[CRITIQUE] Soul

Temps de lecture :  5 minutes

Joe Garner est professeur de musique dans un collège à New York. Passionné de piano depuis sa découverte du jazz étant enfant, il rêve de faire carrière et de jouer auprès des plus grands. Et justement, ce jour est enfin arrivé : la célèbre Dorothy Williams l’invite à rejoindre son groupe ! Mais un bête accident interrompt la flamboyante réalisation de son rêve et l’âme de Joe se retrouve projetée dans le Grand Après.

Particulièrement attendu depuis l’annonce d’une première sortie le 11 octobre, la situation sanitaire a repoussé la venue au monde du nouveau Pixar à Noël. Initialement prévu en salles, Soul fait désormais partie des films dont les producteurs préfèrent la visibilité et l’exclusivité numériques à celles du cinéma, marchant dans les pas de Mulan. Arrivé ce 25 décembre sur la plateforme Disney +, il n’aura eu le droit qu’à quelques avant-premières dans les salles obscures, notamment au Festival Lumière. Cette triste annonce en aura sûrement refroidi plus d’un, à raison. Tout l’intérêt du spectacle grandiose de Pixar est bien de découvrir un film sur grand écran, quand bien même nous nous régalons ensuite de Toy Story (John Lasseter, 1995), Ratatouille (Brad Bird, 2007) et autres Là-haut (Pete Docter, 2009) lors d’après-midi entre ami.e.s devant l’ordinateur ou la télévision. 

Joe traverse la vie sans vraiment remarquer ce qui l’entoure, obsédé par sa passion dévorante pour le jazz. Rien ne semble avoir de prise sur lui, à l’exception de la poursuite de son rêve. Il ne semble pas non plus remarquer sa grande solitude. Grand dadais trentenaire désargenté très influencé par ses parents et professeur désabusé dans une école de banlieue, sa vie ne semble pas des plus animées mais enfin une lueur d’espoir brille au fond du tunnel ! Pourtant, ironie du sort, c’est alors que tout s’arrête, à peine quelques minutes après le début du film. Et c’est alors que la réalité le frappe de plein fouet : il y tient à cette vie morne et solitaire. “Rendez-la moi !” Redécouvrant son passé à travers des souvenirs exposés, comme dans un musée, le constat est glaçant : “Ma vie n’a aucun sens”. Et c’est à ce moment que la première leçon de Soul voit le jour : tout est une question de perception. Là où il se voyait animé du désir de vie par sa passion, il passait à côté de tout ce qui fait vraiment sens. 

Second grand questionnement : à quoi peut bien ressembler la mort ? La force de Soul est de réussir à construire un univers particulièrement convaincant et portant bien évidemment la patte Pixar. Le Grand Après est un infini cosmique pavé d’un chemin que suivent les âmes des défunts se dirigeant vers l’Au-delà. Répondant aux descriptions classiques que nous avons de la mort en Occident, Pixar a surtout l’intelligence de créer un espace intermédiaire d’une inventivité folle : le Grand Avant, aussi appelé Qui suis-je. Pixar a ainsi l’audace d’inventer l’Inconnu sur lequel se déchirent les différentes croyances de notre monde. C’est dans ce lieu de formation, où les petites âmes se voient attribuer leur personnalité avant d’intégrer leur corps sur Terre, qu’atterit Joe après avoir fui la voie du Grand Après. Adoptant par erreur l’identité d’un brillant psychanalyste lauréat du Prix Nobel, il devient le mentor d’une âme qui en a découragé plus d’un – Mère Teresa, Copernic, Marie-Antoinette, Gandhi, Abraham Lincoln et Carl Jung – prénommée 22. 

Sa “binâme” va lui en faire baver ! Fuyant la vie à tout prix, elle redouble de mauvaise volonté pour ne pas trouver sa Flamme, ce qui l’anime, passage obligé pour avoir son laissez-passer pour la Terre. Et c’est ainsi que Soul, en plus de réfléchir à la vie et à la mort, devient l’histoire d’une rencontre, avec une passion mais surtout avec un individu. Malgré leurs tensions, Joe et 22 se retrouvent l’un dans l’autre. Ils sont les antithèses parfaites, tout en ayant de nombreuses similitudes : le premier veut retourner à la vie alors qu’il est passé à côté, l’autre refuse de découvrir ce grand Inconnu. Tous deux sont animé.e.s par la peur, celle de la mort et celle de la vie, et c’est ainsi qu’ils se retrouvent, animés par leur égoïsme, dans une quête initiatique commune. Plus tard, ouvrant les yeux sur leurs erreurs, ils prendront le chemin de l’abandon de soi et de l’entraide car Soul est aussi une belle leçon d’altruisme. 

Pour en revenir à l’univers graphique, les animateurs de Pixar ont créé avec ce Grand Avant un lieu rempli de surprises. Comme toujours, des éléments des précédentes productions du studio sont cachés dans le décor. Les petites âmes, êtres ronds, bleus et lumineux, sont d’une innocence et d’une mignonnitude extrême – à l’exception de 22 car il faut des exceptions. Cet endroit semble en recréation perpétuelle, prêt à créer les inventions les plus surprenantes pour aider les âmes à trouver leur flamme : une salle pour découvrir les bonheurs de la vie, une autre pour se plonger dans les souvenirs du mentor, etc. Les Michel, sortes de guides de ce non-lieu, ressemble à des peintures abstraites de Miro, ce qui correspond extrêmement bien à leur calme flottant. Univers plein d’inventivité, le Grand Avant déborde aussi d’humour. Les réactions blasées de 22 sont hilarantes et le talk show d’attribution des âmes à leur mentor, tout aussi drôle.

C’est sûrement à cause du décalage avec la magie de cet extraordinaire Grand Avant que le retour sur Terre perd de cette belle énergie – à l’inverse du ressenti de 22 et de Joe, émerveillé.e.s par la vie. Une certaine distance avec les personnages prend alors le dessus, rendant le carpe diem un peu moins convaincant, bien que quelques fulgurances et rebondissements nous fassent sourire et que l’humour soit toujours présent. Joe n’est malheureusement pas aussi attachant que les précédents héros Pixar comme les merveilleux Rémy, Carl Fredricksen ou Sully. L’enquête de Terry, sorte de comptable de l’Au-delà, bien décidé à retrouver l’âme manquante, redonne heureusement un peu de suspense à l’aventure, bien qu’elle manque de mordant. 

Soul est donc un nouveau Pixar philosophique, invitant à se questionner sur son identité, à s’émerveiller des petits riens et à savourer chaque minute sur Terre. Il marche ainsi dans les pas métaphysiques de son grand frère Vice-Versa (Pete Docter, 2015), dont il s’inspire énormément – ne nous méprenons pas, ces interrogations métaphysiques étaient déjà présentes dans les Pixar précédents – et donne l’impression de retrouver un peu de l’inventivité de Là-haut, même si la profondeur de l’émotion n’y est pas. Comme pour Vice-Versa, une pointe de déception perce au terme du visionnage. La technique est pourtant toujours aussi impressionnante et maîtrisée et la bande son jazz – mais pas seulement – de Trent Reznor, Atticus Ross et Jon Batiste donne vie et réalisme à cet univers coloré. Soul n’est d’ailleurs pas tant un film sur le jazz qu’une réflexion sur le sens de la vie et la recherche du bonheur. Une simple mais grande leçon de vie qui, bien qu’il ne s’agisse pas du chef d’œuvre annoncé – et célébré par nombre de critiques – reste un bon Pixar qui, bien qu’il n’atteigne pas le niveau des magnifiques Là-Haut, Toy Story et Ratatouille, relève le niveau de ces dernières années. Soul fait preuve d’une belle énergie et vaut le détour même s’il ne s’inscrira sûrement pas au panthéon Pixar. Il est d’ailleurs bien dommage de ne pas pouvoir le découvrir en salle car la beauté de son animation mérite vraiment le grand écran. 

Nous vous laissons donc à votre découverte et votre réflexion philosophique sur les paroles mystiques d’une de nos rédactrices : “Ce film a flotté sur moi”.

Manon Koken

  • Soul
  • Réalisé par Pete Docter et Kemp Powers
  • Animation, Aventure, Etats-Unis, 1h40
  • Avec les voix d’Omar Sy, Camille Cottin, Ramzy Bedia (VF)
  • 25 décembre 2020
  • Disponible sur Disney +
  • A partir de 6 ans

Publié par Phantasmagory

Cinéma - Série - VR

3 commentaires sur « [CRITIQUE] Soul »

  1. C’est un Pixar que j’aurais eu plaisir à voir en salle. Il attendra son heure. Quoiqu’il en soit, il a l’air d’être passionnant. J’avais été emballé par Vice versa, et le talent de Pete Docter, spécialiste des mondes d’à côté (Monstres & Cie) ne se dément pas visiblement. La vie après la mort, c’est une thématique idéale pour ce grand ordinateur de Pixar.
    La musique et la mort étaient aussi au cœur de Coco je crois, film que je n’ai pas vu.

    Aimé par 1 personne

  2. Bien déçue aussi de ne pas avoir pu le découvrir en salle. Effectivement, même si ce n’est pas un grand Pixar, on retrouve totalement l’univers et les centres d’intérêt de Pete Docter. Et oui, Coco est aussi un joli film qui vaut le détour et qui parle habilement de musique, mort et traditions.

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