[CRITIQUE] El Agua

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Sous la chaleur écrasante de l’été et de l’ennui, la jeune Ana découvre l’amour auprès de José. Dans ce petit village du sud de l’Espagne, une vieille légende dit que lors des inondations des femmes disparaissent, car elles ont l’eau en elles. 

El Agua, premier long-métrage de la cinéaste espagnole Elena Lopez Riera, raconte l’histoire mystérieuse d’une rivière dans un petit village au sud-est de l’Espagne. Une ancienne croyance raconte que la rivière tomberait amoureuse d’une jeune fille et l’appellerait alors à la rejoindre. Nous y suivons Ana et José, deux adolescent.e.s qui découvrent l’amour. À travers ce mythe, la cinéaste parvient à retranscrire avec justesse les premiers amours, mais aussi et surtout la place des femmes dans une société qui continue à les rabaisser et à les maltraiter. Le film parle également de l’objectivation de la nature avec justesse. Sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes en 2022, El Agua est un puissant chant sororal. 

La réalisatrice met en place un dispositif ingénieux pour permettre de mélanger la fiction et le documentaire. La croyance au cœur du récit est une légende avec laquelle elle a grandi. Entourée d’actrices et d’acteurs non professionnel.le.s venu.e.s du village où elle tourne – exceptées Bárbara Lennie, la mère d’Ana et Nieve de Medina, la grand-mère -, elle découpe l’histoire, en faisant parler face caméra les habitantes des mystères de la rivière. Elena Lopez Riera donne ainsi de l’importance à ces « dires de bonnes femmes ». Une des histoires contées est particulièrement frappante : la rivière aurait appelé à elle une femme le jour de son mariage qui aurait par la suite disparue. Tout au long du récit, la société patriarcale est remise en question, tant du côté du mariage qui est ici vu comme une soumission des femmes, que du côté de la liberté sexuelle. Ana, interprétée par Luna Pamies, dont il s’agit du premier rôle, est tout simplement époustouflante. Autour d’elle, les femmes sont “maudites”. Sa mère n’est pas mariée et entretient une relation avec un français qui vient régulièrement travailler dans la région. Sa grand-mère a été battue par son mari et en parle dans une séquence émouvante. Ces femmes n’ont pas leur place dans ce petit village isolé et misogyne. Ana, en tombant amoureuse de José, pense avoir trouvé un alter ego, mais même lui qui semble ouvert, la traitera de folle quand elle parlera de sa peur de l’eau. 

Dans cette région d’Espagne, la rivière a une place importante. En effet, les orangers et les citronniers, centre de l’agriculture du village, ont besoin d’eau. Aride, la nature n’aurait jamais pu faire pousser ces agrumes à cet endroit. De plus, la peur de l’inondation ne prend pas place seulement auprès des femmes, qui ne veulent pas être emportées par la rivière, mais également pour l’agriculture intensive. Ce débordement incontrôlé ne peut pas avoir lieu dans une société patriarcale. Mais le film montre que même si cette rivière, crainte et essentielle, est importante pour l’organisation du travail, elle n’est pas pour autant respectée. Dès l’ouverture, nous voyons du plastique, des bouts de nourriture, des objets, flottés à la surface. Là aussi, la réalité vient imprégner le récit, le documentaire se mêlant habilement à la fiction. 

El Agua est percutant mais aurait gagné à être plus court, n’arrivant pas toujours à garder la tension qui se développe petit à petit. La cinéaste réussit à installer une ambiance pesante et à distiller les traces de la misogynie dans cette société. Ana est une jeune femme qui cherche sa place et qui se bat au quotidien, non seulement pour s’accepter mais à accepter la différence de sa famille. Le film tente aussi de tisser du lien entre les générations, faisant de la parole une transmission essentielle de l’histoire.

Marine Moutot

El Agua
Réalisé par Elena Lopez Riera
Avec Luna Pamies, Bárbara Lennie, Nieve de Medina
Drame, Espagne, 2022, 1h44
Les Films du Losange
1er mars 2023