[SCREWBALL COMEDY] Les rapports femmes/hommes

Temps de lecture : 14 minutes

Les femmes prennent une place centrale dès les premières screwball comedy. Ce sont, dans la plupart des cas, elles qui sont au centre du récit, dictant le rythme et l’action. Il y a bien évidemment des exceptions et nous retrouvons dans un premier temps des femmes encore soumises et/ou manipulées (Une fine mouche (Libeled Lady, John Conway, 1936), L’Introuvable, Train de Luxe). Plus tard, la screwball opère un renversement dans les rôles et les situations. Les femmes prennent le dessus, manipulant à leur tour de manière voulue ou non (Un cœur pris au piège (The Lady Eve, Preston Sturges, 1941), La Baronne de Minuit (Midnight, Mitchell Leisen, 1939), La Joyeuse Suicidée) les hommes qui les accompagnent.
Ces nouveaux personnages féminins sont des femmes fortes et indépendantes, bien que ce constat reste à nuancer. En effet, même si elles tiennent tête aux hommes, elles leur restent le plus souvent subordonnées que ce soit par les sentiments (La Dangereuse aventure (No Time for Love, Mitchell Leisen, 1943)…) ou dans les missions à accomplir (La Dame du vendredi,… d’ailleurs, le titre original du film d’Howard Hawks, His Girl Friday, pourrait être traduit par “sa femme à tout faire”). 
À travers l’étude du rapport avec le travail et les sentiments, nous souhaitons montrer comment les personnages féminins s’émancipent au regard de leurs prédécesseuses et de leurs successeuses. En effet, après la Seconde Guerre mondiale, l’époque n’est plus aux working girls mais aux femmes au foyer, dévouées à leur mari et à leurs enfants. Il sera aussi question de montrer comment les relations hétérosexuelles entre les femmes et les hommes ne sont presque jamais remises en question.

Les femmes, les hommes et le travail 

AMOUR ET TRAVAIL : L’IMPOSSIBLE ALLIANCE

La nouvelle indépendance gagnée par les femmes passe, en partie, par l’occupation d’un emploi. Si quelques screwball concentrent leurs histoires sur l’opposition des classes sociales, montrant ainsi des personnages féminins vivant dans le luxe familial (Mon Homme Godfrey, Indiscrétion, L’Impossible Monsieur Bébé, Cette sacrée vérité…), une majorité des films présentent des femmes occupant un emploi.
Ce travail n’est parfois qu’un point de détail du scénario et sert tout simplement à faire comprendre aux spectateurs.trices que le personnage est dans le besoin. Ainsi, dans La Vie facile, Mary Smith (Jean Arthur) ne passe que quelques secondes sur son lieu de travail et se fait rapidement virer. Il en est de même dans Uniformes et jupons courts (The Major and the Minor, Billy Wilder, 1942) où l’on découvre Susan Applegate (Ginger Rogers) en coiffeuse lors des premières scènes du film. Un job qu’elle abandonnera très rapidement pour retrouver sa famille. Le travail n’est alors qu’une façon d’ancrer la femme dans une situation sociale de laquelle découlera le reste de l’intrigue ; une intrigue qui opposera au personnage féminin, un jeune homme généralement riche et/ou occupé par un emploi lui aussi. De cette façon, la route de Mary Smith (La Vie facile) croise celle d’un grand chef d’entreprise et de son fils, dont elle tombera amoureuse. Dans La Joyeuse Suicidée, Hazel Flagg (Carol Lombard) se laisse embarquer par un journaliste pour vivre la belle vie dans la ville de New-York. Alors qu’elle prétend être gravement malade, le travail n’a plus vraiment d’importance pour elle et seul l’homme (Fredric March) reste accroché à son emploi de journaliste et ce, malgré la malhonnêteté de son patron.
On comprend alors que, même si la femme peut travailler, la screwball – surtout dans ses premières années – ne lui laisse pas concilier amour et vie professionnelle. Et lorsqu’il arrive que l’un et l’autre soient intrinsèquement liés comme dans Train de Luxe, le résultat est si catastrophique et malsain qu’il est inévitable de se demander si l’amour est réel entre les deux personnages. Dans ce film d’Howard Hawks, Oscar Jaffe (Lionel Barrymore) et Lily Garland (Carol Lombard) vivent une relation que l’on pourrait qualifier de toxique. Particulièrement manipulateur, “O.J” ne semble pas vraiment se soucier des sentiments de celle qu’il prétend aimer et qu’il tente de reconquérir. Quant à Lily, si elle passe d’une jeune femme timide à une grande star imbue de sa personne, son fort caractère disparaît pourtant rapidement face aux machinations tordues de son ex-mari. 

Dans Train de Luxe, l’amour et le travail ne font pas bon ménage

Dans Jeux de mains, l’une des choses qui rapproche Regi Allen (Carol Lombard) et Drew (Fred MacMurray) est, au contraire, le fait de ne pas avoir envie de travailler. Vénales tous les deux, ils rêvent d’épouser une personne riche mais leurs missions échouent alors que leur amour triomphe. Après avoir décidé de se marier, Drew – personnage particulièrement paresseux – accepte de trouver du travail. On comprend alors que le mariage ne fonctionnera que si c’est l’homme qui trouve un emploi. 
Ainsi, lorsque la femme travaille, son emploi apparait soit comme un détail de l’intrigue, soit comme un fardeau et surtout, cette occupation nouvellement gagnée ne lui laisse aucune chance de vivre un amour heureux et paisible. Moins de problèmes pour l’homme qui occupe généralement un emploi important mais dont il assume l’entière responsabilité, quitte à délaisser celle qu’il aime. Le meilleur exemple est sans nul doute Une fine mouche de John Conway. Cette screwball des premiers temps met en scène Warren Haggerty (Spencer Tracy), un rédacteur en chef qui n’hésite pas à pousser sa fiancée (Jean Harlow) dans les bras de Bill (William Powell), un ami à l’honnêteté discutable et ce, dans le seul but de compromettre une riche héritière (Myrna Loy).

LES FEMMES AU TRAVAIL : L’EXEMPLE DE LA WORKING GIRL

En quittant le foyer pour s’engager dans le travail, la femme gagne en liberté puisqu’elle est capable de subvenir à ses propres besoins. Cela est d’autant plus vrai à partir des années 1940 ; sans doute pour coller à la réalité des femmes obligées de remplacer les hommes partis à la guerre, les screwball commencent à offrir un peu plus d’importance au travail féminin. Dans Rendez-vous, (Shop Around the Corner, Ernst Lubitsch, 1940), Klara Novak (Margaret Sullivan) se fait rapidement engager comme vendeuse dans un magasin. Dans Indiscrétion, Elizabeth Imbrie (Ruth Hussey) opère comme photographe alors que Nora Shelley (Jean Arthur) dans La Justice des Hommes (The Talk of The Town, Georges Stevens, 1942) n’a de cesse de répéter qu’elle est enseignante et accepte malgré tout de devenir l’assistante du professeur Lightcap. Quant à Tu m’appartiens (You Belong to Me, Wesley Ruggles 1941), il met en scène Helen Hunt (Barbara Stanwyck), une doctoresse passionnée et dévouée. 
Cette dernière représente un nouveau genre de personnage féminin : la working girl. Plutôt rare à l’écran, la femme impliquée dans son travail apparait parfaitement sous les traits de Rosalind Russell dans le film d’Howard Hawks La Dame du Vendredi. Hildy est journaliste, l’une des meilleures. Pourtant lorsque le film débute, on apprend qu’elle est prête à tout arrêter pour entamer une vie de femme au foyer avec son futur époux Bruce (Ralph Bellamy). Lorsque son ex-mari-patron lui demande d’écrire un dernier article, elle ne résiste pas et se remet au travail. Tout au long du film, Hildy est déchirée entre sa passion pour l’écriture et son “envie” d’une vie plus rangée. Il est impossible pour elle d’avoir les deux et ce duel est personnifié par deux hommes : Bruce, le futur mari et Walter (Cary Grant), l’ex-mari. Le premier est doux, très amoureux et occupe un job dans les assurances. Le deuxième, patron d’un journal, est particulièrement manipulateur et prêt à tout pour faire revenir son employée favorite. Mener de front une vie amoureuse saine et une carrière professionnelle basée sur la passion n’est donc pas possible. Dans Tu m’appartiens, Barbara Stanwyck en fait également les frais : fière médecin, elle épouse un homme qui lui rendra la vie impossible par jalousie car elle “travaille trop”.

Tu m’appartiens, La Dame du Vendredi, La Dangereuse aventure : La working girl, un nouveau visage de la femme dans les screwball des années 1940
LA FEMME AU SERVICE DE L’HOMME

Helen Hunt (Tu m’appartiens) est une médecin appréciée de ses patients mais pourtant, le personnage de Stanwyck devra se battre à plusieurs reprises contre les aprioris des hommes à son sujet. Elle n’est pas prise au sérieux et beaucoup d’hommes considèrent qu’elle n’est pas assez qualifiée. Néanmoins, l’emploi qu’elle occupe semble particulièrement prestigieux lorsqu’on le compare à ses prédécesseuses. En effet, très souvent, lorsqu’une femme occupe un poste dans une screwball, celui-ci semble quelque peu superficiel : manucure, actrice, coiffeuse, photographe, secrétaire, etc… Cela est d’autant plus frappant lorsqu’on compare aux emplois attribués aux hommes. La plupart du temps, ils travaillent dans la finance ou dans une grosse entreprise. Ce sont des hommes occupés et jugés “importants” par la société. Dans d’autres cas, ils occupent un travail particulièrement physique qui permet de mettre en avance leur force : La Dangereuse aventure montre Fred MacMurray torse nu, poussant des gros engins et grimpant sur les parois d’un tunnel. Enfin, s’il arrive qu’au début du film l’homme ne soit qu’assistant, à la fin il devient le chef, comme dans Rendez-vous de Lubitsch. De ce principe découle quelque chose de très paradoxal dans la screwball ; si le genre est en partie défini par l’importance prise par les personnages féminins, ceux-ci restent presque toujours subordonnés à l’homme lorsqu’il s’agit du monde du travail et ce, malgré une capacité d’adaptation plus grande. Dans La Dame du Vendredi, Hildy travaille pour Walter qui fait tout son possible pour exploiter son talent de journaliste. Dans Indiscrétions, la photographe Liz répond aux ordres de Mike. Dans Vous ne l’emporterez pas avec vous (You can’t take it with you, Frank Capra, 1938), Alice (Jean Arthur) est la secrétaire de Tony (James Stewart), etc, .. Les exemples sont nombreux. Et à ceux-là viennent s’ajouter d’autres situations dans lesquelles la femme est assujettie à un homme qui travaille. Par exemple, dans Madame et ses flirts, Gerry Jeffers (Claudette Colbert) décide de partir à la recherche d’un homme riche à épouser pour aider son véritable amour, inventeur sans argent. Enfin, pour revenir à Helen Hunt (Tu m’appartiens), elle accepte de renoncer à son travail par amour pour son mari jaloux avant de devenir cheffe de service dans l’hôpital qu’il décide de racheter.

Rendez-vous et Indiscrétion : La femme travaille mais toujours sous les ordres d’un homme

Nous nous rendons ainsi compte que la screwball, bien qu’elle apporte aux femmes le droit d’occuper des emplois, ne leur offre pas encore toute la liberté qui va avec. Les choses changent quelque peu dans les années 1940 mais alors, le personnage féminin reste malgré tout sous les ordres d’un homme. La hiérarchie s’est légèrement déplacée mais la screwball ne semble pas prête à la remettre totalement en question. Le genre aura même tendance à mettre des bâtons dans les roues de tout personnage féminin un peu trop ambitieux.

Féminin / masculin : le grand chamboulement  

JEU D’OPPOSITION

Les screwballs sont une affaire de femmes et d’hommes. Toutes mettent en scène un couple qui va entrer en conflit émotionnellement. Qu’ils soient mariés dès le début ou à peine rencontrés, les couples qui se font et se défont au fil des récits s’affrontent, tant par leur caractère que par leur milieu social (question sur laquelle nous reviendrons dans notre quatrième article). Les screwball vont jouer sur les différences de caractères et les mettre en opposition. Dans La Folle Confession (True confession, Wesley Ruggles, 1937) l’héroïne est une menteuse compulsive et lui est un honnête homme qui ne supporte pas le mensonge. Dans L’Impossible Monsieur Bébé, c’est un intellectuel naïf et puceau qui fait face une jeune héritière énergique et fantasque. Dans La Dangereuse aventure, c’est un macho viril face à une femme artiste et indépendante. En jouant sur les personnalités, les scénarios jouent ainsi avec les clichés pour mieux faire rire. Cela crée une dynamique de couple savoureuse dans la plupart des screwballs. Dans les exemples choisis, une chose ressort pourtant : la femme est souvent celle dont il faut surveiller les désirs. En effet, même si Katherine Grant (jouée par Claudette Colbert) dans La Dangereuse aventure, est une femme qui tient tête et impose sa vision du monde, elle est remise à sa place par un homme aux qualités résolument viril : torse nu, la première fois qu’on le voit, Jim Ryan (Fred MacMurray) est musclé, bagarreur, et parle cash. C’est selon les masculinistes : un homme, un vrai. Elle va très vite fantasmer sur cet homme qui pourrait la défendre et lui apporter volupté sexuelle – elle rêve de lui habillé en Superman qui la sauve alors qu’elle tombe du ciel en nuisette. Dans ce jeu des oppositions, deux hommes s’affrontent aussi puisque le fiancé de Katherine est un intellectuel manipulateur à l’allure fine ; l’un est donc honnête et musclé, l’autre fourbe et mince. Au milieu de tout cela, la jeune femme penche évidemment vers celui qui la met en position de faiblesse à plusieurs moments du récit. Deux femmes se confrontent également dans le film : Katherine est brune, intelligente et surtout maîtresse de sa vie, tandis que Darlene – une danseuse séduite par Jim – est blonde et jalouse. 

Réalité versus fantasme dans La Dangereuse aventure

Pourtant, si ce sont les femmes qui doivent être, dans un premier temps, sous le contrôle d’un homme, cela ne veut pas dire que les personnages masculins n’évoluent pas – ou ne se révèlent pas différents – avant la fin des films. Toujours dans La Dangereuse aventure, Jim se trouve être un ingénieur qui sauve son entreprise et ses collègues. L’homme du début qui utilisait seulement sa force brute est en fait un homme ingénieux. De même dans Mon homme Godfrey, le héros vit dans un bidonville au début qu’il transforme en casino et restaurant grâce à son talent. Dans Tu m’appartiens, le riche millionnaire utilise son argent pour sauver un hôpital de la faillite.

DES HOMMES AU FOYER : LA FRONTIÈRE DU GENRE DEVIENT FLOUE

Si les femmes travaillent, il faut bien que quelqu’un s’occupe de la maison et les hommes peuvent donc régulièrement être vus la vaisselle à la main ou en train de préparer le repas. Ce changement de place est souvent mis en avant par un tablier, comme dans Mon homme Godfrey ou Jeux de mains. Dans ces deux films, une différence est d’ailleurs à prendre en compte : Theodore reste dans l’appartement de Regi car il ne veut pas travailler et attend donc que son soi-disant voyage dans une autre ville soit fini pour retrouver sa fortunée fiancée. Godfrey du film éponyme est quant à lui employé chez les Bullocks où il remplace la servante absente. Faire la cuisine ou la vaisselle ne rabaisse pas les hommes et ils restent  attractif auprès des héroïnes qui sont souvent incapable ou trop fatiguée pour le faire elle-même. Dans La Femme de l’année (Woman of the Year, George Stevens, 1942), la journaliste a succès tente, pour récupérer son mari, de lui préparer le petit déjeuner. Mais, du café qui déborde aux tartines qui tombent sur le sol jusqu’à la pâte à gaufre qui menace d’exploser, il est clair qu’elle n’est pas faite pour jouer les “femmes au foyer”.

Dans Jeux de mains et Mon homme Godfrey les hommes se chargent de tenir la maison

Les changements ne sont pas à noter seulement dans les activités dévolues aux femmes au foyer. En effet, l’homme peut se retrouver dans une position de faiblesse par rapport à la femme. Dans La Joyeuse Suicidée, alors que le journaliste Wally Cook (Fredric March) tente de sauver Hazel Flagg (Carol Lombard) de la noyade, il tombe avec elle ; sauf qu’il ne sait pas nager. C’est à Hazel de le sauver.
Dans Arsenic et vieilles dentelles (Arsenic and Old Lace, Frank Capra, 1945), screwball comedy qui exagère tous les traits et toutes les situations, Mortimer (Cary Grant) découvre que ses deux gentilles tantes tuent des hommes pour faire preuve de charité. Devant cette découverte quelque peu macabre, l’acteur n’hésite pas à partir dans les aiguës tant pour montrer son étonnement que sa peur. Les deux seuls personnages qui ont l’air sain d’esprit sont les deux tantes et la jeune épouse de Mortimer. Les autres – des hommes – sont ceux qui créent le plus de confusion et sont finalement les plus fous. 
Cary Grant est l’un des acteurs qui va le plus se travestir et changer tant son apparence que sa voix pour coller le plus à une situation ou à un personnage. Dans L’Impossible Monsieur Bébé, il interprète David, un paléontologue naïf qui se retrouve au prise avec Susan (Katharine Hepburn), une riche héritière extravagante qui va tomber sous son charme. Après que ses vêtements aient disparu, il se retrouve en robe de nuit rose chez Susan. Exaspéré par une vieille dame qui lui demande comment il se sent, il s’écrit “I am gay” en sautant bras tendus en l’air. Dans Mon épouse favorite, il n’hésite pas à essayer les vêtements de sa femme avant de les lui apporter. Il va encore plus loin dans le film Allez coucher ailleurs (I Was a Male War Bride, Howard Hawks, 1949) quand il se déguise en femme pour monter à bord du bateau qui rentre aux États-Unis avec son épouse, lieutenant dans l’armée américaine. L’homme emprunte donc l’apparence de la femme tant pour troubler que pour aborder l’homosexualité ; d’ailleurs dans Mon épouse favorite, ce même Cary Grant interprète un personnage qui fantasme sur l’homme qui a passé plusieurs années sur une île avec sa femme. Pour contourner la censure, ces moments sont évidemment assez rares et la plupart du temps dans l’idée de faire rire au dépend du personnage.Le travestissement est plus rare du côté des femmes et il est abordé de manière différente. Dans Uniformes et jupon court, Susan (Ginger Rogers) se déguise en enfant de douze ans pour ne pas payer un ticket plein tarif, n’ayant pas l’argent. C’est donc pour une raison économique que celle-ci le fait.

Dans Mon épouse favorite, Cary Grant se travestie et fantasme sur un homme. Le tout sous le nez de la censure.

Si certains personnages masculins sont soumis au désir des femmes – David dans L’Impossible Monsieur Bébé qui est entièrement à la disposition de Susan – il n’est pas rare de voir un homme embrasser de force une femme ou se montrer violent avec elle, soit pour lui faire comprendre qu’elle est folle de lui, soit pour se rassurer dans sa virilité. Dans La Dangereuse aventure, Jim se sent menacé quand Katherine photographie l’homme le plus fort des États-Unis. Alors qu’il est censé être son assistant, il blesse volontairement le modèle à plusieurs reprises. Tom (Joel McCrea) dans Madame et ses filtres ne supporte pas de voir d’autres hommes autour de son épouse, alors que celle-ci le fait pour avoir de l’argent et par la suite l’aider. Il n’hésite pas à utiliser la violence pour faire passer sa jalousie. Dans Train de luxe ou La Joyeuse suicidée, les personnages de Carol Lombard essayent de renvoyer la violence qu’elle subit, mais cela se solde par un échec. Les femmes peuvent ainsi se retourner contre un homme ou une autre femme, mais cela est souvent en réponse à une atteinte physique ou morale.

LE MARIAGE : LE FONDEMENT DU COUPLE

Une screwball se termine souvent par un mariage ou la réconciliation d’un couple marié. Le mariage est essentiel tant dans la société américaine que dans les scénarios des films de cette époque. Le code Hays, dont nous vous avions parlé dans le premier article, a été créé à l’initiative, entre autres, de groupes chrétiens pour lesquels le mariage est essentiel pour fonder un foyer et pour avoir des rapports sexuels. Mon homme Godfrey montre bien ce que représente cette union : il s’agit d’une institution qui n’est pas vitale pour s’aimer. Godfrey, quand Irène (Carol Lombard) lui déclare sa flamme et souhaite se marier, lui propose d’en rester là pour ne pas ternir leurs sentiments. À la fin, la jeune femme fait pourtant irruption chez lui pour s’installer. Ils se marient sans qu’il ait son mot à dire. Cette chute rapide et bâclée, par rapport au reste du film, laisse penser que les mariages étaient des solutions imposées aux scénaristes pour créer des happy end normées. Parfois c’est aussi la femme qui est à l’initiative du mariage et l’homme, le couteau sous la gorge, doit céder. Dans Arsenic et vieilles dentelles, Mortimer se cache pour ne pas être reconnu. En effet, il a écrit plusieurs ouvrages sur le mariage pour critiquer cette tradition qu’il juge “ridicule”, mais cède devant le regard suppliant d’Harper (Priscilla Lane). Pourtant le mariage signifie pour les femmes de s’oublier, puisqu’il leurs revient toutes les tâches du foyer et d’être entièrement dévouées à leur famille comme le dit le Dr Helen Hunt dans Tu m’appartiens : “le mariage est pour celles qui peuvent créer un foyer pour leur homme et se dévouer à eux”.

Dans Mon homme Godfrey, tout le monde est au courant du mariage, sauf lui.

Dans la screwball, le mariage est aussi un moyen d’être oisif pour l’homme autant que pour la femme ou, encore de rétablir une situation qui était malsaine du point de vue de la morale et de l’éthique. Dans Uniformes et jupon court, Susan se fait passer pour une enfant et tombe amoureuse du commandant Kirby qui a des sentiments ambiguës à son égard. Ainsi quand il découvre à la fin qu’elle est en effet une femme en âge de se marier, il la prend comme épouse.
Si le titre Tu m’appartiens de Wesley Ruggles (You belong to me en anglais) évoque la possession c’est parce qu’il met en scène un mari jaloux de sa femme qui travaille. Où plus précisément jaloux des patients masculins que sa chère et tendre ausculte à longueur de journée, puisqu’elle est médecin, alors que lui doit l’attendre avec sa conscience qui le taraude. La mise en scène accentue le côté désœuvré du mari, normalement dévolue à la femme au foyer qui reste chez elle pendant que son mari part travailler : le matin il l’embrasse en pyjama, la salue de la fenêtre tandis qu’elle monte dans la voiture, l’attend le soir, fait des scènes de jalousie… L’homme est rabaissé et réduit à un état émotionnel proche de l’hystérie. 

Comme nous l’avons vu précédemment, le travail dans la screwball est un moyen d’émancipation de la femme. Sorti en 1941, Tu m’appartiens ajoute une critique de l’homme sans occupation qui n’utilise pas son argent et son temps pour de bonnes fins. Si Peter Kirk n’avait pas été influencé par le travail et la passion de sa femme, il n’aurait jamais découvert le goût de l’effort. Il n’aurait pas non plus sauvé de la faillite un hôpital avec son argent. Le mariage devient alors un moyen de rétablir les choses et de montrer le chemin qu’il faut emprunter. Néanmoins, la place de la femme est aussi rappelée. Tandis qu’il fait sa demande au Dr Helen Hunt (Barbara Stanwyck), il lui dit “tu prendras soin de moi” en lien avec son travail de médecin qu’elle place au-dessus de tout. Et à la fin, elle accepte de quitter emploi et passion pour devenir une femme au foyer dévouée et aimante. 
La Femme de l’année, même si ce n’est pas vraiment une pure screwball (il s’en rapproche avec une femme forte, quelques quipropos, un homme et une femme que tout oppose), est l’un des meilleurs exemples concernant l’importance du mariage. En effet, à la manière de Tu m’appartiens, Katharine Hepburn est une journaliste parlant plusieurs langues, hyperactive qui même mariée délaisse son foyer et l’enfant qu’elle a adopté. Mais une fois que son mari la quitte (Spencer Tracy), elle réalise que l’amour et le mariage sont les fondements de la vie d’un couple, voire de la vie tout court. De plus, sa tante, qui a remporté de nombreux prix et n’a jamais été mariée, épouse l’homme qu’elle aime secrètement depuis des années. Cette dernière lui dit alors que les trophées sont froids et qu’il vaut mieux être pour une fois “le trophée”. Cette métaphore, si elle est rabaissante pour les femmes, signifie bien qu’une vie de femme non mariée est une vie bien triste.

L’amour vaut bien tous les sacrifices. Comme dans Mon épouse favorite où Cary Grant se déguise en Père Noël pour prouver à sa femme qu’il l’aime et ne veut pas attendre Noël pour la retrouver.

Les screwball ont offert un nouveau visage aux personnages féminins. Les récits se sont centrés sur des femmes fortes, capables de tenir tête à des hommes et de subvenir à leurs propres besoins. Parfois même, certains réalisateurs ont pris le risque de frôler la censure en renversant les codes et les genres.
Néanmoins, les croyances et principes de la société états-unienne des années 1930 et 1940 ont imposé des limites à l’évolution de ces femmes, toujours soumises à de nombreux préjugés et, au bon vouloir des hommes qui les accompagnent.


Nous reviendrons le mois prochain avec l’un des thèmes centraux de la screwball : la place de l’intimité.

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Marine Moutot & Camille Dubois

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La screwball comedy dans tous ses états
1/ Introduction générale
2/ Les rapports femmes/hommes
3/ La place de l’intimité
4/ Critiques de la société
5/ Les stars de la screwball : acteurs, actrices, réalisateurs
6/ Conclusion – 10 films qu’on conseille

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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