[CRITIQUE] Le Bal des folles

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La jeune Eugénie communique avec des esprits. En l’apprenant, son père décide de la faire interner à la Salpêtrière, asile pour femme tenu par l’éminent docteur Charcot, pionnier de la neurologie et de la psychiatrie. Le chemin de la jeune femme croise alors celui de Geneviève, une infirmière brisée par la mort de sa sœur. Ensemble, elles se préparent à assister au “Au bal des folles” événement mondain lors duquel les patientes de l’hôpital se retrouvent grimées en gitane, colombine ou mousquetaire pour le plaisir du Tout-Paris.

Pour son sixième film en tant que réalisatrice, Mélanie Laurent adapte pour le petit écran le roman à succès de Victoria Mas Le Bal des folles, publié en 2019. À travers les aventures fictives d’Eugénie (Lou de Laâge, que Laurent avait déjà dirigée dans Respire en 2014), la française nous raconte la véritable histoire de la Salpêtrière qui, jusqu’au 20ème siècle, accueillit un asile destiné aux femmes jugées “hystériques”. Que signifie véritablement ce mot ? Personne ne semble le savoir, y compris les médecins dont la réalisatrice dresse un portrait froid et écoeurant. Ce que l’on nomme “hystérie », ce sont finalement les douleurs de ces femmes enfermées de force dans un hôpital où l’on semble leur faire plus de mal que de bien. 

Malgré une exposition maladroite et confuse qui présente la vie d’Eugénie avant l’enfermement, le film parvient parfaitement à nous plonger dans ce Paris du 19ème siècle où il est accepté de croire en Dieu, mais “inconvenant de croire aux esprits”. En positionnant sa caméra comme simple observatrice de la situation, Mélanie Laurent filme ses actrices et acteurs de manière très frontale. Et lorsqu’elle ne se concentre pas sur leurs visages, elle s’intéresse à leur démarche, à leurs mouvements qui disent tant de leur personnalité. Le travail sur le cadrage et les mouvements de caméra devient plus intéressant encore lorsqu’elle nous plonge dans l’hôpital/prison de la Salpêtrière : elle tourne autour des corps féminins meurtris. Elle les observe autant qu’elle les emprisonne, exactement comme le font les médecins. Ainsi, la réalisatrice nous montre toutes les coutures de ces organismes qui souffrent. Elle ne cache rien et ne semble pas non plus chercher à adoucir la situation. Les corps sont marqués par la maltraitance et la douleur. Ils sont traumatisés par les prétendus traitements. Et ces corps ne sont que la face immergée de l’iceberg, la partie visible d’esprits éreintés.

Parfois aussi, les corps se débattent et se révoltent dans l’espoir de se libérer. Et c’est notamment le cas d’Eugénie, personnage à travers lequel nous découvrons la clinique. L’ambiance visuelle et sonore ne dépend que d’elle. Ainsi, lors de son arrivée à la Salpêtrière, nous découvrons un endroit morne, triste et terrifiant. La clinique est bruyante et les cris de douleur saturent l’espace sonore. Il faudra attendre que la jeune femme subisse son premier traitement (une séance d’hydrothérapie qui ressemble davantage à un enterrement) pour que l’atmosphère se transforme. Par cette action subie, Eugénie rentre dans le groupe des patientes et dès lors les couleurs et les sons se transforment : les cris de terreur sont remplacés par des rires joyeux et des échanges sincères. Une certaine beauté naît alors de ce groupe de survivantes. Une beauté et un apaisement qui se cristallisent dans une scène sublime d’un chant vulgaire entonné dans une église. 

De par son don, Eugénie lie aussi une relation avec Geneviève, infirmière en chef dont le visage évolue tout au long du film. D’abord perçue comme une femme froide et sans scrupule, elle s’avère être la soignante la plus attentive aux patientes et de ce fait, le plus humaine. Pour soutenir ce côté protecteur et maternelle, Mélanie Laurent l’a dotée d’une robe bleue. Une couleur qui permet également de la différencier et de l’opposer à Jeanne (Emmanuelle Bercot) autre infirmière qui, habillée de noire ne peut que nous renvoyer au visage glaçant de Mrs Danvers dans le Rebecca de Hitchcock (1940). Personnage pervers et tortionnaire, elle est associée à l’expérience la plus terrible vécue par Eugénie : l’enfermement aux cachots. Jeanne représente la violence et l’incompréhension face aux maladies mentales. Au contraire, Geneviève représente la douceur et la tolérance. Elle et Eugénie forment les deux faces d’une même pièce : chacune à leur manière, elles vont enfreindre les règles imposées par la société et être punies par l’enfermement. Pour accentuer ce lien qui se tisse d’abord par l’apparition à Eugénie de la soeur décédée de Geneviève, Mélanie Laurent utilise un montage alterné ainsi qu’une musique qui vient traduire leurs pensées et leurs peurs. 

Le film se termine sur le fameux “Bal des Folles”, soirée organisée par l’hôpital pour mettre en scène les malades de la Salpêtrière. Bien que perçu comme une forme d’expérience scientifique par les médecins, on comprend rapidement que ce rendez-vous annuel est avant tout une réception destinée à des invités voyeuristes et moqueurs dont certains iront jusqu’à profiter des malades. La réalisatrice ne passe finalement que peu de temps à filmer ce bal tant attendu, mais elle parvient malgré tout à créer un vrai moment d’apothéose au goût amer. Rien de joyeux ne ressort de cette soirée. La musique dure et agitée d’Asaf Avidan surplombe les airs légers du bal parisien. Malgré la joie de certaines pensionnaires, on perçoit surtout la tristesse et la désillusion de beaucoup de femmes que l’on a déguisées avec des tenues extravagantes, ou dont on a peinturluré de visage en blanc, tels des clowns. Tout au long du film, les patientes sont traitées comme des animaux sur lesquels on fait des expériences plus ou moins scientifiques. Le bal est la preuve ultime de la déshumanisation de ces femmes par des médecins qui se réjouissent de la moindre crise. 

En l’espace de deux heures, la réalisatrice parvient à traiter des nombreux problèmes de l’époque : le patriarcat, la limite floue entre la religion et la science et surtout la méconnaissance des maladies mentales. Les femmes du film sont toutes appelées “folles” ou “hystériques” et pourtant, on se rend très vite compte qu’elles n’ont rien à voir les unes avec les autres : certaines sont “mélancoliques”, d’autres agressives, d’autres sont touchés par des malformations physiques. L’une des pensionnaires est atteinte du syndrome de Down alors qu’une autre avoue avoir été victime de violences sexuelles. On comprend que la folie est associée à toute personne qui ne se conforme pas à la société, aux lois, aux règles. En bref, est considérée comme folle ou hystérique (ou parfois même comme sorcière) toute femme qui dérange la bien-pensance. 

Cette sixième réalisation de Mélanie Laurent est une réussite tant sur le plan de la dramaturgie que de la réalisation. Malgré un début de film un peu bancal, la réalisatrice parvient à proposer une œuvre simple mais très efficace qui ne laissera personne de marbre.
Plus le temps passe et plus l’actrice française semble maîtriser les enjeux de la réalisation. Il faudra attendre décembre 2022 et la sortie de The Nightingale pour voir si ce savoir-faire se concrétise.

Camille Dubois

Le Bal des folles
Réalisé par Mélanie Laurent
Avec Mélanie Laurent, Lou de Laâge, Emmanuelle Bercot, Benjamin Voisin, …
Drame Historique, France, France, 2h02
Amazon Studio
Disponible sur Prime Video depuis le 17 septembre 2021

Publié par Phantasmagory

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