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La screwball comedy ou comédie loufoque en français est un sous-genre hollywoodien apparu dans les années 1930 et dont l’âge d’or se situe entre 1934 à 1944. Pourquoi aborder l’histoire d’un genre presque éteint aujourd’hui et qui a vibré sur un autre continent que le nôtre ? Pourquoi vous proposer six articles pendant plusieurs mois sur ces films que beaucoup ont oubliés ? Tout simplement, parce que la screwball comedy est un genre qui a dû se réinventer face à une censure très forte. Les réalisateurs et scénaristes – principalement des hommes – ont dû réfléchir à de nouvelles manières de raconter des histoires pour faire passer des messages et montrer des dynamiques de relations différentes. Beaucoup estiment que c’est en 1934 que naît la screwball. Bien sûr, il est difficile de citer un film ou une date exacte mais pour les spécialistes, deux œuvres ont particulièrement marqué les esprits : Train de luxe (Twentieth Century) d’Howard Hawks et New York-Miami (It Happened One Night) de Frank Capra. Les deux cinéastes sont d’ailleurs des figures de ce genre et feront d’autres oeuvres marquantes comme L’Impossible Monsieur Bébé (Bringing up Baby, Howard Hawks, 1938) ou Arsenic et Vieilles Dentelles (Arsenic and Old Lace, Frank Capra, 1941). L’Introuvable (The Thin Man, 1934) fait aussi partie des films qui ont mené à la naissance de la screwball. Mais le cinéaste, W. S. Van Dycke n’étant que peu connu aujourd’hui, ce film n’a pas connu de ressortie en France.

1934, c’est tout juste cinq ans après l’arrivée du sonore au cinéma. Et alors que le muet est encore au sommet, c’est le genre burlesque qui mène la danse ; le but est de divertir et faire rire le public avec des gags particulièrement physiques : bagarres, courses poursuite, cascades impressionnantes. Cependant avec l’arrivée du parlant et les premiers pas de cette nouvelle technologie, les réalisateurs doivent créer une nouvelle manière de filmer avec notamment des mouvements de caméra plus compliqués à faire. Les plans deviennent plus fixes et les dialogues prennent le pas sur la gestuelle. En l’espace de quelque temps apparaît donc sur les écrans une sorte de cinéma-théâtre qui va néanmoins, très vite, savoir se réinventer.
La screwball est justement l’un des genres – si ce n’est LE genre – qui saura le mieux mélanger l’apport du parlant et l’héritage du cinéma physique de l’époque du muet. Les acteurs et les actrices vont jouer de leur corps tout en balançant leur répliques à une allure complètement folle.
Malgré les codes du genre, les acteurs.trices régulier.ère.s, la plupart des réalisateurs et scénaristes parviennent à imposer un style particulier dans ces comédies ayant pour point commun des situations loufoques pouvant même parfois virer à l’absurde. C’est d’ailleurs de cet aspect inattendu que le genre tient son nom ; “screwball” vient du baseball et plus particulièrement d’un terme utilisé pour désigner une balle dont la trajectoire est imprévisible. Dans l’argot américain, il désigne également une personne excentrique. En soit, on ne pouvait trouver mieux pour parler de ces comédies cinoques !
Mais bien sûr, ces screwball sont bien plus que de simples jeux de mots bien placés, des allusions sexuelles ou des gags visuels. C’est pourquoi nous vous invitons à nous suivre dans l’univers incroyable de la screwball à travers six articles. Après cette introduction générale, nous vous parlerons des rapports femmes/hommes, puis de la place de l’intimité dans ces comédies farfelues. Nous enchaînerons sur la critique de la société dans une quatrième partie. Dans nos deux derniers articles nous mettrons en avant les stars de la screwball (acteurs, actrices, réalisateurs, scénaristes), pour terminer sur l’héritage du genre. En bonus, nous vous conseillons dix films qu’il faut absolument avoir vu.
Code Hays : une censure de l’industrie cinématographique…
Quoi de plus difficile à contourner que la censure ? Hollywood, par peur de représailles de fervents groupes catholiques quelque peu pudiques – le mot est faible – et pour éviter une censure gouvernementale, décide d’instaurer ses propres règles. La création du fameux Code Hays débute dès les années 1920 avant d’être totalement instauré en 1934. Retour sur son histoire…
En 1922, huit studios de cinéma – Paramount, MGM, 20th Century Fox, Universal Pictures, Warner Bros, Columbia, United Artists, RKO Pictures – créent l’association MPPDA (Motion Picture Producers and Distributors of America, aujourd’hui nommée Motion Picture Association) dans le but de défendre leurs droits et mettent à sa tête William H. Hays. Dès 1924, ce dernier promeut une liste de règles que les scénarios produits par les studios hollywoodiens devront respecter afin d’être approuvés par la MPPDA. Bien évidemment, les studios ne le font pas. En 1927, Hays revient à la charge mais échoue à nouveau.
Le krash boursier de 1929, qui sera un des événements les plus traumatisants pour l’industrie hollywoodienne, voit naître de nouvelles antennes de censures. Deux hommes, le journaliste Martin Quigley et le prêtre jésuite Daniel A. Lord, écrivent un texte qui sert de base au pré-code de William Hays en 1930. Ce guide de censure interdit l’homosexualité, la nudité, la drogue, la sexualité, les injures et le blasphème dans les films.
Dans un premier temps, les films allant à l’encontre de ce code Hays “allégé” sont privilégiés par les studios car ceux-ci trouvent plus facilement leur public. Ils rapportent plus d’argent et le cinéma en a besoin. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui l’ère pré-code avec des films sulfureux, osés et crus.
Au printemps 1934, la MPPDA crée la Production Code Administration (PCA) qui doit contrôler les scénarios en fonction des préceptes du code Hays. Jospeh I. Breen, connu pour être anti-sémite et proche de l’église catholique, est placé à la tête du PCA. Les studios doivent alors faire approuver leurs scénarios par cette instance. À partir du 1er juillet 1934, s’ils ne le font pas, ils courent le risque d’une amende de 25 000 $. Cela va être réellement le début de l’ère Code Hays. Si l’application du code connaît des moments de plus grandes flexibilités, il reste difficile de le contourner avant les années 1954. La screwball comedy est donc un genre qui va s’épanouir sous cette forte censure. Et si les spécialistes notent la fin de ce genre au milieu des années 1940, ce n’est pas dû à un relâchement de la censure, mais à cause de la Seconde Guerre mondiale. Avec le retour des soldats, le gouvernement prône un retour des femmes au foyer. C’est la fin des femmes fortes que le genre affectionne comme vous allez le voir juste après.
Comment reconnaître une screwball ?
Une comédie dite screwball est un film mettant en scène des situations généralement étonnantes et imprévisibles, autour de thèmes centraux : le couple, les relations familiales et les oppositions de classes sociales. C’est pour cette raison d’ailleurs que beaucoup de novices définissent parfois ce genre comme celui des “comédies de remariages”. S’il est vrai que le mariage, le divorce et le remariage tiennent une place importante dans certains classiques (Cette sacrée vérité (The Awful Truth, Leo McCarey, 1937), Indiscrétions (The Philadelphia Story, George Cukor, 1940) …), d’autres grands films du genre se concentrent davantage sur la rencontre entre deux personnages et la naissance d’un amour, à première vue impossible. D’une certaine façon, quelques screwball réinterprètent à leur façon le mythe de Roméo et Juliette, en plaçant au centre de leurs histoires la question des différences de classes sociales. Aux aristocrates – souvent très excentriques voire complètement fous – s’opposent la classe moyenne et laborieuse, dont la représentation va varier d’un film à l’autre. Parfois simple et rêveuse (à l’image de Jean Arthur dans La Vie facile (Easy Living, Mitchell Leisen, 1937), elle peut également se montrer elle aussi quelque peu fantasque (Vous ne l’emporterez pas avec vous (You can’t take it with you, Frank Capra, 1938) ou au contraire, très sérieuse et les pieds parfaitement ancrés dans le sol (Mon homme Godfrey (My Man Godfrey, Gregory La Cava, 1936). En vérité, il n’y a pas de règles précises et seul le fait de mettre face à face deux couches différentes de la population américaine, tout en y ajoutant une histoire d’amour, semble véritablement compter. Cela est d’autant plus vrai dans les premières screwball comedy des années 1930 alors que les films doivent répondre aux besoins et envies d’un public rêveur, espérant pouvoir redresser le pays après la Grande Dépression.

Malgré quelques traits exagérés, ces personnages restent assez réalistes. Ce qui l’est moins, ce sont les situations complètement abracadabrantesques dans lesquelles ils vont se retrouver, soit à cause d’un mensonge ou encore, d’un simple malentendu. Ces situations hors de contrôle s’enchaînent tout au long du film offrant généralement très peu de temps morts.
D’une manière globale, le rythme doit être soutenu non seulement dans l’enchaînement des scènes et des situations loufoques, mais également dans la diction des acteurs.trices. Les lignes de dialogues particulièrement savoureuses et travaillées (parfois dans le but de contourner la censure) se chevauchent et s’entrechoquent apportant un aspect comique au film. C’est ainsi que beaucoup de screwball abordent le sexe sans que jamais, le terme ne soit évoqué. De même, la rapidité de diction et l’enchaînement des échanges entre différents personnages, permet par exemple à W. S. Van Dyke de faire dire à son personnage masculin de L’Introuvable (interprété par William Powell, 1934) “I am gay for this one”, après une simple bousculade. Malgré tout, les références à l’homosexualité restent très rares et les screwball se concentrent intégralement sur la relation femme/homme et généralement, cette dernière n’est pas des plus simple. De ce fait, nous sommes souvent bien loin des histoires à l’eau de rose et très sentimentales auxquelles Hollywood avait pu nous habituer, notamment au temps de muet.
Dans la screwball, il y a de la casse, une certaine violence mais surtout, la femme n’est plus une demoiselle en détresse. Et c’est là l’un des points central de ce nouveau genre. Durant la période du muet et les premières années du cinéma parlant, les actrices étaient très souvent cantonnées à des rôles redondants et surtout, ne parvenaient jamais à trouver leurs places dans la comédie. Chaplin, Keaton, Laurel et Hardy, Lloyd, Langdon… Le burlesque et la comédie étaient une affaire d’hommes.
Avec la screwball, les scénaristes et réalisateurs introduisent un changement important : femmes et hommes sont mis sur un pied d’égalité. Parfois même, le rôle féminin prend le pas sur celui de l’acteur. Dans tous les cas, la femme devient comique à son tour, à l’image de Carole Lombard, qui enchainera les screwball jusqu’à devenir l’un des visages emblématiques de la comédie américaine. La femme devient plus forte, plus futée et moins ordinaire – au contraire de certains rôles masculins où l’homme se retrouve rabaissé. À son tour, l’actrice se retrouve au premier plan, avec tout ce que cela implique : un corps en mouvement, un visage ultra-expressif et une diction très rapide. Cette nouvelle conception de la hiérarchie dans le récit offre l’occasion idéale de mettre en scène une véritable guerre des sexes et de questionner la notion de “famille”.
Ainsi, si nous devions résumer simplement, nous pourrions dire qu’il s’agit d’une comédie tournant autour de la question de l’amour, du mariage et des relations femmes/hommes dans une Amérique en pleine modernisation. Plus généralement – nous le verrons dans la suite de ce dossier – le genre est un moyen de témoigner et de commenter la vie des États-Unis après le crash boursiers de 1929.
Ensuite, la screwball est un genre qui parle de sexe sans le montrer, en se reposant sur des situations cocasses, loufoques, des métaphores et quelques dialogues parfaitements écrits et récités à toute allure. Enfin, la screwball repose sur des rôles féminins marquants et forts, venant contrebalancer ceux tenus par les acteurs, parfois malmenés.
Les artisans de la screwball
Lorsque la screwball débarque, les studios font face à une crise ; le krach boursier de 1929 et la dépression qui lui succède changent la mentalité américaine. De plus, de l’autre côté de l’Atlantique, les dictatures se font de plus en plus bruyantes et il devient presque impensable de pouvoir échapper au conflit. Pour répondre à ces mutations qui bouleversent le monde entier, Hollywood se voit dans l’obligation de se renouveler une nouvelle fois. Avec la fin des années folles, le public dit adieu aux flappers qui avait permis une première libération de la femme au cinéma. Exit Louise Brooks, Clara Bow et leurs coupes aux carrés. Ces femmes dites “garçonnes” ne correspondent plus à la nouvelle société américaine, tout comme les histoires à l’eau de rose et les comédies romantiques. Les studios renouvellent leurs équipes et se dotent de nouveaux scénaristes venus pour la plupart du monde du théâtre. Les studios recrutent également des journalistes. Ces reporters savent écrire rapidement et apportent aux dialogues quelque chose de plus naturel et réaliste ; une façon idéale de se rapprocher de l’américain.e lambda. Car dorénavant, les producteurs veulent des histoires modernes et simples qui parlent à n’importe quel public. L’inspiration n’est plus à puiser dans l’art du vieux continent européen ; les États-Unis veulent créer leur propre histoire, leur propre art. Alors plutôt que d’adapter du Shakespeare, les nouveaux scénaristes adaptent certaines pièces qui connaissent – ou ont connu – un succès important à Broadway. D’autres s’inspirent de faits divers publiés dans les journaux ou d’expériences vécues au sein même d’une équipe de rédaction.
Le travail d’écriture devient moins solitaire et plus collectif ; la plupart du temps, les studios forment des duos de scénaristes ou bien un couple scénariste/réalisateur. De cette façon, les cinéastes comme Howard Hawks, Leo McCarey, W. S Van Dyke se permettent quelques modifications pour apporter leur touche personnelle à l’écriture. D’autres, comme Billy Wilder ou Preston Sturges participent du début à la fin à la conception de l’histoire. De même que les réalisateurs, les scénaristes possèdent eux aussi leurs styles et leurs thèmes de prédilection, ce qui se répercute dans les films ; Sidney Buchman se concentre sur la relation femme/homme et sur la question du couple américain dans les années 30 (Cette sacrée vérité, Théodora devient folle (Theodora Goes Wild, Richard Boleslawski, 1936), Mon mari, le patron (She Married Her Boss, Gregory La Cava, 1935) ; Ben Hecht évoque a plusieurs reprise la manipulation sous toutes ses formes (La Joueuse Suicidée (Nothing Sacred, William Wellman, 1938), La Dame du Vendredi (His Friday Girl, Howard Hawks, 1945) ; Hagar Wilde joue, quant à elle, sur la confusion des genres tout en usant avec précision de l’inspiration burlesque de la screwball (L’Impossibilité Monsieur Bébé, Allez coucher ailleurs (I Was a Male War Bride, Howard Hawks, 1949).

Pour porter ces films, les studios peuvent bien sûr compter sur une ribambelle d’acteurs et d’actrices. Alors que les studios se voient mener par des producteurs devenus tout puissants, ils consolident le star-system qui participe aux succès des films. Beaucoup d’interprètes se retrouvent plus ou moins catalogués et associés à une sorte de stéréotype et par extension, à un genre de film.
Ainsi, les screwball ont également leurs grandes figures. Cary Grant – sans doute l’un des plus grands acteurs de screwball – se retrouvent souvent dans des rôles assez physiques et des films où l’aspect burlesque tient une part importante. Au contraire, William Powell apparaît souvent à l’écran comme un homme posé, calme et particulièrement malin. Ses rôles ne jouent pas tant sur des cascades mais plutôt sur des mimiques particulièrement marquées. Chez les femmes, Carole Lombard joue aussi beaucoup de son corps avec des coups de pied, des courses poursuites et des expressions souvent exagérées. Ses personnages sont bruyants, très démonstratifs et souvent ridicules. Tout le contraire des personnages interprétés par Claudette Colbert qui campe le rôle de femmes sophistiquées quelque peu aventurières, souvent attirées par l’argent, mais un peu fleur bleue malgré tout.
Nous comprenons donc à quel point le choix d’un acteur était dicté par le rôle et l’image que celui-ci devait renvoyer au public. Mais une autre chose comptait particulièrement ; la symbiose entre les deux interprètes principaux. La screwball étant une histoire de guerre de sexes entre homme et femme, il était nécessaire pour les studios de créer des duos compatibles et dont la rencontre pourrait créer la tension sexuelle nécessaire. Difficile donc de mettre la téméraire Katharine Hepburn face à William Powell.

Avec ses femmes fortes, ses situations décalées et ses quiproquos sans fin, la screwball se révèle être un genre passionnant que nous prendrons plaisir à vous faire découvrir.
Nous reviendrons le mois prochain avec l’un des thèmes centraux de la screwball : les rapports femmes/hommes.
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Marine Moutot & Camille Dubois
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La screwball comedy dans tous ses états
1/ Introduction générale
2/ Les rapports femmes/hommes
3/ La place de l’intimité
4/ Critiques de la société
5/ Les stars de la screwball : acteurs, actrices, réalisateurs
6/ Conclusion – 10 films qu’on conseille
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