[CRITIQUE] Mon légionnaire

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Nika rejoint Vlad, légionnaire, en Corse. Ils ne sont pas encore marié.e.s, mais quand il reviendra du Mali, dans 4 mois, cela sera possible. En attendant, Nika apprend à vivre et à côtoyer les épouses de soldats. Très vite, elle fait la connaissance de Céline, avocate, dont le mari est lieutenant et vient de rejoindre la Légion.

La Légion étrangère est un corps militaire uniquement constitué d’hommes, de plus de 152 nationalités. La réalisatrice strasbourgeoise, Rachel Lang (II), qui a servi pendant deux ans en tant que réserviste pour l’Armée française, réalise un deuxième long-métrage — après l’excellent Baden Baden (2016) — sur le couple et la difficulté de maintenir l’amour et le désir avec la distance. 

La cinéaste décide d’inscrire son récit dans la légion, car il s’agit d’un cas extrême : il n’y a pas de femmes. Les groupes sont donc clairement séparés : les hommes sur le champ de bataille et les femmes à la maison. Les hommes se battent tandis que les femmes attendent. Cette division binaire de la société met en exergue la vision patriarcale passée qui reste dans la Légion, mais la presque impossibilité de s’y conformer aujourd’hui. Le personnage de Céline, incarnée par Camille Cottin, avocate et mère d’un petit garçon, suit son mari, Maxime (excellent Louis Garrel) en Corse. Son époux vient tout juste d’intégrer la Légion et c’est donc une première pour Céline qui découvre ce monde cloisonné. Les règles auxquelles elle doit se plier lui semblent anachroniques alors qu’elle doit gérer sa vie et sa carrière. Elle ne représente pas le modèle féminin attendu par la Légion. Le lieutenant mentionne d’ailleurs à Maxime que sa femme ne participe pas au Club des épouses et qu’il faut qu’elle revoie ses priorités. Menace à peine voilée d’une injonction d’un autre temps. Le Club propose une suite d’activités — cours d’œnologie et compagnie — faite pour occuper les femmes en l’absence de leurs maris, sans pour autant créer de lien fort entre les différentes épouses. Au contraire, il y a celles qui s’y plient avec plaisir et les autres. Vues comme des parias, ces femmes ne peuvent compter que sur elles-mêmes.
Il y a aussi la question des enfants. Ce sont les femmes qui les élèvent la plupart du temps seules. Céline refuse d’en avoir un deuxième quand Maxime le lui demande. Cette absence permanente — même quand ils sont là, les soldats sont ailleurs — est pesante et dure à supporter. Mais si le couple de Maxime et Céline est solide et peut se sortir de ce changement, Nika et Vlad sont eux, trop jeunes. À peine quelques jours après son arrivée dans un pays qu’elle ne connaît pas, Nika (interprétée par Ina Marija Bartaité, tragiquement décédée il y a quelques mois) se retrouve seule. Amoureuse et pleine de bons sentiments, elle n’a pas encore conscience de la charge mentale qui l’attend. Elle se fait tatouer « Mon légionnaire » en bas du dos, elle a Vlad dans la peau. Mais plutôt que de se restreindre aux groupes du Club des épouses, elle rencontre des hommes et des femmes qui deviennent ses ami.e.s. Elle aussi aura un blâme pour ne pas rester tranquillement à la maison. Elle doit être la base arrière de son mari, le roc qui l’attend patiemment. Mais elle refuse de se conformer à l’ignominie de la situation et décide de prendre son désir en main. Elle s’émancipe d’une situation absurde. 

Les légionnaires, en opposition, sont soudés dans les instants de violence et de partage. Contrairement aux femmes, les moments sont nombreux pour se réunir. Déjà pendant leur mission de plusieurs mois où ils sont en permanence ensemble, puis en Corse, lieu où se trouve la base pour les entraînements. La fin, sur Nucléaire d’Odezenne, les montre en train de lutter, torses nus au ralenti. Ces corps à corps violents deviennent une étreinte. Une véritable fraternité est créée dès le départ malgré les différentes nationalités. Noël, enterrement, soirée, tout est propice à se retrouver entre eux, sans femmes. Cela démontre l’absurdité des femmes qui attendent leur retour avec impatience. Tout mène à penser que leur mode de vie est incompatible avec une famille. Et si les femmes en souffrent, les enfants aussi. Le jeune fils de Maxime dessine sur un mur, au feutre, une montagne de paquets de céréales – nombre qu’il devra manger avant le retour de son père – ou écoute une musique lui vantant les mérites des légionnaires qui se battent pour la patrie. À travers son récit, Rachel Lang (II) parvient à montrer, avec une fascination certaine, ces femmes et ces hommes qui sacrifient tout. 

Mon Légionnaire, dont l’hommage à Beau travail de Claire Denis se fait par la présence de l’acteur Grégoire Colin, est malgré tout un film sans jugement. La cinéaste filme même avec une certaine tendresse ces soldats et ces épouses, mais le constat qu’elle dresse est terrible. Avec beaucoup de force, Rachel Lang (II) confirme son talent et offre une œuvre puissante sur l’amour et le vide.

Marine Moutot

Mon légionnaire
Réalisé par Rachel Lang (II)
Avec Louis Garrel, Camille Cottin, Ina Marija Bartaité
Drame, France, 2020, 1h47
Bac Films
6 octobre 2021

Publié par Phantasmagory

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