manon Koken
Une année à l’étranger contraint à un certain décalage avec les sorties nationales. C’est donc un top non exhaustif mais satisfait de belles découvertes cinématographiques en 2022, principalement grâce à des festivals québécois comme le Festival du nouveau cinéma, les Rencontres internationales du documentaire de Montréal ou encore Cinémania. Cette année 2023 commence donc avec une liste de must-see un peu plus longue que d’habitude parmi lesquels Pacifiction (Albert Serra), Saint Omer (Alice Diop), Licorice Pizza (Paul Thomas Anderson), Les Pires (Lise Akoka & Romane Gueret), Sans filtre (Ruben Östlund), As Bestas (Rodrigo Sorogoyen), Fire of Love (Sara Dosa) et Moonage Daydream (Brett Morgen). Une belle manière d’entamer ces 365 jours !
-
Close – Lukas Dhont
Léo et Rémi, deux garçons de 13 ans, partagent une amitié forte et pure faite de jeux, courses dans les champs et moments chaleureux en famille. Leur entrée au collège rompt soudainement ce temps suspendu de l’enfance.
Avec ce deuxième long-métrage, le réalisateur belge Lukas Dhont tisse une magnifique ode à l’amitié masculine, à la fois douce et violente. La finesse y est partout présente, de la mise en scène au jeu des jeunes acteurs Eden Dambrine et Gustav De Waele. L’émotion point dans chacune des rares paroles échangées et les regards en disent encore bien plus. Close est un film qui en dit long sur le poids insidieux que fait peser la société sur les amitiés entre hommes, et son réalisateur prouve une seconde fois sa capacité à nous plonger dans l’intériorité des émotions de l’enfance.
-
EO – Jerzy Skolimowski
Les pérégrinations d’un âne séparé de sa maîtresse.
Cet hommage au film de Robert Bresson, Au hasard Balthazar (1966), est une œuvre protéiforme dans laquelle le réalisateur polonais explore de manière exhaustive le champ des possibles cinématographiques. Le film est multiple : récit de perte, exploration des limites de la conscience, road trip animalier et dénonciation de la cruauté humaine. L’attachement à l’âne Eo est irrépressible et rapide. À peine a-t-on posé les yeux sur lui qu’on ne le quitte plus, immergé.e.s dans son histoire, intense, cruelle et violente. Nous sommes l’une de ses rencontres faites en chemin : une expérience dont on ne se défait pas et qui questionne la nature humaine.
-
Les Nuits de Mashhad – Ali Abbasi
Rahimi, une journaliste de Téhéran, mène l’enquête sur une série de féminicides dans la ville sainte de Mashhad.
Les Nuits de Mashhad est une œuvre incroyablement millimétrée. Superbement filmée, jouée et cadrée, c’est le fruit d’une orchestration parfaite et intelligente. Ce thriller intense et violent souligne la monstruosité humaine qui peut être cachée en tout un chacun quand la société est elle-même pourrissante. Ici, le meurtrier n’est que la progéniture de ce monde fait de mensonges, de corruptions et de manipulations, prenant la forme d’une toile lumineuse urbaine. Brutal et magistral, Les Nuits de Mashhad donne voix aux femmes, littéralement étouffées tandis que l’une d’entre elles tente tant bien que mal de faire entendre leurs voix. On en ressort le souffle coupé.
-
Contes du hasard et autres fantaisies – Ryusuke Hamaguchi
Les vies de trois femmes japonaises confrontées à des choix existentiels.
Le cinéma de Ryusuke Hamaguchi surprend dès les premières minutes car il prend le temps de l’instant, de savourer chaque seconde d’une situation, la plus anodine soit-elle. Et c’est un sentiment qui est d’autant plus impressionnant en salle de cinéma : un temps suspendu où l’on s’accroche au vécu d’inconnu.e.s de fiction. Triangles amoureux, amitiés impromptues et relations interdites sont autant de situations auxquelles sont confrontés ces personnages dans ce triptyque. À travers ces histoires de vie, le réalisateur raconte la société contemporaine japonaise avec beaucoup de délicatesse et de poésie.
-
Les Banshees d’Inisherin – Martin McDonagh
Irlande, île d’Inisherin, 1923. Padraic et Colm sont deux vieux amis. Lorsque Colm décide que leur amitié est finie, Padraic va tout faire pour comprendre ce soudain revirement.
Alors que la guerre civile irlandaise anime le continent, un autre drame se joue sur l’île d’Inisherin : une rupture amicale. Ce récit déchirant, teinté d’humour noir et d’absurde, jongle avec les genres, comme sait si bien le faire Martin McDonagh. De la comédie au drame, il nous plonge habilement dans la vie insulaire du début des années 20 rude et routinière, rythmée par les sorties au pub, les travaux agricoles, la musique irlandaise et les mythes fantomatiques.
-
Falcon Lake – Charlotte Le Bon
Les familles de Bastien et Chloé se retrouvent pour des vacances au chalet. Une légende raconte que les lieux seraient hantés par un fantôme. Fascinés, les deux adolescents se rapprochent peu à peu malgré leur différence d’âge.
Encore une histoire de fantôme pour 2022 ! Pour son premier long-métrage, Charlotte Le Bon choisit de filmer l’éveil à la sexualité, les premiers désirs et la fascination pour l’autre, et elle le fait avec talent et finesse. Le temps semble suspendu dans la découverte de nouveaux moments et de nouvelles sensations pour les deux personnages. Au coming of age amoureux se mêle la légende et son aura fantomatique émanant des lacs et forêts, superbement figés par la photographie.
-
L’Origine du mal – Sébastien Marnier
Stéphane, une ouvrière de conserverie, contacte son père, un riche homme d’affaires, perdu de vue depuis de nombreuses années. Le lien renaît rapidement et Stéphane ne tarde pas à emménager dans la villa familiale où elle rencontre sa belle famille, un environnement pour le moins hostile.
Ce troisième long-métrage de Sébastien Marnier est un thriller surprenant dans lequel famille et cohésion ne font pas bon ménage. Sous nos yeux, la villa devient une jungle hostile au patriarche et à sa nouvelle alliée. Les décors très travaillés, habités, créent un tableau de famille, figé et effrayant. En s’interrogeant sur la haine envers celui qui a bâti la vie fastueuse dont les personnages se repaissent, le spectateur devient peu à peu une sorte d’ethnologue qui observe les comportements. Et c’est ainsi que surgit le doute. Dans cet étrange microcosme féminin, qui est le vrai monstre ?
Camille Dubois
Cette année, les cinémas n’ont pas dû fermer leurs portes. Le public a pu pleinement profiter de très nombreuses sorties, auxquelles se sont associées quelques très bonnes ressorties.
Réaliser un top 7 n’a pas été chose aisée tant, au cours des 12 derniers mois, certains films proposés m’ont passionnée. Entre films classiques et projets plus audacieux, 2022 restera pour moi une bonne année de cinéma notamment grâce à la ressortie du magistral Rebecca d’Alfred Hitchcock (qui mériterait un top à lui tout seul), mais aussi en raison de l’arrivée sur grand écran du très bon documentaire de Jean-Gabriel Périot, porté par la voix d’Adèle Haenel, Retour à Reims (Fragments), ou du joyeux La chance sourit à Madame Nikuko d’Ayumu Watanabe. 2022 restera également lié au film de Kornél Mundruzco, Evolution, malheureusement passé un peu inaperçu malgré la force de ses images et de son questionnement sur la transmission l’histoire d’une famille à laquelle se mêle la “grande”. Autre très bon film, malheureusement distribué dans très peu de salle, The Chef de Philip Barantini : un plan séquence dans un restaurant bouillonnant au sein duquel un cuisinier dépassé ne cesse de se débattre pour s’en sortir.
-
La Conspiration du Caire – Tarik Saleh
Adam, simple fils de pêcheur, intègre la prestigieuse université Al-Azhar du Caire, épicentre du pouvoir de l’Islam sunnite. Le jour de la rentrée, le Grand Imam à la tête de l’institution meurt soudainement. Adam se retrouve alors, à son insu, au cœur d’une lutte de pouvoir implacable entre les élites religieuse et politique du pays.
Après Le Caire Confidentiel (2017), le réalisateur suédois a retrouvé la capitale égyptienne pour nous offrir l’un des films les plus réussis de cette année 2022. Prix du scénario au dernier Festival de Cannes, La Conspiration du Caire mélange religion et politique, dans un scénario complexe mais sans fausse note. Sans ennuyer son spectateur, le cinéaste parvient parfaitement à capter l’atmosphère écrasante d’un monde en forme de toile d’araignée et au sein duquel, Adam, tente tant bien que mal de se débattre. La mise en scène maîtrisée offre certaines images époustouflantes et pourtant, d’une simplicité déconcertante. Mais n’est-ce pas l’apanage des grands réalisateurs ? Faire de quelque chose de presque banal, une scène inoubliable, à l’image de ce concours de tajwid (récitation psalmodiée du Coran).
-
As Bestas – Rodrigo Sorogoyen
Antoine et Olga, un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils ont une ferme et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout devrait être idyllique mais un grave conflit avec leurs voisins fait monter la tension jusqu’à l’irréparable…
As Bestas est en de nombreux points, une très grande réussite cinématographique. A travers ce qu’on pourrait résumer à une simple histoire de voisinage, le réalisateur parvient tout au long de son œuvre à créer une tension à travers des gestes, des images, des mots, des regards. Sorogoyen ne loupe rien des petits éléments qui soulignent la haine et l’animalité à l’encontre de ceux qui viennent bousculer les habitudes d’un village refermé sur lui-même. Ce thriller brutal mais efficace témoigne d’une certaine réalité des campagnes que peu de réalisateur.trice ont réussi à mettre en scène jusqu’à aujourd’hui.
-
Saint Omer – Alice Diop
Rama, jeune romancière, assiste au procès de Laurence Coly à la cour d’assises de Saint-Omer. Cette dernière est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. Mais au cours du procès, la parole de l’accusée, l’écoute des témoignages font vaciller les certitudes de Rama et interrogent notre jugement.
Bien qu’habituée aux documentaires, Alice Diop signe avec Saint Omer, des débuts réussis dans le monde de la fiction. Lion d’argent à la Mostra de Venise 2022, le film est encore en lice pour la catégorie du meilleur film international aux Oscars 2023.
Inspiré d’une histoire vraie, Saint Omer est avant tout un film sur la maternité et tout ce que ce mot peut impliquer. Les questions, les doutes, les envies, les remords. Rien n’est laissé de côté par Alice Diop qui, à l’aide d’une réalisation très simple et épurée, aborde un sujet ô combien complexe et sur lequel beaucoup se sont cassé les dents en sombrant du côté du pathos. Si Diop met en avant le côté sensationnel de cette histoire d’infanticite – qui fit les choux gras de la presse – le côté dépouillé de la réalisation permet véritablement de toucher aux éléments essentiels de tout un questionnement ancestral. Autre point positif de ce film : Guslagie Malanda qui est tout bonnement à couper le souffle. -
Hit The Road – Panah Panahi
Iran, de nos jours. Une famille est en route vers une destination secrète. A l’arrière de la voiture, le père arbore un plâtre, mais s’est-il vraiment cassé la jambe ? La mère rit de tout mais ne se retient-elle pas de pleurer ? Leur petit garçon ne cesse de blaguer, de chanter et de danser. Tous s’inquiètent du chien malade. Seul le grand frère reste silencieux.
-
Les Banshees d’Inisherin – Martin McDonagh
Sur une île isolée au large des côtes irlandaises, Pádraic est dévasté lorsque son copain Colm met soudainement fin à leur amitié de toujours. Avec l’aide de sa sœur et d’un jeune insulaire troublé, Pádraic entreprend de réparer la relation endommagée par tous les moyens nécessaires.
-
L’Innocent – Louis Garrel
Quand Abel apprend que sa mère Sylvie, la soixantaine, est sur le point de se marier avec un homme en prison, il panique. Épaulé par Clémence, sa meilleure amie, il va tout faire pour essayer de la protéger. Mais la rencontre avec Michel, son nouveau beau-père, pourrait bien offrir à Abel de nouvelles perspectives…
-
Nope – Jordan Peele
Les habitants d’une vallée perdue du fin fond de la Californie sont témoins d’une découverte terrifiante à caractère surnaturel.
Clémence Letort-Lipszyc
-
Les Nuits de Mashhad – Ali Abbasi
À travers les yeux d’une journaliste luttant jusqu’au péril de sa vie, on découvre un sordide fait divers. Au nom de la religion un serial killer s’en prend aux prostituées de la ville. Ali Abbasi présente un film nécessaire à la mise en scène violente et volontairement frontale. Les Nuits de Mashhad est une fenêtre sur la souffrance et la misogynie qui gangrène tout un pays. Le récit nous plonge dans une noirceur aussi profonde que la nuit qui s’abat chaque jour sur la ville.
-
Armageddon Time – James Gray
Cette parenthèse autobiographique dans l’œuvre du cinéaste new-yorkais est pourtant l’un de ses récits qui résonne le plus en chacun d’entre nous. Régie par une pudeur et une grande peur de se dévoiler complètement, les personnages se heurtent entre eux et leurs regards crient ce qu’ils ont sur le cœur. Dans ce mutisme un pré-ado têtu et rêveur sème la zizanie. La proximité qu’il entretient avec son grand-père est l’une des plus touchantes qu’il nous a été donné de voir. Armageddon Time est une chronique familiale et sociétale tout en retenue offrant un voyage dans le temps sans égal.
-
Les Banshees d’Inisherin – Martin Macdonagh
Avec la mélancolie, la cruauté et la pointe d’humour qu’on lui connaît, Martin MacDonagh plonge ses spectateurs dans le quotidien monotone d’un village encrassé par ses ragots, ses traditions et ses croyances qui est soudainement bousculé par la fin d’une amitié de longue date. Finement scénarisé et parfaitement interprété par un duo qui n’a plus à faire ses preuves (Farrell et Gleeson), le film est un voyage au cœur des plaines brumeuses et envoûtantes d’une Irlande surannée
-
Les Vedettes – Jonathan Barré
Deux héros un peu lourdauds sont en quête d’argent et de reconnaissance. Les Vedettes exploite le potentiel kitsch et caricatural de ses personnages à son paroxysme pour composer un feel-good movie à la B.O. entraînante. C’est aussi une histoire d’amitiés improbables, de passions dévorantes, de courage et de détermination. Le film en profite pour tacler l’hypocrisie des jeux télévisés et leurs équipes prêtent à tout pour le profit. C’est validé !
-
La Nuit du 12 – Dominik Moll
-
As Bestas – Rodrigo Sorogoyen
-
Leïla et ses frères – Saeed Roustaee
Déborah Mattana
Après un premier trimestre 2022 encourageant, rempli de petites pépites, le reste de l’année était pour moi plus en demi-teinte en termes de découvertes. Beaucoup de sorties mais peu de films marquants et peu de sorties de séance avec le sourire aux lèvres et cette phrase : « Waouh, quelle claque ».
1. En attendant Bojangles de Régis Roinsard
Camille et Georges s’aiment d’un amour fou, inconscient et inconditionnel. Leur folie les a rapprochés : quelques heures après leur rencontre, ils vont se marier et quelques temps plus tard, agrandir leur nouvelle famille en donnant naissance à un petit garçon : Gary. Cet enfant, élevé au milieu de fêtes extravagantes, va suivre le chemin de ses parents et se détacher du monde avec des récits inventés de toutes pièces. Cette façon de vivre va malheureusement leur jouer des tours et ils vont voir leur quotidien pétillant s’assombrir, jusqu’à atteindre un point de non retour.
Cette adaptation du roman à succès éponyme d’Olivier Bourdeault a saupoudré de paillettes ce début d’année 2022. Le duo formé par Virginie Efira et Romain Duris est la rencontre que l’on attendait et leur interprétation de ce couple si fou nous a transporté dans un univers hors du temps. Accompagnés par une photographie ensoleillée et une bande originale impeccable, ce film est pour moi la pépite 2022 du cinéma français.
2. Belfast de Kenneth Branagh
Fin des années 60, en Irlande du Nord, vit la famille de Buddy, un petit garçon de neuf ans dont la vie est rythmée par l’école, les bêtises avec ses camarades et le conflit qui anime sa rue. Les catholiques essaient de chasser les protestants du quartier et les violences civiles font partie du quotidien de la famille de Buddy.
Ce film intimiste, ouvertement autobiographique, est réalisé par le multi-récompensé Kenneth Branagh. Habitué des adaptations plus bankables (Thor, 2011 ; Cendrillon, 2015 ; Mort sur le Nil, 2022), il nous livre ici un récit personnel tout en émotion et légèreté malgré le sujet traité. Le réalisateur a misé sur le noir et blanc car « La couleur vous permet de décrire magnifiquement les gens, mais le noir et blanc vous permet de les ressentir”, a-t-il déclaré. Ponctué par les chansons de Van Morrison, ce film offre un moment doux-amer mais tellement juste dans son histoire.
3. Elvis de Baz Luhrmann
Dans les années 50, un phénomène arrive sur les ondes américaines. Elvis Presley. Un promoteur du nom de Colonel Parker, ancien forain qui met le grappin sur le jeune Elvis, va lui ouvrir les portes du succès mais aussi celles de sa descente aux enfers. Durant 20 ans, le « King » sera tantôt adulé, tantôt diabolisé mais une chose est sûre, aujourd’hui encore, il n’a jamais été oublié.
2022 marque le retour tant attendu du réalisateur baroque Baz Luhrmann. Comme à l’accoutumé, il nous offre un spectacle décadent fait de strass et de kaléidoscopes. Il signe un biopic sur le Roi du Rock’n’roll, très remarqué par la critique notamment grâce à la prestation d’Austin Butler dans le rôle-titre. Sans surprise sur le fond, c’est toujours la forme qui caractérise le travail de Baz Luhrmann, avec des films grandioses à la mise en scène si avant-gardiste.
4. L’Innocent de Louis Garrel
Abel a des doutes sur les motivations du nouveau partenaire amoureux de sa mère. Il faut dire que Michel vient de sortir de prison et ses fréquentations sont plus que douteuses. Abel va alors se lancer dans une enquête bancale pour prouver que ses doutes sont fondés.
Quatrième long métrage signé Louis Garrel et film d’ouverture du Festival Lumière 2022 et présenté en séance spéciale au festival de Cannes, cette comédie est équilibrée, enjouée et touchante. Son succès tient également à l’interprétation impeccable des acteurs, mention spéciale à Noémie Merlant, qui brille dans son rôle de sidekick attachante. Sans tomber dans le postiche, ce film est d’une sobriété jouissive qui n’a pas laissé le public indifférent puisque les rires dans les salles obscures étaient tous sincères et spontanés.
5. Le Tourbillon de la vie de Olivier Treiner
Les petits hasards peuvent parfois avoir un grand impact sur le cours de notre vie. C’est le cas pour Julia, jeune prodige du piano, qui va voir sa vie basculée au fil de ses choix et des multiples possibilités qui se présentent à elle.
Original, émouvant, désarmant, le premier long métrage Olivier Treiner est une réussite. À l’ambiance “Lelouch-esque”, ce film est une allégorie du romantisme. C’est l’histoire (les histoires) de Julia (Lou de Laâge), et de toutes les vies qu’elle aurait pu avoir si le destin en avait décidé autrement ; s’il n’avait pas plu ce jour-là, si elle n’avait pas perdu son passeport, si la pièce était tombée sur pile et non sur face… Le scénario est bien ficelé, et il se doit de l’être au vu du nombre de destins qui s’entremêlent. Même si le film aurait mérité un peu plus de budget, il n’en reste pas moins beau et intelligent car il nous fait nous poser la question dès que les lumières se rallument : “Et si ma vie avait été différente ?”.
6. Mascarade de Nicolas Bedos
Adrien et Margot se rencontrent au bon moment. Lui, danseur déchu vivant au crochet d’une actrice mégalo à succès ; elle, enchaînant les arnaques pour survivre, ce duo malsain va mettre en place un plan presque infaillible pour voler les personnalités les plus riches de la Côte d’Azur. Cependant, tout ne va pas se passer comme prévu.
Dans un décor et un milieu bling bling, notre duo phare se démarque par leur comportement et leurs motivations. Même si tous les personnages sont motivés par l’argent et le pouvoir, Adrien (Pierre Niney) et Margot (Marine Vacth) sont prêts à aller loin pour l’obtenir. Sensuellement intelligent, ce quatrième long métrage de Nicolas Bedos n’est pas son film le plus intimiste mais il est le plus intéressant scénaristiquement. Traité comme un thriller, il offre un moment de tension et de malaise de par l’exposition de la méchanceté humaine portée par ses personnages. Aucun d’eux n’est bon ni attachant, mais peut-être aime-t-on les détester ?
7. Whitney Houston : I Wanna Dance With Somebody de Kasi Lemmons
Voici le biopic sur l’artiste la plus récompensée de tous les temps que l’on attendait : Whitney Houston. De ces début comme choriste gospel dans le New Jersey, à son premier clip et en passant par ses problèmes d’addiction, le film retrace le parcours d’une artiste mais aussi surtout d’une femme.
Ce biopic ne brille pas par son originalité dans sa narration, il traite de la vie de Whitney Houston de manière linéaire et chronologique (avec quelques omissions qui auraient sans doute assombri le portrait). Cependant, il brille grâce à son sujet et à son interprète. Naomi Ackie crève l’écran et la présence de Whitney est toujours palpable grâce à la bande originale car l’actrice ne fait que du playback. Grâce à un remarquable travail de récupération de la voix de Whitney à travers des enregistrements et des archives, ce long métrage apparaît comme un véritable hommage à son talent (ce qui n’est pas le cas de tous les biopics, dans Rocketman de Dexter Fletcher, 2019, Taron Egerton a ré-enregistré les chansons d’Elton John). Mais ici, qui aurait pu reprendre les notes inatteignables de Whitney Houston ?
Mention spéciale pour En roue libre de Didier Barcelo, sorti à l’été 2021, avec le duo Benjamin Voisin et Marina Foïs. Une comédie qui nous fait sourire autant qu’elle nous émeut.
Lucie Dachary
Enfin une pleine année de cinéma! Les coups de cœur de 2022 sont arrivés quelques mois après le début de l’année, mais les salles obscures ont par la suite su tenir leurs promesses.
Une année qui voit des fils rouges importants se déployer, comme celui des violences faites aux femmes avec La Nuit du 12 (Dominik Moll), Bowling Saturne (Patricia Mazuy) ou Les Nuits de Mashhad (Ali Abbasi). 2022 est également un grand cru en terme de cinéma français, et l’on ne peut pas faire entrer dans un top 7 tous les films qui nous ont marqué – le magnifique Un Beau Matin de Mia Hansen-Love, le mélancolique Les Passagers de la Nuit de Mikaël Hers ou l’absurde et profond Incroyable mais Vrai de Quentin Dupieux y auraient mérité une place. L’offre cinématographique était riche, elle a aussi généré des frustrations. Je n’ai à ce jour pas encore pu voir le remarqué R.M.N de Cristian Mungiu ni le documentaire fleuve Qui à part Nous de Jonas Trueba, qui auraient eux aussi pu figurer dans le top. 2022 a proposé de belles ressorties également, le culte La Maman et la Putain de Jean Eustache (1973) qui a connu un beau succès en salle, ou encore la découverte japonaise sulfureuse Tatouage (Yasuzo Masamura, 1966).
Alors qu’une page se tourne, il est temps de faire le bilan avant de retourner en salles.
-
La Nuit du 12 – Dominik Moll
La jeune Clara aurait dû rentrer chez elle, la nuit du 12. Mais un homme l’a brûlée vive au cœur de son village de la région grenobloise, pour une raison qui restera obscure…
Dominik Moll épouse dans La Nuit du 12 le point de vue de l’enquêteur de la PJ Yohan, remarquable Bastien Bouillon. Au fil des interrogatoires, les carapaces des policiers et des suspects se fissurent. Une œuvre sobre, percutante de justesse et d’humanité, qui questionne la haine des hommes contre les femmes, qui, au-delà de la nuit du 12, retentit depuis la nuit des temps.
-
As Bestas – Rodrigo Sorogoyen
Antoine et Olga, un couple de Français, vivent depuis plusieurs années dans un petit village de Galicie, avec l’ambition de retaper des maisons inhabitées afin de redynamiser cette zone rurale. Des voisins particulièrement inhospitaliers ont pourtant décidé qu’ils feront tout pour que ce projet ne voie pas le jour…
Le réalisateur espagnol nous avait habitués à des thrillers suffocants (El Reino, 2018, Madre, 2019) efficaces. Il atteint ici un sommet dans son cinéma en rendant la tension palpable au travers non seulement de l’image, mais également de l’écriture de dialogues étouffants sous forme de joutes verbales incisives. Le corps à corps est maîtrisé et acharné, mené par un impeccable duo (Marina Foïs et Denis Ménochet), et l’on n’en sort pas indemne.
-
Les Enfants des Autres – Rebecca Zlotowski
A 40 ans, Rachel n’aurait pas pensé tomber amoureuse d’Ali à un cours de guitare, ni rencontrer sa fille de 4 ans Leila, et encore moins s’attacher à cette dernière comme si elle était sa propre fille. Cette belle rencontre remet en perspective sa vie tout entière, ses envies de femme et son désir d’enfant. La vie, tout simplement.
Peu emballée par les précédents films de Rebecca Zlotowski, je me suis rendue en salle avec des attentes limitées. J’ai finalement plongé la tête la première dans le quotidien de Rachel, j’ai été saisie et émue par les bouleversements que traverse Rachel. Avec simplicité, la réalisatrice livre l’un de ses films les plus personnels (c’est d’ailleurs son propre père qui interprète le père de la protagoniste!) et filme une tranche de vie avec une magnifique simplicité.
-
Leila et ses Frères – Saeed Roustaee
Seule femme entourée par ses quatre frères, Leila décide de sortir sa famille du marasme financier dans lequel elle s’enlise et des tensions qui en découlent. Elle s’engage dans l’ouverture d’une boutique, à laquelle tous vont participer. Mais il leur manque un soutien financier, que leur père s’engage à assurer. Une décision qui mènera la famille vers la désillusion et la perte…
Après le remarqué La Loi de Téhéran (2019) qui plongeait dans le système carcéral, Saeed Roustaee nous offre la fresque d’une société iranienne toujours plus fracturée, entre les très pauvres et les très riches. Mais Leila et ses frères est avant tout le portrait d’une femme intelligente et combative, prête à tous les sacrifices pour sauver sa famille de la misère. La dure réalité n’est jamais loin de la fiction, puisque l’actrice qui incarne Leila, Taraneh Alidoosti, a été récemment arrêtée à cause de ses actions militantes sur les réseaux sociaux.
-
Contes du Hasard et Autres Fantaisies – Ryusuke Hamaguchi
Un taxi, une université, une réunion d’anciens élèves. Trois femmes, trois saynètes, sous le signe de la parole, de la séduction et de l’amitié…
Après le multiprimé Drive my Car (2021), le réalisateur japonais Ryusuke Hamaguchi reprend la forme du triptyque (Drive my Car était inspiré par 3 nouvelles de Murakami) et y injecte ses thèmes de prédilections. Un film à sketch savoureux, d’une grande intelligence, toujours mené par les rencontres et les coïncidences.
-
L’Ombre d’un mensonge – Bouli Lanners
Phil mène la vie qu’il a choisie, en exil sur la petite île écossaise de Lewis. Victime d’une attaque, il perd brutalement la mémoire. C’est alors que surgit Millie, une voisine qui prend soin de lui et lui raconte qu’ils s’aimaient en secret avant l’accident…
Bouli Lanners livre avec L’Ombre d’un Mensonge un long métrage d’une très grande sensibilité. Les paysages, époustouflants, se conjuguent à l’émoi des personnages sans jamais sombrer dans le pathos. L’amnésie du personnage principal, thème fréquemment traité au cinéma, fait ici survenir une page blanche sur laquelle écrire les sentiments. D’une grande délicatesse, le film est porté par deux très beaux acteurs, Bouli Lanners et Michelle Fairley.
-
Pacifiction – Tourment sur les îles – Albert Serra
Le Haut-Commissaire de la République De Roller est dépêché à Thaïti en tant que représentant de l’Etat Français. Il sonde la population locale de jour chez ses représentants, comme de nuit dans la discothèque Paradis.
Pacifiction est l’un de ces films dont on ne saura jamais vraiment si on l’aime ou pas. Véritable ovni, le long métrage est une invitation au voyage hypnotique, un mystère que l’on a envie de percer, entre fascination et ennui. Une véritable expérience donc – n’est-ce pas pàs là ce que l’on cherche en se rendant au cinéma? Il ne se passe donc rien dans Pacifiction, mais il s’y passe beaucoup à la fois, le tourment est sur les flots, mais c’est aussi une tempête intérieure qui agite le protagoniste et les habitants de l’île. Avec ses ambiances visuelles et sonores lynchiennes par moments et ses méthodes de travail passionnantes, Albert Serra offre à Benoît Magimel le rôle de sa vie. Qu’on l’aime ou non, difficile de ne pas mettre ce film dans le top 7, donc.
Je note chez Clémence la présence surprenante des « Vedettes ». Choix audacieux mais qui me va.
Merci pour tous ces bons conseils.
J’aimeAimé par 1 personne