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Virginie est agricultrice. Face à l’intérêt nouveau pour la consommation d’insectes, elle élève des sauterelles pour les vendre. Ayant du mal à joindre les deux bouts et une distance se créant avec ses enfants, elle découvre un moyen inédit d’augmenter la rentabilité de son activité.
Just Philippot avait marqué les esprits avec son court-métrage de genre, Acide (2018), qui montrait comment une famille tentait de survivre à une pluie d’acide s’abattant sur la France. Alors que le film de genre est peu présent dans l’Hexagone, La Nuée est attendu avec grande impatience, au même titre que Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma (sortie nationale le 30 juin), également distribué par The Jokers. Alors que Teddy revisite le classique film de loup-garou, La Nuée décide de réinventer l’horreur avec des sauterelles. Pas si loin de la veine de La Mouche (The Fly, David Cronenberg, 1986) où l’être humain ne fait presque qu’un avec l’insecte, le cinéaste tourangeau propose de s’ancrer dans un territoire et une situation bien française : la difficulté pour une agricultrice de vivre de son travail et les sacrifices quotidiens qu’elle fait pour survivre.
Pour son premier long-métrage, Just Philippot réalise une bonne surprise, au scénario simple et efficace. Après un passage à la Semaine de la critique en 2020 – annulée pour cause de premier confinement – et au Festival international du film fantastique de Gérardmer en ligne, La Nuée se présente comme la sensation du mois de juin. Il dresse un portrait féminin fort et détonant. Interprétée par Suliane Brahim – peu connue du grand public, elle est une grande comédienne de la Comédie Française -, Virginie est en décalage avec les autres protagonistes. Elle fait preuve d’un entêtement total dans son projet. Si nous connaissons peu de choses de son passé, nous découvrons une femme isolée qui lutte pour faire vivre son activité et sa famille, seule avec ses deux enfants. L’autre protagoniste (un peu) développé est un agriculteur, Karim, qui tente à plusieurs moments de l’aider mais qu’elle rejette en permanence.
Par manque de développement du personnage, nous ne comprenons pas toujours pourquoi elle agit de certaines manières, mais son enfermement progressif dans les insectariums qu’elle a construits est hypnotique. La relation aux insectes, dérangeante, est mise en avant grâce à une atmosphère pesante, reposant énormément sur le travail du son. Les sauterelles, carnivores, si nombreuses, sont comprimées dans leur cage en plastique et deviennent oppressantes et obsédantes pour la protagoniste. Le bruit de leurs pattes, de leurs mandibules, de leurs corps qui volent dans un espace trop petit nous rendent claustrophobes. Dès le départ, le risque d’une évasion semble particulièrement probable tellement leurs mouvements appellent à l’envol. Les sauterelles grouillent, et quand Virginie se rapproche d’elles, une tension se met en place et fonctionne grâce à un beau travail visuel. Les images sont réussies et font corps avec la protagoniste et ses acolytes. La mise en scène, corporelle, est violente dans les séquences de nourrissage. Les insectes, de plus, prennent vie grâce à des prises de vue macrophotographiques à la beauté inquiétante.
Malgré cette réussite visuelle et auditive, La Nuée peine à donner vie à ses personnages (son personnage ?) ou du moins à nous lier à eux durant ces 1 h 40. Le film se concentre sur son héroïne qui, bien qu’intéressante, manque de profondeur, d’extérieur, de réalisme en somme… Elle semble exister uniquement dans l’instant du film. Les personnages secondaires, pourtant peu nombreux, restent ainsi à distance, ne marquant que peu l’esprit des spectateur.rice.s. Leurs liens à la protagoniste principale, si peu développés à l’écran, les privent d’une existence tangible, alors que la relation de Virginie aux insectes convainc rapidement et efficacement. La faille du scénario se trouve sûrement du côté de ce manque d’écriture de ces pendants à Virginie. Fille, fils et voisin méritaient une place de choix qui auraient permis d’élargir le champ dramatique de l’œuvre. Ainsi, après un développement assez long et plutôt intense – créant une atmosphère plutôt convaincante -, la conclusion semble sonner le glas rapide d’une histoire qui s’essouffle. La tension dramatique s’estompe, rapidement, et le générique surgit laissant les spectateur.rice.s sur leur f(a)i(m)n.
Ami.e.s entomophobes, il vaudrait peut-être mieux s’abstenir.
Manon Koken et Marine Moutot
La Nuée
Réalisé par Just Philippot
Avec Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne
Drame, Fantastique, France, 1h41
The Jokers
16 juin 2021