[CRITIQUE] Sky Dome 2123

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Budapest 2123, la terre est stérile et la planète dévastée, il n’y a plus de végétaux ni d’animaux. Pour se nourrir, les humains font don de leur corps à 50 ans pour qu’une graine pousse à l’intérieur d’eux et ainsi créer un arbre comestible.

Sélectionné en compétition Contrechamps au Festival d’Annecy en 2023 et dans la section Encounters à la Berlinale, ce film slovaque et hongrois est une petite pépite de récit à la fois dystopique et utopiste. À travers la catastrophe qui frappe la terre, une nouvelle forme de vie émerge. Une nouvelle forme d’humanité. Alors que la planète est ravagée, les humains perdent le peu de contact avec la nature qui leur restait. À force de vivre dans une ville sans arbre ni animaux, peut-être ont-ils perdu leur humanité ? Sky Dome 2123 (White Plastic Sky lors de sa présentation à Annecy) pose ainsi la question de la vie à quel prix. 

Nous suivons dans ce monde sans vie, Nora et Stefan qui ont perdu leur fils. À 32 ans, Nora se sent comme une coquille vide. Le temps et son entourage n’arrivent pas à réparer sa perte. Son mari, psychologue, ne voit pas sa détresse et est passé à autre chose. Elle décide de donner son corps et se fait planter une graine. Aveugle, Stefan ne réalise que quand il est trop tard. Nora quitte le dôme en plastique de Budapest pour rejoindre une forêt artificielle où elle dormira pour toujours sous la forme d’un arbre. Stefan, qui semblait insensible, se met alors à tout faire pour sauver son épouse. À travers le récit intime d’un couple qui cherche à se reconstruire, le scénario nous permet de voir la structure de l’ensemble de cette société et de comprendre l’absurdité d’une sauvegarde de l’humanité à n’importe quel prix. 

Le futur Budapest dépeint par le film paraît vide de sens où les publicités incitent les gens à avoir des enfants jeunes pour pouvoir profiter de leurs petits enfants, comme s’il fallait une raison à la vie. La continuation de l’espèce, encore et toujours. L’environnement n’est plus que béton, images numériques qui imitent des arbres, nourriture artificielle… Le monde proposé est déprimant tant le contact avec l’autre semble inexistant. Quand Stefan arrive dans les serres où poussent les arbres humanoïdes, il ne découvre qu’un champ intensif et des scientifiques en blouse blanche. Ce ne sont plus des êtres humains, mais de la nourriture, des objets. Impossible de ne pas penser à nos champs monocultures qui font pousser à perte de vue, la même céréale. De plus, comme par ironie, trois ans après avoir été plantés, les arbres produisent des fleurs empoisonnées. Il faut les brûler, car une fois dans l’atmosphère les fleurs asphyxient l’air tuant femmes et hommes. De son côté, Nora se connecte de plus en plus avec la douleur et le vécu des arbres. Cette nouvelle forme d’humanité est belle, mais la souffrance qu’infligent les humains montre l’incapacité — même après une catastrophe — de notre espèce à comprendre la différence et à accepter l’inconnu. 

Pour rendre encore plus prégnant ce récit, l’animation de ce premier long-métrage est extrêmement réaliste. Les personnages, dont les ombres et émotions parcourent à tout instant le corps et le visage, sont émergés dans une ambiance post-apocalyptique avec des paysages désertiques. Les deux cinéastes hongrois, Tibor Bánóczki et Sarolta Szabó, qui se font également appeler les Domestic Infelicity, travaillent depuis de nombreuses années ensemble avec un mélange de prises de vue réelles et d’animation autour de thématiques assez catastrophiques. Ils ont mis sept ans à faire ce film troublant. La technologie utilisée pour rendre vivant les personnages fait penser au film d’animation de Richard Linklater, A Scanner Darkly, où des acteurs et actrices donnent corps au dessin. Tamás Keresztes et Zsófia Szamosi prêtent ainsi leur corps et leurs voix à Stefan et Nora. L’utilisation de la rotoscopie (technique qui consiste à relever image par image les contours d’une figure filmée en prise de vues réelle) est plus que pertinente, car le scénario s’interroge sur notre rapport au corps et à nos sensations. 

Sky Dome 2123 propose une autre vision du monde presque salvatrice. Suspendus, le temps que la graine possède entièrement le corps de Nora, les deux personnages apprennent à se reconnecter entre eux, perdus dans le désert et seuls au monde. Si le film proposait une vision sombre de l’humanité, il évolue vers une autre forme, magnifique.

Marine Moutot

Sky Dome 2123
Réalisé par Tibor Banoczki et Sarolta Szabo
Avec Tamás Keresztes et Zsófia Szamosi
Science-fiction, Hongrie, Slovaquie, 1h52
24/04/2024
KMBO

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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