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Du 12 au 21 mars s’est tenu le Cinéma du réel, fenêtre majeure sur l’actualité du documentaire en France et dans le monde. La soirée d’ouverture du jeudi 11 mars a été l’occasion de découvrir le nouveau documentaire d’Alice Diop, Nous, sur lequel Marine avait posé un premier regard à l’occasion de la Berlinale.
Le RER B traverse Paris du nord au sud. D’un bout à l’autre, la banlieue s’étend, avec ses paysages et ses gens. La réalisatrice Alice Diop part à leur rencontre, sur les rails de son passé.
Alice Diop nous avait séduit une première fois en 2016 avec son très touchant court-métrage Vers la tendresse sur le sentiment amoureux masculin dans les cités et son beau long-métrage La Permanence retraçant un an de consultations médicales de personnes en difficultés dans un hôpital à Bobigny. La même année, elle tournait un film très court : RER B, annonce potentielle de son dernier projet, 2 minutes d’une main peignant des rails sur un papier surplombant les rails, le vent et les frottements ferroviaires en fond sonore. Elle revient donc, en 2020, avec un prix à la Berlinale pour son nouveau travail sur la banlieue et le lien social : Nous.
Dès son titre, le ton est donné. Nous est un film personnel qui dialogue énormément avec le vécu et l’enfance de sa réalisatrice. Durant la présentation, accompagnée de sa productrice, elle remercie d’ailleurs sa sœur pour tous ces films de famille qui lui ont, ici, servi de matériau. Enfant du Cinéma du réel, elle évoque aussi la naissance et la construction de sa cinéphilie grâce aux heures passées dans les salles de cinéma le temps du festival.
Nous est une traversée, le temps de l’observation silencieuse, et non muette, de la vie aux alentours de Paris.
Traversée familiale et intime, tout d’abord. Voyageant dans son passé, mais également dans le quotidien de ses filmés, Alice Diop mêle les fragments vidéos captés par sa sœur aînée, exactement 18 minutes de moments en famille, à ses propres enregistrements de rencontres : un mécanicien, des chasseurs, un vieil homme… Chacun a la parole, pas forcément pour parler à la caméra, mais pour exprimer un instant de vie dont la caméra est témoin. Petit à petit, sous ces images aux allures anodines, les liens se font, discrètement, sans forcément demander d’explications claires.
Traversée spatiale, ensuite. Roulant au fil des rails, de bout en bout de Paris et de ses banlieues, Nous propose un panorama de la diversité de ces lieux et recrée ainsi notre imaginaire, trop souvent et simplement cantonné à des images de barres aux multiples fenêtres. Cathédrale, stade, PMU, clairière… Les espaces semblent infinis et la caméra souligne la beauté qu’il y a à l’observation d’une forêt aux premières lueurs du jour ou de la ville qui s’éveille alors que passent les éboueurs.
Et surtout traversée sonore, car le son du RER (presque) jamais ne nous quitte, tantôt rejoint par le brame d’un cerf depuis une clairière avoisinante, tantôt par la voix off d’Alice, guide ponctuelle de notre cheminement dans ses souvenirs filmés. Ce train devient un chemin sonore pour nous, fil continu de l’histoire qui crée du lien entre les individus, les espaces et les histoires. Le choix de l’absence de sous-titres, même lorsque leur présence pourrait être nécessaire, montre bien que le son, quelle que soit la langue parlée, est un langage universel via l’émotion et le ton. Le spectateur-observateur devine parfois, d’autres fois non, et c’est bien égal.
Plus contemplatif que ses films précédents, Nous poursuit en toute logique le cheminement entamé par la cinéaste, questionnant ce qui fait peuple et qui crée du lien. Avec ce beau documentaire d’observation et de concentration sur l’anodin, Alice Diop filme le temps long du quotidien et les bribes du passé. Mêlant histoires personnelles et histoire commune, elle rapproche les gens et les espaces dans un voyage de 1h54 au fil des rails du RER B.
Vous pouvez retrouver l’interview d’Alice Diop dans l’émission À l’air libre de Mediapart par ici.
Manon Koken
Nous
Réalisé par Alice Diop
Documentaire, France, 1h52
Date de sortie inconnue