[DÉFI] Un bon film dans lequel quelqu’un pousse un cri ridicule

Une femme s’évanouit de manière théâtrale, un objet roule doucement au sol en gros plan, des inconnus fomentent un plan machiavélique juste à côté des concernés… Le cinéma est rempli de motifs, parfois récurrents, qui intriguent et s’impriment dans nos esprits. Le deuxième mardi de chaque mois, nous vous proposons le défi “Un bon film avec…” : chaque rédactrice dénichera un film en lien avec un thème (plus ou moins) absurde mais qui vient naturellement à l’esprit. Pourquoi ces images s’imposent-elles ? Quel sens recouvrent-t-elles dans notre imaginaire ? Et dans l’œuvre ? Les retrouve-t-on dans un genre précis ? Comment deviennent-elles des clichés ?


/! Cet article peut contenir des spoilers. /!

Temps de lecture : 11 minutes environ

Le cinéma regorge de cris ridicules. Mais qu’est-ce qu’un cri ridicule ? Trop aigu ? Trop grave ? Jamais fini ? Étouffé ? Une chose est sûre, il doit provoquer un décalage, que ce soit pour faire de l’humour ou créer le malaise. 

Le cri très aigu est celui qui vient en premier à l’esprit. Souvent placé dans la bouche d’hommes, il frappe par le contraste entre la virilité supposée du personnage masculin et le cri aigu, très féminisé. Ce cri s’appuie et accentue les stéréotypes de genre. Une femme a forcément un cri aigu et perçant, tandis qu’un homme ne criera pas. S’il crie, c’est pour montrer sa faiblesse et sa lâcheté. Dans le dessin animé, La Route de l’Eldorado d’Éric Bergeron (2000), les deux personnages principaux sont effectivement montrés comme fuyant aux moindres dangers. À la fin, alors qu’ils ont su prouver malgré tout leur courage, les deux héros sont confrontés à un immense jaguar de pierre. La première fois qu’ils lui font face, pris par surprise, un cri aigu sort de leur bouche – mis aussi en avant par le fait qu’ils se sautent dans les bras l’un de l’autre. 

Les cris aigus sont également utilisés pour représenter de jeunes enfants. Dans Le Petit Gruffalo d’Uwe Heidschötter, Johannes Weiland (2011), dessin animé destiné aux tout- petits, le jeune héros part à la recherche de la grande méchante souris. A plusieurs reprises, il prend peur et crie. Le bruit qu’il pousse est très aigu, peut-être un peu trop. Cela peut s’expliquer par le fait que beaucoup de femmes doublent les enfants, qu’ils soient garçons ou filles. Ainsi la voix originale du Petit Gruffalo dans l’animation éponyme est celle de Shirley Henderson, actrice notamment connue pour son rôle de Mimi-Geignarde dans Harry Potter et la chambre des secrets de Chris Columbus (2002).

Les cris que nous allons analyser pour ce défi prennent le contre-pied des cris terrifiants et terrifiés dont le cinéma peut aussi faire la part belle et dont le cinéaste français Bertrand Mandico a mis bout à bout dans une belle et intéressante vidéo

Dans ce défi, nous étudierons des extraits de Banzaï, de Claude Zidi (1983), Blow Out, de Brian De Palma (1981) et Le Cinquième élément, de Luc Besson (1997).

N’oubliez pas de voter à la fin de l’article pour le thème du prochain défi.

​​Banzaï, Claude Zidi, 1983

Michel Bernardin est employé à Planète Assistance, société qui aide les Français en difficulté à l’étranger. Sa fiancée Isabelle va quitter son emploi d’hôtesse de l’air pour passer plus de temps avec lui grâce à son amie Sophia qui lui a trouvé un emploi dans son agence de voyages. Isabelle est obligée de rester encore quelque temps à son poste pour quelques vols et va le cacher à son fiancé.

Dans la famille des cris ridicules, je demande Coluche ! La situation cocasse de la scène où Michel, alias Coluche, est piqué par un moustique rare d’Afrique et le fait gonfler comme une pastèque, est assez mémorable. En effet, la référence à Elephant Man est flagrante et sa figure devenue impressionnante fait s’évanouir tous ceux qui croisent son chemin. Il n’est plus un homme mais une bête. On pourrait s’attendre à un cri rauque, un grognement mais c’est plutôt un cri aigu qui rappelle le cochon, un petit animal mignon et inoffensif. 

Photogrammes x6(1)

Ce cri traduit la stupeur, l’intérêt porté à l’apparence étant mise en avant dans la scène. Les évanouissements d’Isabelle et des voisins sont surjoués, comme si un seul regard de Michel les mettait face à la laideur, à l’insoutenable. Les plans sont pensés comme le contrechamp de Michel où les regards traduisent la peur des personnages. Comme il ne se doute de rien, la naïveté de Michel est révélatrice de son caractère. La découverte de son visage dans le miroir le met face à lui-même et il n’est pas prêt à l’affronter.

Laura Claveau


Banzaï
Réalisé par Claude Zidi
Avec Coluche, Valérie Mairesse, Didier Kaminka, Marthe Villalonga
Comédie, 1h42, France, 1983
Renn Production
Disponible sur Canal +

​​Blow Out, Brian De Palma, 1981

Alors qu’il enregistre des sons pour le nouveau film sur lequel il travaille, Jack (John Travolta) assiste à un accident de voiture et sauve Sally, la passagère (Nancy Allen). Après écoute de l’enregistrement, il est persuadé que l’incident a été provoqué. Il se rapproche de Sally pour enquêter.

Ce texte évoque des moments clefs de l’intrigue

Si une explosion donne son titre au quatorzième long-métrage de Brian De Palma, c’est un cri qui en est le cœur et qui l’encadre. Le film commence par un hurlement simulé et raté.

Pastiche des giallos et des slashers, la première scène se veut gentiment moqueuse, accumulant les clichés visuels et surtout sonores :  adoptant le point de vue du personnage qu’elle suit, la caméra tourne autour puis se faufile à l’intérieur d’un dortoir de filles, où sera assassinée une étudiante. Ocularisation interne, main gantée, voyeurisme, battements de coeur, respiration sourde, musique electro-rock, tout cela n’est pas sans évoquer le cinéma de Dario Argento, contemporain de De Palma.

Blow out slasher

L’absurde va croissant à mesure que le tueur s’approche de sa victime. Presque fantôme, il navigue couteau à la main au milieu des étudiantes sans être vu. Dans une pause grotesque, il se place ostensiblement devant un miroir afin de découvrir son visage à la caméra, toujours à la première personne. Puis le cri de terreur de sa victime, l’apogée : modulé, presque un chant, il provoque la fin de la scène et le rire du personnage principal. Le spectateur le découvre dans une salle de projection et comprend qu’il s’agissait d’une mise en abîme. 

Blow out ridicule

Jack, ingénieur du son, et le réalisateur discutent du nanar. Si le premier porte un regard amusé sur son travail, en témoigne la succession des titres qu’il évoque (Bain de sang, Bain de Sang II, Jour terrible à la plage de sang, Le bordel de sang), pince-sans-rire, le second est très sérieux : il faut doubler ce cri et le rendre crédible. 

Cette introduction légère est la quintessence du film de De Palma, voire de son cinéma. Les nanars que les deux personnages enchaînent et cette scène qu’ils rembobinent pour entendre à nouveau le cri préparent le spectateur au tragique de ce qui va suivre et à l’impuissance de Jack. Rembobiner, répéter, rejouer, c’est ce qu’il fera tout au long du film. C’est également ce que fera le véritable tueur, qui n’aura de cesse d’assassiner des jeunes femmes blondes que de tuer Sally, que Jack tente de protéger. Par la nécessité qui est faite de doubler le cri – “Just worry about the scream” -, le physique de l’actrice, similaire à celui de Sally, et par le générique qui suit immédiatement, laissant entendre le cri glaçant de la dernière victime, cette séquence présage la fin, un meurtre que Jack ne pourra empêcher. Ce cri final sera d’ailleurs utilisé par Jack pour remplacer le cri ridicule de l’actrice : “It’s a good scream”.   

Blow Out cri

Ces répétitions, que l’on retrouve dans tout le film, ne sont pas non plus sans évoquer le cinéaste lui-même, dont Jack est sans doute le double. De Palma est connu pour ses influences et ses obsessions. Les plus notoires sont Hitchcock, dont on retrouve l’écho dans le choix de douches comme lieu du crime, et le film Zapruder (court métrage amateur montrant la mort de JFK), dont les traces se trouvent dans le synopsis, si ce n’est dans cette scène. Blow Out est également un pastiche de deux autres films qui ont marqué le réalisateur : Blow-Up, de Michelangelo Antonioni (1966), et Conversation Secrète, de Francis Ford Coppola (1974). Imprégné de ces influences, Brian De Palma explore les frontières entre réel et fiction. Il s’agit dans cette première scène de rendre la fiction crédible, d’y injecter du réel. Dans la suite du film, la vérité est cachée par la fiction, et le personnage principal tente de la trouver dans les enregistrements audiovisuels. Lorsque le réel entre dans la fiction, par le cri de Sally, et devient spectacle, un pas est franchi : c’est un constat amer des médias et de son pays que livre le cinéaste.

Johanna Benoist


Blow Out
Réalisé par Brian De Palma
Avec John Travolta, Nancy Allen, John Lithgow
Thriller, 1h47, Etats-Unis, 1981
Carlotta

Le Cinquième Élément, Luc Besson, 1997

Dans le monde du XXIIIe siècle, l’humanité est menacée par une énergie malfaisante qui veut anéantir la vie sur Terre. Depuis des siècles, une confrérie d’extraterrestres protège la planète grâce au cinquième élément, un être parfait mais aussi une arme puissante. Il prend les traits de Leeloo qui croise le chemin de Korben Dallas, un militaire à la retraite qui ne fait pas dans la dentelle, et le prêtre Cornelius, gardien du temple des éléments. Ensemble, ils vont sauver le monde. Mais le temps leur est compté.

Luc Besson aime les films à grand spectacle à grand renfort d’effets spéciaux, un bon casting et un scénario haletant du début à la fin. Le Cinquième Élément fait partie de ces films cultes des années 90 dont on connaît les répliques par cœur. « Multipass », « Aziz, lumière ! », « Je suis très désappointé » et tant d’autres. Ce film, c’est aussi une galerie de personnages marqués voire clichés, avec l’archétype du héros beau et fort, de la jeune femme en détresse et du méchant abominable. Tout d’abord présenté comme un film SF, il est vite dominé par le second degré de ces dialogues et de comique de situation. Le personnage de Ruby Rhod, présentateur télé excentrique, nous intéresse tout particulièrement dans ce défi.

La scène se passe sur le Floston Paradise, un vaisseau de croisière flottant dans l’espace, où Leeloo, Korben et Cornelius retrouvent la Diva. Elle a en sa possession les pierres des quatre éléments qui permettront à Leeloo de libérer sa puissance. Ruby Rhod est le présentateur vedette du show du moment, la personnification du showbiz et de la débauche. Personnage très maniéré et capricieux, il va devenir malgré lui l’acolyte du héros musclé et charismatique. Ce qui nous amène aux fameux cris.

Le Floston Paradise est envahi par des mercenaires qui sont à la recherche des pierres. Ruby Rhod commente les scènes de destruction et de combat à la manière d’un reporter de guerre. Il se faufile, observe, suivi par la caméra qui ne le lâche pas, observant comme lui ce qui se passe. Détaché au début, il va vite être mis à contribution par Korben. Premier cri de peur, de panique, de prise de conscience de son rôle.

Photogrammes x9

Cette implication change la donne pour Korben qui est maintenant en position de force. C’est lui qui va mener le rythme des scènes suivantes et Ruby va être obligé de le suivre.

Deuxième cri, de stupéfaction face à l’ampleur de la situation à laquelle il participe malgré lui. Il plonge littéralement au cœur de l’action et son côté efféminé ressort d’autant plus.

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La scène se termine par un cri poussé à l’excès où Ruby est dépassé par les événements. Il ne s’arrête plus, donnant ainsi à la scène de désolation et de mort un côté cartoonesque et comique. Ruby Rhod adoucit presque le machisme de Korben et révèle une autre facette du personnage, ce qui rend ce duo improbable très attachant.

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Après ses mésaventures, Ruby rend l’antenne, abasourdi mais fier d’avoir survécu. Par ses cris, le personnage de Ruby Rhod reste très caricatural mais expose aussi sa fragilité. Il ne porte plus le masque de la star, il est lui-même. Le centre de l’attention n’est plus porté sur lui et il l’accepte, allant au-delà de sa zone de confort en sauvant le monde. C’est la scène charnière pour ce personnage car il s’assume tel qu’il est. 

Laura Claveau


Le Cinquième Élément (The Fifth Element)
Réalisé par Luc Besson
Avec Bruce Willis, Gary Oldman, Ian Holm, Milla Jovovich, Chris Tucker.
SF, action, 2h06, France, Royaume-Uni, États-Unis, 1997
Gaumont
Disponible sur Prime video, Canal +

Avec la participation de Marine Moutot

A partir de 2022, retrouvez de nouvelles pépites tous les deux mois. On vous donne rendez-vous le mardi 7 juin 2022 pour un nouveau défi.

Vous aussi, mettez-nous au défi de dénicher des films en rapport avec votre thème, en votant pour le Défi #34 avant le 6 juin 2022. Vous pouvez également proposer de nouveaux thèmes en commentaire ou sur les réseaux sociaux.

 

 

 

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

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