[CRITIQUE] Jojo Rabbit

Jojo est un garçon de 10 ans qui participe activement aux jeunesses hitlériennes. Victime d’un grave accident, il se retrouve coincé chez lui et découvre que sa mère cache une jeune Juive. C’est pour lui le début d’un questionnement existentiel, mais il est bien conseillé par son ami imaginaire : Adolf Hitler en personne. 

/!\ Cet article peut contenir quelques spoilers. /!\

« Les enfants ne naissent pas avec la haine en eux, ils y sont formés. »*

Le cinéaste néo-zélandais Taika Waititi ouvre son film par le regard plein d’entrain et d’innocence de Jojo qui se parle dans un miroir. C’est un grand jour pour lui : il va passer le week-end à s’entraîner et enfin appartenir à un groupe, faire parti d’un clan. Pour le moment, il faut dire que ses amis sont assez limités : Adolf Hitler, ami imaginaire qui le soutient dans les moments difficiles et Yorki, jeune garçon fort sympathique. Si Jojo veut  s’intégrer, c’est parce qu’il est timide et un peu froussard. Mais derrière ses grands yeux bleus et sa bouille se cache un nazi convaincu qui est prêt à tout sacrifier pour son pays et pour la cause.

Taika Waititi, réalisateur entre autres de Vampires en toute intimité (What we do in the shadows, 2014) et Thor : Ragnarok (2017), possède un univers décalé et complètement fou. Alors quand il choisit d’adapter l’ouvrage de Christine Leunens Le ciel en cage, cela promet forcément des étincelles. Dans le roman, Jojo a 17 ans, mais Waititi décide que son héros doit être un enfant pour montrer que derrière ses croyances, il y a encore de l’innocence. Que derrière ses convictions, il y a des adultes et le désir d’appartenance. Et quand bien même le réalisateur est proche de la satire et de la parodie, son film est d’une grande finesse dans son propos.
Choisir de montrer Hitler en ami imaginaire est, de plus, un pari risqué et surtout hasardeux. Nous nous doutons bien que beaucoup d’autres cinéastes auraient pu essayer de montrer ce personnage seulement par pure provocation en oubliant le message qui se cache derrière. La Seconde Guerre mondiale ainsi que le nazisme et ses horreurs ont beaucoup été montrés, mais jamais comme dans Jojo Rabbit qui dénonce l’absurdité et la vacuité de l’idéologie nazie. Toutes les scènes entre Jojo — magistralement interprété par Roman Griffin Davis — et Hitler — joué par Taika Waititi, qui emprunte par moments à Charlot et son Dictateur (1940) — sont brillantes, car elles déclenchent le rire, mais pas uniquement. Leurs rapports évoluent au fur et à mesure que Jojo grandit et apprend. Cette figure historique d’Adolf Hitler est un personnage dur à incarner car il est la cause de milliers de morts, d’une guerre horrible et d’une idéologie haineuse. Mais c’est là que le film montre toute son intelligence : il donne la parole à chacun et respecte leur point de vue — sans pour autant ne pas se moquer des comportements ridicules. Le personnage de Rosie, la maman de Jojo — excellente Scarlett Johansson — est très juste dans ses batailles intimes : elle aime son fils, malgré son fanatisme, et elle fait partie de la résistance pour la libération de son pays. Elle essaye de mettre son fils face à ses choix et à questionner ses convictions, tout en lui rappelant qu’il n’est qu’un enfant de 10 ans. De plus, c’est elle qui accueille et cache la jeune Elsa — Thomasin McKenzie, déjà vu dans le très beau Leave No Trace. Taika Waititi l’entoure d’un casting et d’antagonistes passionnants, tous écrits avec habilité : Sam Rockwell en capitaine K, homosexuel qui a perdu l’usage d’un œil et se retrouve à s’occuper des jeunesses hitlériennes, Rebel Wilson en Fraulein Rahm qui apprend à brûler des livres aux enfants et aux jeunes filles à avoir des bébés, Stephen Merchant, officier de la Gestapo qui ressemble par ailleurs à un rabbin…  

Mais si Jojo Rabbit fonctionne, c’est surtout grâce au point de vue qu’adopte le récit. C’est le regard de l’innocence. Le jeune Jojo est un petit garçon insupportable par ses principes et la manière dont il cause à sa mère (ça mériterait des claques) mais aussi extrêmement touchant dans son apprentissage de la vie. Jojo est un enfant dont le désir d’appartenir à un groupe le rend plus sensible à l’endoctrinement des adultes et des plus grands. Et c’est pour cela que nous devons être des modèles pour eux à la manière de Rosie dont la force, l’humour décalé et l’amour se transmettent malgré l’intolérance et la haine.

C’est un long-métrage plein de magie et de joie qui traite d’un sujet sérieux et grave. Mais c’est surtout une magnifique leçon de vie qui possède une excellente bande-son. Preuve que le talent de Taika Waititi n’est pas seulement dans sa mise en scène, explosive, ni dans son récit, bourré d’intelligence et de drôlerie, mais également dans les moments musicaux : The Beatles, David Bowie, Beck, The Traffic, The Box Tops sont convoqués pour parler tolérance et respect de l’autre.

Marine Moutot

* Note d’intention du cinéaste


Jojo Rabbit
Réalisé par Taika Waititi
Avec Roman Griffin Davis, Thomasin McKenzie, Scarlett Johansson
Comédie dramatique, États-Unis, 1h48
29 janvier 2020
Twentieth Century Fox France

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

4 commentaires sur « [CRITIQUE] Jojo Rabbit »

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