Ou la femme moderne
Dès le début du film, le personnage, joué par Elle Fanning, est une rebelle. Dans son attitude rien de naïf, dans sa manière rien de las. Elle observe et saisit tout. Bercée par le passé de sa mère, morte 10 jours après sa naissance et de son histoire d’amour avec son père, elle vit dans un foyer strict où elle s’échappe par les livres. Son obsession : écrire. Par de brefs passages, nous comprenons que sa passion est de raconter des histoires qui font peur et glace le sang. En perpétuelle guerre avec sa belle-mère, son père, l’anarchiste William Godwin, l’envoie en Écosse pour quelque temps. Ainsi, commence le film d’Haifaa Al Mansour sur l’auteure Mary Shelley, mère de l’emblématique ouvrage Frankenstein ou le Prométhée moderne.
Le premier plan s’ouvre sur une tombe : celle de sa mère Mary Wollstonecraft, écrivaine et célèbre défenseuse des droits de la femme, connue pour ses frasques amoureuses. La jeune fille y vient pour se recueillir et chercher la paix qu’elle n’a pas dans la librairie de son père. Alors que l’orage gronde au loin, une musique suave, où des voix susurrent, s’élève et l’ambiance est lancée. La metteuse en scène arrive à capter l’atmosphère du livre le plus connu de Mary Shelley. Non pas l’horreur, mais le mysticisme doux et douloureux. Al Mansour s’échine tout le long de son long-métrage à rapprocher Mary Shelley du monstre et du sentiment d’abandon que décrit et ressent la créature. Sans s’attarder sur l’écriture de l’ouvrage même, la réalisatrice et la scénariste Emma Jensen magnifient les moments qui ont construit le caractère de Mary, qui l’ont fait en tant que femme affranchie et indépendante. Sa seule faute, qu’elle ne voit, par ailleurs de cette manière, serait son amour pour Percy Shelley, un homme qui croit et expérimente l’amour libre. Elle-même en est adepte, mais elle n’arrive pas à le mettre en pratique, car elle n’est amoureuse que de Percy, un attachement monstrueux, dur qui lui inspira le personnage de Victor Frankenstein — en tout cas, le film le laisse supposer.
Finalement, le défaut du film d’Haifaa Al Mansour est de trop croire en son sujet principal. La réalisatrice pour son deuxième film choisit encore un personnage fort, à la manière de Wadjda, cette jeune fille qui vivait dans un monde d’homme dans les rues de Riyad, la capitale d’Arabie Saoudite en rêvant d’un vélo. Ici, Mary Shelley rêve de devenir une écrivaine, milieu d’hommes et de poètes qui ne voient que les femmes comme des muses, bonnes à inspirer l’amour. Et comme le dit Lord Byron : « assez intelligente pour comprendre mes idées, mais pas pour en avoir elle-même. » Des objets, bonnes à contenter les besoins des hommes. Mais Mary ne pourrait pas être ainsi, son ouvrage Frankenstein le prouve et c’est ce que Haifaa Al Mansour essaye de faire dans ce biopic trop linéaire et classique. Le génie de Mary Shelley aurait mérité des envolées plus importantes que des vues du ciel ou des beaux paysages. Le film aurait pu provoquer et choquer, comme fut le scandale de la vie de Mary, aimant et fuyant avec un homme marié. Sa vie passionnante aurait pu mériter des effluves plus grands, des moments lyriques plus intenses. Mais la réalisatrice n’a pas voulu quitter le visage de la belle Elle Fanning qui arrive à représenter l’innocence de l’âge et la sagacité de l’esprit de Mary Shelley. Elle a souhaité que son film soit le plus précis à cette femme si extraordinaire. Elle s’est peut-être laissée aller à trop aimer son personnage pour vouloir montrer les douleurs de la vie, et la placer dans un décor plus hostile, plus dangereux que les mansardes ou manoirs où elle a vécu.
Mais, la principale qualité de Mary Shelley est de parler d’une femme forte qui a réellement su s’émanciper de son temps tant en y voyant clair sur sa situation que sur celle de la femme et de sa place dans la société. Elle n’était pas naïve, même quand elle tomba à amoureuse de Percy Shelley. Elle a su écouter à la fois son désir et son droit. Elle fut désillusionnée par la vie, par l’homme qu’elle aimait, mais jamais tant par naïveté que par idéal. C’est cela que le film réussît le mieux. Il rend hommage à une femme qui a révolutionné son temps par la force de son esprit en écrivant un livre qui a marqué des générations de lecteurs. Le film rappelle qui est derrière cette œuvre, car le nom de Mary Shelley ne résonne pas quand nous pensons à Frankenstein. La musique, bien que trop présente, parvient à rendre tangible l’ambiance du livre et le transpose dans la vie de son auteure. Elle Fanning, avec sa moue boudeuse, réussit à recréer Mary Shelley. Haiaa Al Mansour fait le choix d’une réalisation sobre, voire gauche, pour s’effacer derrière son personnage.
Mary Shelley raconte la tragédie d’une vie : celle d’une femme qui a toujours su assumer ses choix et il fait bon de voir des films qui nous le rappelle.
Marine Moutot
Découvrez la très belle bande son de la compositrice Amelia Warner
Réalisé par Haifaa Al Mansour
Avec Elle Fanning, Douglas Booth, Tom Sturridge
Biopic, Drame, Angleterre, 2h00
8 août 2018
Un avis sur « [CRITIQUE] Mary Shelley »