[BERLINALE 2021] Bilan – Jour 4

Temps de lecture : 6 minutes

Du 1 au 5 mars 2021 en ligne réservé aux professionnels du cinéma et de la presse
Du 9 au 20 juin à Berlin pour le public

Créée en 1951, la Berlinale est, avec le Festival de Cannes et la Mostra de Venise, l’un des festivals internationaux les plus importants du cinéma. Chaque année, il se tient dans le froid de février et dans la ville de Berlin. Plusieurs sélections viennent compléter la Compétition. Ces programmes parallèles, dont chacun a ses particularités, montrent des longs-métrages et courts-métrages innovants et particuliers. Cette année, pour la première fois, le festival se déroulera en deux parties : pendant cinq jours se tiendra l’Industry Event en ligne du 1 au 5 mars 2021, réservé aux professionnels du cinéma et de la presse, et l’édition pour le grand public devrait avoir lieu du 9 au 20 juin à Berlin. 

Avec plus de vingt films disponibles par jour, il est malheureusement utopique de tout voir. Le choix a été drastique et dur, mais nous avons essayé de découvrir un éventail de films le plus diversifié possible. Impossible de prendre le pouls d’un festival comme la Berlinale en seulement cinq jours — même à plein temps — espérons qu’en 2022 nous pourrons profiter d’une édition dans la ville. Pendant cette semaine un peu spéciale, nous vous proposons un bilan complet des films découverts pendant ces cinq jours. Retrouvez-nous tous les matins du mardi 2 au samedi 6 mars.

COMPETITION

Cette sélection est la vitrine du festival. Avec les meilleurs films sélectionnés, la Compétition est un bel état du monde du cinéma. L’ours d’or et d’argent sont remis pour récompenser les meilleurs des meilleurs.

Ghasideyeh gave sefid (Ballad of a White Cow) – Behtash Sanaeeha, Maryam Moghaddam, 2020

Il y a un an, le mari de Mina a été exécuté. Un jour, elle apprend qu’il était innocent. La justice s’excuse et lui offre une compensation financière.

BalladofaWhiteCow

En mettant en exergue une citation de la sourate Al Baqarah au début de leur film, les deux cinéastes iraniens Behtash Sanaeeha et Maryam Moghaddam placent leur récit sous la religion et ses préceptes. En effet, dans cette sourate de nombreuses indications sont données aux musulman.ne.s pour leur vie. Ainsi quand Mina apprend que son mari a été tué à cause d’une erreur judiciaire, tout le monde lui dit que Dieu le voulait, qu’elle doit l’accepter. Quand elle fait entrer un homme chez elle, elle est expulsée. Parce que Dieu le veut. Quand on lui conseille de se remarier, comme elle est encore jeune, c’est parce que Dieu le veut. Tout, dans les gestes et les dires des personnes autour de Mina, est fait sous l’impulsion de la religion. Il est normal que le beau-frère de Mina veuille l’épouser. Mais il n’est pas normal pour une femme d’être seule. On l’expulse ? Plutôt que d’aller se réfugier chez le frère de son défunt mari, qui n’attend que cela, elle préfère chercher par elle-même quitte à se prendre des portes : « nous ne pouvons pas louer aux veuves, aux chiens et aux chats. » Parce qu’ils sont impurs ? Pourtant, l’héroïne — incarnée par la réalisatrice Maryam Moghaddam — refuse de se laisser faire. Elle veut obtenir réparation pour la mort de son mari et elle veut que les juges soient condamnés. Peu importe qu’on lui donne de l’argent : que vaut la vie d’un homme ? N’est-ce pas sacré ?

Quand Reza frappe à sa porte en se présentant comme un ancien ami de son mari, elle voit en lui un ange gardien. Il ne lui demande rien, il l’aide.Il ne la rabaisse pas, mais la respecte. Bien évidemment, il veut racheter une faute – c’est lui qui a fait condamner le mari à la peine de mort – mais c’est le seul qui la considère comme indépendante. Rongé par la culpabilité, il prend conscience de ses actes. À travers ces deux protagonistes, c’est un système judiciaire entier qui est remis en cause. Pourquoi tuer ? Cela est irrémédiable. Est-on vraiment un droit humain que d’ôter la vie comme le prétend le supérieur de Reza ? À force de placer toutes les actions dans les mains de Dieu, les femmes et les hommes oublient de prendre leur responsabilité. Et quand ce n’est pas Dieu, il y a toujours un être au-dessus pour se cacher derrière. Comme cette voisine qui expulse Mina en prétendant que c’est à cause de son mari paranoïaque. La seule qui assume ses actes est Mina. Jamais elle ne flanche, jamais elle ne lâche. Elle est la femme sacrifiée sur l’autel de la religion, comme cette vache qu’Allah demande de sacrifier — selon les dires de Moïse — dans la sourate Al Baqarah. Tout au long du film, le lait est très présent : dans l’usine où Mina travaille, pendant le dernier repas. Le lait ne peut pas être là si les musulman.e.s tuent la vache. Ce lait qui nous fait vivre, comme les femmes qui lient les sociétés. Ces femmes courbant sans cesse l’échine sous le poids du patriarcat, qui se cache derrière la religion. 

Ballad of a White Cow est un film très simple. Il n’est jamais frontal ni brutal dans la dénonciation. La mise en scène est dans les détails du quotidien, dans les joies et les peines de la vie.

BERLINALE SPECIAL

Plus populaire, cette sélection est multiple. Elle met en avant des artistes, des sujets d’actualités, des débats. Plus glamour, cette programmation est également l’occasion de faire briller le tapis rouge.

Je suis Karl – Christian Schwochow, 2020

Maxi vient de rentrer à Berlin. Elle reste à peine quelques instants dans l’appartement familial et part chez une amie. Son père réceptionne un colis pour une voisine et va chercher quelque chose dans la voiture. Ce sont les deux seuls survivants de leur famille tuée dans un attentat à la bombe.

JeSuisKarl

Dans l’ouverture, un couple aide un jeune migrant à traverser la frontière allemande. En caméra embarquée, ils filment joyeusement leur aventure et sont fiers de leur action. Le jeune Yusuf pleure dès son arrivée sur le sol allemand, signe de la fin d’une longue route. Puis nous suivons Maxi, leur fille, qui revient d’un séjour en France. Nous rencontrons brièvement sa famille et les voici morts. La catastrophe est violente, horrible, fatale. Les journaux titrent des mots-chocs : « terreur islamique », « islamiste » ? L’imagination n’a pas besoin de plus pour faire le lien. Mais le film désamorce tout de suite cette piste et barre la route aux idées reçues. Dans un flashback, nous voyons l’organisation de l’attentat. Un homme caucasien se fait pousser la barbe et la teint en noire. Il ajoute également des lentilles pour cacher ses yeux bleus. Le Karl du titre est cet homme. Après l’attentat, il se rapproche de Maxi dans le but de l’utiliser, de la ranger à sa cause. Maxi, dont le père perd pied, a besoin de réponses et de se sentir en sécurité. Karl est cette présence rassurante. Mais peu importe que le message soit enveloppé dans du velours, le propos reste éternellement le même : le racisme. Mettre dehors tous.tes ceux et celles qui n’ont pas la peau blanche et un nom occidental. Fermer les frontières pour ne pas avoir à partager. Accuser les autres des crimes que nous faisons. 

Percutant et bien ficelé, Je suis Karl parle de cette jeunesse qui veut reprendre le pouvoir aux mains des profiteurs — entendre par là, les émigrés. Charismatiques, bourrés de talent, ces jeunes n’hésitent pas à organiser des summer camp, commettre des attentats, fomenter leur propre assassinat. Ils se servent d’idées reçues pour propager des messages de haines — comme le récit d’un viol perpétré par des étrangers — et pour enrôler les plus faibles. Ils servent de la vie de Maxi pour valoriser la peine de mort et la fermeture des frontières. Le personnage d’Odile Duval, Française en campagne pour les présidentielles, fait illusion à Marine Le Pen ou Marion Maréchal Le Pen qui sous couvert de féminité place le fascisme haut. Le père de Maxi, qui réagit trop tard, ne peut que rester incrédule face au discours que sa fille prononce. Lui-même a un instant pensé que cela pouvait être Yusuf, le jeune homme qu’il avait aidé. Le cinéaste allemand questionne aussi notre rapport à l’affect et comment nous pouvons facilement, malgré nos convictions, avoir un lavage de cerveau grâce aux médias et à des préjugés ancrés dans nos sociétés. 

Les protagonistes de ces jeunesses d’extrême droite n’arrêtent pas de dire que l’État ne les protège pas, que la police ne fait rien pour les aider. Il appelle à un gouvernement plus fort, plus dur, plus injuste. Je suis d’accord avec eux sur un point : nous ne sommes pas protégé.e.s par l’État. Nous ne sommes pas protégé.e.s du racisme et du fascisme qui est sur le pas de nos portes et qui attend son heure. Aujourd’hui, en cette période de pandémie mondiale, le gouvernement fait le choix de fermer la culture, lieu où la diversité peut s’exprimer. Est-ce que cette réalité dystopique proposée par Christian Schwochow n’est déjà pas là ? Il n’y a qu’un coupable et c’est la haine.

GENERATION

À travers des histoires de passage à l’âge adulte, cette sélection compétitive est aussi faite pour toucher les plus jeunes. Avec des films à la pointe de la technologie, elle propose des œuvres qui brisent les conventions tout en prenant les jeunes au sérieux.

Ensilumi (Any Day Now) – Hamy Ramezan, 2020

Ramin est avec ses parents et sa petite sœur dans un centre pour réfugiés en Finlande. Ils attendent de savoir si leur demande va être acceptée ou rejetée.

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Le cinéaste iranien Hamy Ramezan filme la simplicité de la vie en tant que réfugié. Il montre les petits bonheurs, les douceurs du quotidien. Malgré la promiscuité — ils vivent à quatre dans une petite chambre — c’est la joie d’être réveillé tous les matins par une mère attentionnée, les balades entre amis, l’apprentissage d’un nouveau mode de vie. En s’inspirant de sa propre expérience — il est arrivé en Finlande avec sa famille dans les années 1990 —, le réalisateur livre un film nostalgique et doux. Sans critiquer le système, il filme une famille aimante. Il met en scène également la nature comme un ailleurs, comme un coin de paradis. Cette forêt luxuriante et verte, les étendues d’eau paisibles et propices à l’aventure. C’est les premiers amours, les fêtes entre amis. Mais malgré la joie, l’inquiétude pèse par moment. Une lettre glissée au coin d’une table, des adultes qui interrompent une classe pour aller chercher un enfant. Pourtant le cinéaste réalise un long-métrage sur ce qui compte — la famille — plutôt que sur les difficultés à surmonter. Cette situation, précaire et temporaire, est une étape importante qui va souder ces quatre personnages entre eux.

Sobrement, dans un film touchant, Hamy Ramezan parvient à montrer la fragilité de l’instant.

Marine Moutot

Ghasideyeh gave sefid (Ballad of a White Cow)
Réalisé par Behtash Sanaeeha, Maryam Moghaddam
Avec Maryam Moghaddam, Alireza Sanifar, Pourya Rahimisam
Drame, Iran, France, 1h45
Prochainement

Je suis Karl
Réalisé par Christian Schwochow
Avec Luna Wedler, Jannis Niewöhner, Milan Peschel
Drame, Allemagne, République Tchèque, 2h05
Prochainement

Ensilumi (Any Day Now)
Réalisé par Hamy Ramezan
Avec Aran-Sina Keshvari, Shahab Hosseini, Shabnam Ghorbani, Kimiya Eskandari
Drame, Finlande, 1h22

Publié par Phantasmagory

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